Dénoncées depuis plusieurs années, les irrégularités dans l’élection des membres du comité de direction du Mauritius Council of Social Services (Macoss) éclatent au grand jour. La Commission électorale l’a contraint à renvoyer les élections et une déposition a été consignée par des membres. Il ressort de l’enquête du Défi Plus que ce regroupement d’Organisations non gouvernementales est accaparé par un groupe de personnes qui y ont fait racines.
Le Macoss dans l’œil du cyclone. Des irrégularités dans l’utilisation des Proxy pour l’élection des membres du comité de direction ont été confirmées par la Commission électorale. Du coup, l’élection du président et de six membres du comité exécutif, qui devait se tenir ce samedi 23 juin, a été renvoyée. Ram Nookadee, ancien secrétaire du Macoss et candidat à la présidence, a consigné, vendredi, une déposition à la police pour que la lumière soit faite sur ces irrégularités et que des sanctions soient prises.
Le pot aux roses a été découvert cette année, car la liste des votants a été circulée relativement en avance. Ce qui a permis aux membres du Macoss de prendre connaissance des noms des personnes désignées par les ONG pour voter. Ainsi, il a été constaté que les noms de certaines personnes apparaissaient comme représentants d’associations auxquelles elles n’appartiennent pas. En sus, certains qui ne font partie d’aucune association auraient été désignés comme représentants.
Une trentaine de formulaires, selon nos recoupements, présentaient ces irrégularités. Le cas d’un représentant qui aurait tenté de voter au nom d’une association qui ne serait plus active a interpellé le bureau du Commissaire électoral, de même qu’une personne ayant deux cartes d’identité différentes. Pire, le nom d’une personne décédée figurait sur la liste des représentants qui allaient voter ce samedi. Une autre personne aurait profité de son poste au sein du comité exécutif pour monnayer les votes. Selon nos informations, il aurait payé la cotisation (Rs 300) des ONG qui n’étaient pas en règle avec la caisse du Macoss. Ces personnes auraient profité, en fait, du désintérêt de certaines organisations pour aller voter. L’administration de ces organisations est contactée pour obtenir un formulaire signé du président et/ou du secrétaire. Ce formulaire donne l’autorisation à une tierce personne de voter à leur place. Ces personnes n’ont plus qu’à insérer les noms d’une ou deux personnes qui pourront voter comme étant le représentant de l’association.
Des dénonciations depuis 2014
Les irrégularités dans la tenue des élections du président et des membres du comité exécutif ne sont pas inconnues d’Ameene Kodabux. Depuis 2014, ce dirigeant du Mouvement social de Plaine-Lauzun tire la sonnette d’alarme. Il a juré un affidavit en Cour suprême en octobre 2014. Il y énumère les failles suivantes :
- Les élections de 2014 pour désigner le président et six membres du comité exécutif ont été manipulées.
- Certaines ONG étaient représentées par des personnes qui n’en étaient pas membres.
- Le vice-président d'Anou Grandi a affirmé que son association n’a jamais « designated nor nominated any Member to vote... » mais un certain S.B. aurait voté au nom de cette association.
- Un certain C.B., qui ne fait partie d’aucune association enregistrée auprès du Macoss, figurait sur la liste des votants.
Mars 2017. Ameene Kodabux revient à la charge et attire l’attention du bureau du Commissaire électoral et de la direction du Macoss que les noms de six personnes apparaissent dans plusieurs organisations. Pis : les noms de trois d’entre elles apparaissent aux côtés de deux associations dont elles ne sont pas membres. Les trois autres représentants porteraient le même patronyme qu’un membre du comité exécutif et sont présentés comme des membres de six associations.
Dans une réponse datée du 21 mars 2017, le Bureau du Commissaire électoral avance, citant la Mauritius Council of Social Services Act 1970 que les organisations peuvent déléguer « any person » pour les représenter sur le Council et peuvent nommer des représentants suppléants ou temporaires. Le Bureau du Commissaire électoral soutient qu’il est mentionné dans le « Notice of Election », sous le chapitre « Registration for voting », qu’aucun représentant ne sera autorisé à voter au nom de plus de deux organisations. Et d’ajouter que la liste des votants a été compilée à partir des informations fournies par les organisations sur le formulaire C qui portent la signature de deux membres du Board de l’organisation, dont une doit être celle du président ou du secrétaire.
Pour Ameene Kodabux, sur un point de vue éthique et de bonne gouvernance, les membres exécutifs du Macoss ne devraient pas être autorisés à représenter des associations autres que les leurs « and also, we should avoid having family members (if any) of Office bearers and executive members being allowed to vote for elections ».
Engouement pour des privilèges
Notre enquête a révélé que trois raisons principales dans cet engouement à être membre exécutif ou président du Macoss, postes pourtant non rémunérés. D’abord, il y a les voyages. Le Macoss est invité à assister à une quinzaine, voire une vingtaine de conférences et ateliers de travail à l’étranger chaque année. Ces voyages « tous frais payés » par l’organisation hôte incluent le déplacement, l’hébergement et parfois des per diem. « C’est pourquoi des gens qui n’y connaissent rien au domaine se retrouvent dans une délégation pou l’étranger! » fustige un membre du comité.
Autre motif incitatif : certains représentent le Macoss sur des conseils d’administration. Par exemple, le représentant de Macoss sur le CSR Committee percevrait Rs 25 000 par mois. « Aster si siez lor bann soukomite li gagn plis. E tou cass vinn pou zot », précise un ex-membre. Celui qui siège sur le NGO Trust perçoit entre Rs 500 et Rs 600 par réunion. Le Macoss est aussi présent sur une dizaine d’autres Boards dont le Mauritius Standards Bureau et des sous-comités placés sous l’égide du ministère de l’Égalité des genres, entre autres.
Enfin, être membre exécutif du Board du Macoss serait « un tremplin pour satisfaire les ambitions politiques de certains. » Ces membres profiteraient de l’exposition dont ils jouissent sur les plans local et international.
La refonte de la constitution souhaitée
Tous les membres du comité exécutif du Macoss, contactés par Le Défi Plus, sont unanimes : le renouveau passe par la refonte de son statut, de sa constitution. « La constitution du Macoss n’a jamais été modifiée depuis 53 ans. Il est temps de tout revoir », estiment ces membres.
Voici des propositions :
- Deux mandats seulement. Ils estiment essentiel de limiter à deux le mandat du président et des membres exécutifs.
- Deux ans pour le président. Certains souhaitent que le mandat du président passe à deux ans au lieu d’un an, délai insuffisant pour réaliser des projets.
- Mandat de trois ans. D’autres suggèrent de porter à trois ans le mandat du président et des membres pour qu’ils aient le temps de réaliser leurs projets.
- Membres cooptés. Les membres cooptés au sein du Board du Macoss sont au nombre de cinq. Selon eux, il faudrait le doubler. « Il faut adopter une formule de régionalisation en cooptant un membre issu de chaque district », suggère l’un d’eux. C’est aussi l’occasion de prôner une politique d’ouverture aux 18 000 associations enregistrées auprès du Registrar.
- De « vrais » membres. Seuls des membres bona fide d’une ONG devraient avoir le droit de vote, et ceux-ci doivent compter au minimum un an au sein de leur association. Cela permettra de réduire le risque de magouilles lors des votes.
Denis Grandport : «Les dinosaures doivent laisser la place»
L’ancien président du Macoss, Denis Grandport est catégorique. Les « dinosaures » doivent faire place au sang neuf. Il dit ne pas comprendre comment des membres qualifiés de « dinosaures » se retrouvent au sein du comité exécutif depuis une trentaine d’années. « Ils sont à chaque fois réélus et n’ont nullement l’intention de céder leurs places. Be lezot kan pou gagn lokazion rantre ? Si enn presidan 30 ans li la, kan lezot pou monte ? » se demande-t-il.
Denis Grandport dit avoir présenté un plan de réforme à la ministre de tutelle. « Ti bizin amen sa parlman. Pa finn ena swivi », déplore-t-il. « La nouvelle équipe dirigeante doit s’attaquer en priorité à la réforme de la Macoss Act. »
Rs 5 millions de l’État au Macoss par an
Macoss survit grâces aux subventions de l’État qui va en s’augmentant, passant de Rs 5 millions en 2014 à Rs 5 062 500 en 2015,
Rs 5 162 500 en 2016 et Rs 5 200 000 en 2017. Dans le Budget Estimates 2018/19, Rs 5 460 000 de provisions ont été faites. Autre source de revenus : la quotité qui tourne autour de Rs 100 000 par an. Plus de la moitié des revenus sont engloutis par les salaires, le transport et les allocations, soit Rs 2,6 millions par an. L’organisation de l’assemblée générale annuelle coûte Rs 225 000, la contribution aux fonds de pension (Rs 387 000), l’impression et la publication (Rs 90 000), la papeterie et les frais postaux (Rs 100 000), la facture de téléphone et de communications (Rs 150 000), et le service de sécurité à son Regional Leadership Centre (Rs 219 000).
Le Dr Satish Boolell, ancien président du Macoss : «Qu’on crève l'abcès une fois pour toutes»
Satish Boolell, ancien président du Mauritius Council of Social Services (Macoss), se dit « nullement surpris » de la polémique entourant la tenue des élections au Macoss. Il réclame « la création d’un comité de sages pour revoir le fonctionnement des ONG » et se dit favorable à la mise sur pied d’un code d’éthique.
Êtes-vous surpris par ses irrégularités ?
Je ne suis nullement surpris par ces magouilles qui éclatent au grand jour. Pendant trop longtemps, on s’est voilé la face en tentant de faire croire que tous les dirigeants des ONG sont des gens honnêtes. C’est faux ! Lorsque je présidais le Macoss, je me faisais un devoir de dénoncer les ONG fictives auprès du Registrar of Associations. Il est impératif que chaque organisation soit enregistrée. Macoss doit soumettre la liste de ses membres afin d’établir leur bilan annuel et d’analyser leurs réalisations, avec ou sans le CSR. La tragédie, c’est que les ONG honnêtes touchent moins d’argent.
Donc ce cyclone était prévisible ?
Le moins que je puisse souhaiter, c’est qu'on crève l'abcès une fois pour toutes. Tant pour l’abus de Proxy lors de l’élection du président et des membres ou de la gestion de l’organisation. Souvent certaines organisations reconnaissent leurs membres à la veille des élections. Le problème au Macoss, c’est qu’il est trop facile de créer une ONG. Selon la loi, sept personnes suffisent pour créer une association. Pour éviter ce que je qualifie de BONGO (Business Oriented ONG), chaque ONG doit impérativement être enregistrée, soumettre des rapports financiers annuels et faire vérifier le montant de ses diverses levées de fonds. L’heure est venue de remettre de l’ordre dans le monde des ONG.
Pourquoi cet engouement à siéger au comité de direction du Macoss ?
Diverses raisons expliquent cet engouement pour devenir membre du Macoss. L’un des avantages : le nombre de voyages offerts aux membres en Afrique et en Europe. Certains sont friands de décorations de l’État lors des célébrations de la fête nationale. Ajoutées à cela, les couvertures médiatiques qui ont tendance à glorifier des membres qui n’ont rien fait de leur vie.
Comment mieux gérer le Macoss ?
Je propose qu’un comité des sages soit institué pour revoir le fonctionnement des ONG. Il faut une transparence à tous les niveaux au sein du Macoss. Il faut aussi introduire un code d’éthique afin que les pigeons voyageurs de certaines ONG cessent de projeter une mauvaise image du pays. Si ces propositions sont mises en pratique, le reste viendra.
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