
Eileen Chang partage sa vie entre ses élèves et sa seconde vocation : tatouer des histoires personnelles sur la peau, alliant sensibilité féminine et savoir-faire exceptionnel.
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À Beau-Bassin, Eileen Chang partage sa vie entre l’école et l’encre. Enseignante depuis 32 ans, elle est aussi l’une des rares femmes tatoueuses de Maurice. Entre tableau noir et machine à tatouer, elle a trouvé une seconde vocation : donner vie aux histoires de ses clients sur leur peau.
Depuis plus de trois décennies, Eileen se lève chaque matin pour retrouver ses élèves. L’enseignement est son métier, son quotidien, son premier amour. Mais derrière cette image d’éducatrice appliquée, une autre passion la définit : celle de l’encre et de la peau.
« J’ai toujours aimé dessiner. Quand mon mari Steve est devenu tatoueur en 2010, j’ai compris que c’était aussi ma voie », raconte-t-elle. Dès l’année suivante, elle saisit sa propre machine et se lance.
À Maurice, comme ailleurs, le tatouage reste un univers largement masculin. Les salons portent souvent des noms virils, les tatoueurs s’affichent avec des looks affirmés, parfois intimidants. Mais Eileen a su trouver sa place. « Au début, certains clients doutaient. Ils me regardaient comme pour se demander si une femme pouvait vraiment tatouer. Puis ils voyaient mon travail, et tout changeait. » Aujourd’hui, elle est reconnue pour sa finesse, son sens du détail et cette approche délicate que beaucoup associent à sa sensibilité féminine.
Pour donner à sa passion une dimension professionnelle, Eileen s’est envolée pour la Thaïlande. Elle y a suivi une formation spécialisée, apprenant auprès de maîtres tatoueurs. « Ce séjour m’a permis de comprendre que tatouer, ce n’est pas seulement orner la peau. C’est inscrire des émotions, des histoires personnelles, parfois des blessures. »
De retour à Maurice, elle met en pratique son apprentissage et réalise des centaines de tatouages, chacun porteur d’un sens unique. Eileen est fascinée par l’attachement profond que les gens accordent à leurs tatouages. « La majorité veut graver une date mémorable : un mariage, la naissance d’un enfant, parfois la perte d’un être cher. »
Elle se souvient d’une dame de 72 ans : « Elle voulait tatouer la date de naissance de sa première petite-fille. Quand elle a vu le résultat, elle avait les larmes aux yeux. Pour moi, c’est ça la magie du tatouage : donner une nouvelle dimension à la mémoire. »
Un jeune homme endeuillé lui a demandé de reproduire la signature de son père disparu. « J’ai senti tout le poids de son émotion. Ce n’était pas juste un dessin, mais un lien avec son passé. »
Avec son mari Steve, ils forment un couple singulier : lui avec son style audacieux et imposant, elle avec sa touche plus fine et détaillée. « On se complète. Parfois, on travaille sur le même projet. On s’encourage, on se critique aussi, mais toujours pour progresser », explique-t-elle.
À la maison, leurs deux fils de 27 et 25 ans observent ce duo atypique. « Ils aiment nous taquiner en disant qu’on passe plus de temps avec nos machines qu’avec eux », raconte Eileen en riant. Derrière les blagues, il y a une grande fierté.
À première vue, enseigner et tatouer semblent être deux métiers aux antipodes. Pourtant, Eileen voit un fil conducteur. « Dans les deux cas, je transmets. À l’école, c’est le savoir. Dans le tatouage, c’est l’histoire personnelle des gens qui prend vie à travers mes dessins. »
Ses collègues enseignants, d’abord étonnés, sont devenus ses clients. « L’un d’eux voulait tatouer les initiales de ses enfants. Quand il m’a tendu son bras, j’ai compris que mon art avait franchi une nouvelle étape. »
Installée à Beau-Bassin, Eileen vit et travaille dans une ville qui symbolise pour elle stabilité et inspiration. Son atelier, rempli de dessins encadrés, est à la fois un lieu de création et de rencontres. Dragons flamboyants, fleurs délicates, portraits réalistes : les murs racontent l’étendue de son univers artistique. « Je veux que mes clients voient que chaque tatouage commence par une esquisse, par des heures de réflexion et d’ajustements. Rien n’est improvisé. »
Dans le paysage mauricien, peu de femmes se lancent dans le tatouage. Eileen le sait et en est fière. « Être l’une des rares femmes tatoueuses, c’est aussi montrer que ce métier n’a pas de genre. Ce qui compte, c’est la passion et la rigueur. » Elle inspire aujourd’hui d’autres jeunes femmes. « On me dit parfois : ‘grâce à toi, je me rends compte que je peux aussi le faire.’ »
Après 32 ans passés à enseigner, Eileen rêve de transmettre également son savoir-faire en tatouage. « J’aimerais créer une petite école, former les jeunes, leur montrer que le tatouage est un art noble, qui demande autant de discipline que de créativité. » Son projet n’est pas encore lancé, mais elle y pense sérieusement. « J’ai eu la chance d’apprendre en Thaïlande. J’aimerais à mon tour donner cette chance ici, à Maurice. »
À la fois enseignante, mère, épouse et tatoueuse, Eileen refuse de se limiter à un seul rôle. « La vie est trop courte pour se mettre dans une case. Je veux vivre toutes mes passions, pleinement. » Et elle y parvient. Sur la peau de ses clients comme dans la mémoire de ses élèves, elle laisse une trace. Une empreinte faite d’encre et d’humanité.

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