Les Français sont appelés aux urnes pour élire leur 25e président de la République. Les résultats du premier tour ont captivé l’attention dans le monde. Qui d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen passera le second tour le 7 mai ? La tension est palpable parmi les immigrés, dont certains d’origine mauricienne.
Publicité
Sailendra Veerappa : «Le projet de quota d’immigrants inquiète»
Sailendra Veerappa, âgé de 29 ans, étudiant en master de psychologie à Bordeaux estime que peu importe qui gagne les élections, cela ne changera pas grand-chose pour lui. Pour lui, il s’agit d’une jeune génération qui montre qu’elle n’a pas froid aux yeux. « Le premier tour a été plein de rebondissements avec onze candidats à la présidence. Je n’ai pas vraiment suivi les débats excepté sur les réseaux sociaux où les internautes se donnaient à cœur joie. Je ne suis pas très fan de politique. »
Pour lui, il n’y a pas vraiment eu de consigne de vote sur le programme, mais surtout pour faire barrage. « Si Marine Le Pen est arrivée au 2e tour, même avec ses bagages judiciaires, c’est qu’elle a énormément de partisans. La montée du FN, je ne sais pas si je devrais m’inquiéter. Il faut se dire qu’à Bordeaux je n’ai jamais eu de soucis de racisme. Déjà si vous regardez les votes par région, à Bordeaux elle n’est pas arrivée en tête. Elle a été même prise d’assaut par Jean Luc Mélenchon.»
Notre intervenant affirme qu’il ne sait pas encore si cette tendance représente un danger pour les immigrants. « Je me considère plutôt comme un étudiant étranger. Mais peut-être on aura moins accès aux universités où ce sera payant ou plus cher pour les étrangers. Le FN veut un quota d’immigrants par an. Donc j’aurai déjà passé mes études si jamais elle est élue. Mais c’est vrai cela pourra être un frein à bon nombre de projets. Si elle est élue, il faudra qu’elle se fasse entendre et accepter à l’Assemblée ».
Isabelle Payet : «Crainte d’une victoire de Marine Le Pen»
Âgée de 35 ans, cette habitante de Berive au Tampon et entrepreneure se pose beaucoup de questions depuis les résultats du premier tour. La montée du FN et les chiffres du dernier sondage l’incitent à avoir des doutes sur l’avenir de la France.
« Dans le programme d’Emmanuel Macron, on note la suppression du régime social des indépendants, qui me semble être une bonne chose afin de permettre aux indépendants d’être soutenus. Marine Le Pen ne me fait pas peur, mais j’appréhende qu’elle soit élue. Je m’interroge sur ceux qui souhaitent épouser un Français. Les démarches seront-elles plus difficiles, y aura-t-il plus de contrôle ou éventuellement une hausse dans le paiement du titre de séjour, afin de les décourager à intégrer le territoire français ? Cela n’est pas mentionné dans son programme, mais on ne sait jamais. »
Romain Bechard : «Pas sûr de rester en France»
Avant les résultats du premier tour, Romain Bechard, 18 ans, étudiant en ingénierie comptait rester en France même après ses études. Il semblerait que la situation est un peu « sap dan caraille tom dan dife », dit-il. « Ici, on gagne bien mieux sa vie qu’a Maurice avec en moyenne 33 000 € par an pour les gens qui sortent de mon école. Maintenant j’hésite, la nouvelle taxe va forcer les entreprises à se tourner vers de la main-d’œuvre française, ce qui ne va pas me favoriser. Je constate que parmi les jeunes, il y a une majorité d’anti-Le Pen. J’ai suivi la campagne avec une vision économique et je vois de grosses divergences quant à leurs ambitions initiales. Le fait d’être un étudiant, la montée du FN ne me fait pas vraiment peur, car j’apporte quand même un minimum à la France. Mais si le FN prend le pouvoir, cela va avoir de lourdes conséquences et l’une d’entre elles sera que la France va se refermer sur elle-même économiquement ce qui est assez grotesque dans un monde gouverné par l’Asie et les USA. Je pense aussi que c’est dommage d’ajouter la taxe sur les contrats de travail des étrangers. »
Nathalie Gaspard : «Peu de chance que le Front national passe»
En France depuis plus de 18 ans, Nathalie Gaspard est assistante maternelle. C’est dans un état d’esprit incertain qu’elle se trouve depuis le premier tour. Selon elle, les Français ont peur, et la politique qui existe en France en ce moment ne les rassure pas.
« Je n’ai aucune crainte, car on sait qu’il y a très peu de chance que le Front national passe. Ni Macron ni Lepen ne nous rassurent dans leur programme. Il ne faut pas oublier que Macron nous a beaucoup déçus dans le passé. Il a une politique purement patronale ». Pour elle, il y a un réel danger pour les immigrants avec la montée du FN qui est plus que normale par rapport à l’insécurité qui règne aujourd’hui en France.
Valery Cassimally : «Une atmosphère tendue depuis le premier tour»
Âgée de 43 ans, Valerie Cassimally est en France depuis plus de 22 ans. Habitant la région parisienne, elle affirme qu’elle vit dans une atmosphère tendue autour d’elle depuis le premier tour. « Mon conjoint, un Français, me dit que c’est chaud pour nous. Depuis quelques années, il y a bien une montée en flèche du FN et je peux vous dire que je ne suis pas du tout étonnée avec tout ce qui se passe en France. J’ai voté, car au départ je ne voulais pas, car depuis Sarkozy, je ne me suis dit plus jamais. Maintenant si le FN passe c’est sûr et certain, qu’il y aura des dangers pour les immigrants et les réfugiés en France. »
D’autre part, en ce qui concerne Emmanuel Macron, notre interlocutrice précise que cela en aucun cas ne dissipe ses appréhensions. « Sachant que Macron, ancien ministre de l’Économie avec Hollande n’a rien fait et ne fera rien. Il va surtout jeter l’argent par la fenêtre. Et son programme ne mènera nulle part et c’est bien dommage pour les Français qui ont voté aveuglément. Pour l’instant on attend le 7 mai pour prendre une décision, car j’estime que la situation n’est pas vraiment favorable ».
Concernant les consignes de vote, c’est un peu compliqué, lance-t-elle. « Les autres perdants ne savent pas trop à qui donner leurs votes, car cela s’annonce très mal. La France est un pays qui va mal, mais ce sont les patrons qui ont le plein pouvoir et les Français en on marre de ce qui se passe depuis pas mal d’années. Il y aura un gros couteau sous la gorge, car le petit salarié qui gagne aujourd’hui 1 100 € net par mois devra se serrer encore plus la ceinture avec peu importe la personne qui sera président. »
Eloïse Anne Staub : «Des manifestations tous les jours»
Étudiante en psychologie et anthropologie à Bordeaux depuis 2015, Eloïse Anne Staub, 20 ans, dit ne pas vivre très bien entre ces deux tours. À Bordeaux, elle voit des manifestations tous les jours. Selon elle, les gens qui votent Macron le font, afin de faire barrage à Le Pen en se disant que ce sera moins pire qu’elle.
« Nous avons deux candidats qui sont opposés. Nous avons d’un côté l’ouverture, la tolérance et l’échange. De l’autre côté, on prône la fermeture, le racisme, la peur des différences et l’isolationnisme. Mais il faut aussi voir par rapport aux législatives. Les Français ne laisseront pas Le Pen faire de la France un pays d’extrême gauche. »
Eloïse Anne Staub est d’avis que Macron n’a pas un réel programme, mais elle ne sait pas non plus s’il vaut mieux que Le Pen. Or, quoi qu’il en soit, elle compte rester jusqu’à son doctorat. « Beaucoup de membres des familles ont voté à contrecœur Macron pour empêcher Fillon de monter au pouvoir. De plus, j’ai peur de la montée du FN, car je ne sais pas si les immigrants seront exclus du pays, mais ils seront sûrement énormément contrôlés. Et ça donne une impression du déjà vu avec l’antisémitisme. »
Catherine Boudet : «Une percée de l’extrême droite et de l’extrême gauche»
En examinant la politique menée par le FN dans les mairies, où il a le pouvoir, cela donne un aperçu de ce que peuvent attendre les immigrants en France en cas d’une victoire de Marine Le Pen aux présidentielles 2017. Tel est le constat de la politologue, Catherine Boudet.
« On y voit effectivement la mise en place de politiques sociales et associatives défavorables aux immigrants. Des maires FN ont dû faire face à la justice pour leurs prises de position ou leurs actions constituant de possibles atteintes aux droits et aux droits humains des immigrants. Le programme électoral de Marine Le Pen à l’égard de l’immigration est très clair : elle entend faire jouer la préférence nationale en faveur des Français par rapport aux immigrants, que ce soit en matière de politique du logement, éducative ou sociale ».
Selon elle, le fait que Marine Le Pen soit présente au deuxième tour de la présidentielle française témoigne d’un ras-le-bol croissant parmi la population française vis-à-vis des élites politiques et économiques et de leur mode de gestion. « Comme le FN n’a encore jamais accédé au pouvoir, les électeurs qui font ce choix de vote semblent voir le FN comme l’ultime moyen d’amener un changement dans le système. D’autre part, la présidentielle française 2017 a en effet vu également une percée de l’extrême gauche. Même si un certain nombre d’observateurs tablaient sur une agonie de l’extrême gauche française, à mon avis la montée de la gauche radicale était déjà amorcée dans le tissu social avec les Nuits Debout de 2016. Ce mouvement protestataire a émergé pour contester la réforme de la loi du travail pour ensuite s’élargir à la contestation du système économique et de la faillite des institutions républicaines.»
Shafick Osman, politologue : «La victoire de Le Pen ne me surprendra pas»
Que ce soit des Mauriciens ou autres, ceux qui sont dans les règles ne devraient pas être inquiets. Selon Shafick Osman, les Mauriciens sont plutôt bien vus en France. Il affirme également qu’Emmanuel Macron n’est pas totalement un nouveau visage. Ses discours sont impressionnants, mais il rassemble, ce qui veut dire que son action est fédératrice. D’autre part, l’élection de Marine Le Pen ne lui surprend guère et c’est plutôt le contraire qui l’aurait surpris, soutient le politologue.
« On voyait cela venir depuis une bonne année, en fait. Et je vais vous dire que l’élection de Marine Le Pen au deuxième tour ne me surprendra pas, mais le réalisme voudrait que ce soit Macron qui soit élu. Ce qui m’inquiète plus si Le Pen est élue, c’est la fracture avec les musulmans de France, surtout les jeunes de la troisième génération, car eux sont 100 % français, étant nés en France de parents français. J’ai bien peur d’une montée de tension à plusieurs niveaux qui va sectionner encore plus cette France d’aujourd’hui ».
Questions à Yvan Combeau historien et politologue : «La France ouvre une page nouvelle politique»
Après les résultats du premier tour, comment qualifierez-vous cette présidentielle française ?
La présidentielle de 2017 est un scrutin incomparable dans l’histoire de la cinquième république. Nous avons eu depuis 2016 une succession de surprises. La présidentielle a fait basculer la société politique française. La préparation de la consultation a « dégagé » trois anciens Premiers ministres, un ancien chef de l’État et finalement fait inédit le président Hollande n’a pas pu se présenter face à une impopularité.
Et le 23 avril, les deux partis qui ont structuré la vie politique française ont été éliminés. Ni le Parti Socialiste ni les Républicains ne seront au second tour. Du jamais vu lors d’une présidentielle. La France ouvre une page nouvelle, mais il faudra attendre les élections législatives des 11 et 18 juin pour savoir si le président élu aura une majorité pour gouverner ou si cette élection présidentielle si surprenante conduit à une cohabitation !
Comment expliquez-vous la montée du FN ?
Le vote Marine Le Pen était annoncé dans les sondages, il était aussi palpable dans les rencontres avec l’opinion politique française. La question de savoir s’il s’agit d’un vote de protestation ou d’adhésion est pleinement dépassé. Marine Le Pen a fédéré des votes d’adhésion qui aujourd’hui s’imposent dans plus de la moitié des communes de France. Un vote qui exprime les désillusions françaises après deux quinquennats.
Il souligne nettement des fractures. Le vocabulaire politique illustre ces débats qu’il s’agisse des oppositions sur le devenir de l’État-Nation, les frontières, les souverainetés. Ainsi, l’appréciation sur le rôle de l’euro dans la hausse des prix constitue un point d’ancrage dans le discours du Front national.
Qu’est-ce qui change entre le père et la fille Le Pen ?
Entre ces deux candidats, ce sont quinze années qui sont passées. Ce n’est pas seulement les différences entre les deux figures du Front national c’est l’évolution notable de l’opinion. Rien n’est comparable entre le 21 avril 2002 et le 23 avril 2017. Les scores, les réactions au soir plus encore. Et symbole de la différence, le débat de l’entre-deux tours le 3 mai va conforter la visibilité des idées du Front national dans la société française.
Pourquoi Emmanuel Macron, celui qui a été le conseiller de Hollande a tellement la cote ?
Emmanuel Macron a eu un parcours inédit dans la vie politique française de ces dernières années et dans l’histoire politique de la cinquième République. Il fonde son mouvement en avril 2016, il arrive en tête de la présidentielle 2017. Une trajectoire qui est exceptionnelle. Quand il fallait deux à trois décennies pour qu’un candidat réussisse à se qualifier pour une présidentielle, il l’a fait sur le temps d’un quinquennat. Secrétaire général adjoint (2012-2014) puis ministre (2014-2016) de François Hollande, il parvient à ne pas tomber dans l’impopularité du président sortant. Il réussit à présenter une politique de « nouveaux visages et de nouveaux usages » à se situer ni à gauche ni à droite et à occuper ainsi un espace politique allant du centre droit au centre gauche.
Comment expliquez-vous les résultats des votes à La Réunion ?
En 2012, l’outremer français avait globalement accompagné la candidature de François Hollande. À la fin de ce quinquennat, l’outremer se caractérise dans tous les territoires par une forte abstention et un vote majoritaire en faveur de Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon. Sur l’île de La Réunion, le vote Marine Le Pen passe en cinq années de 10 % à 23,4 % des exprimés et le calcul le plus pertinent en pourcentage des inscrits (malgré une abstention en progression en 2017) lui donne 12,8 % en 2017 contre 6 % en 2012. En voix, alors que le nombre des votants est quasi identique entre ces deux scrutins, Marine Le Pen fait plus que doubler son score (passant de 37,549 à 82,219). Ainsi, comme le titre un journal réunionnais « La Réunion en mode ultra-Marine.»
Sur les derniers mois du quinquennat, les débats et les échanges montraient un renforcement de l’expression en faveur d’un vote Front national. La visite de la candidate avait d’ailleurs marqué une plus forte mobilisation qu’en 2012. Les sondages publiés avaient également noté cette dynamique électorale. Le score de Marine Le Pen constitue une nouvelle donne sur l’échiquier politique réunionnais et signe un nouveau comportement du corps électoral. Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen obtient 3,8 % des exprimés (8 915 suffrages), score présenté comme « un coup de tonnerre ». Quinze années après, Marine Le Pen réunit 23,46 % des exprimés et s’impose comme la challenger d’Emmanuel Macron.
Les immigrants, doivent-ils être inquiets de la montée du FN ?
La question de l’immigration vers la France fait partie des fondamentaux du programme du Front national et des propositions sur lesquelles son électorat se reconnaît le plus fortement. Marine Le Pen a annoncé un moratoire sur l’immigration afin de limiter l’entrée légale sur le territoire français à 10 000 personnes par an. Elle a souligné sa volonté d’arrêter le regroupement familial et de supprimer le droit du sol. Son programme prévoit une modification du code de la nationalité et une réforme constitutionnelle pour intégrer la préférence nationale.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !