Le secteur éducatif mauricien a évolué durant les 56 dernières années. Depuis la grève des étudiants en mai 1975... Aujourd’hui, l’éducation est gratuite du préscolaire au tertiaire. Cependant, qu’en est-il du patriotisme ? La parole à des pédagogues et des étudiants.
Tous les ans, les étudiants vivent la levée du drapeau, la veille des festivités de l’indépendance. Selon les pédagogues, cette cérémonie est importante.
Publicité
Pour le président de la fédération des managers des collèges privés, Ramdass Ellyah, il faut un équilibre entre le programme d’études et l’enseignement des valeurs dans les établissements. « Construire et promouvoir une nouvelle culture scolaire inclusive repose sur des valeurs humaines et sociales. Faire que l’école devienne plus inclusive vise à remédier à l’échec et au décrochage scolaire. Son objectif est d’assurer un enseignement de qualité pour tous les étudiants, en vue de leur insertion dans la société. Définir des valeurs ne suffit pas. Encore faut-il qu’elles soient pleinement partagées et pratiquées par tous les acteurs de l’école inclusive. »
Prenant l’exemple du Bhujoharry College qui célèbrera ses cent ans de contribution dans le secteur de l’éducation à Maurice. Ses élèves considèrent qu’ils sont une famille. « Nous sommes une famille. Plus qu’un établissement scolaire, c’est une école de la vie qui responsabilise et prépare les élèves à être des citoyens responsables. Il en fait des citoyens capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte. “ Ansam nou kapav ” est notre devise pour encourager, conseiller et motiver les étudiants peu performants à travailler dur, à croire en leurs talents et à développer un sens de la citoyenneté. »
Ramdass Ellyah met l’accent sur la promotion d’une culture de l’effort, du sacrifice et du travail. C’est afin que les jeunes puissent devenir des penseurs, des innovateurs et des leaders de demain. « Notre mission est d’assurer leur bien-être et de les accompagner lors d’un parcours scolaire épanouissant. »
Pour lui, la question de l’Extended Programme fait toujours débat. En 2014, au début de la réforme, l’objectif était d’inclure les élèves qui avaient échoué le Primary School Achievement Certificate, pour lutter contre la stigmatisation. Cependant, il demande si rendre ces enfants similaires à ceux du mainstream sur des critères académiques signifie réellement l’inclusion. Il estime qu’il ne faut pas ignorer la réalité. Il fait observer que les élèves qui ont des difficultés avec la numératie et la littératie doivent participer aux épreuves du National Certificate of Education.
Selon lui, ces jeunes ont des compétences autres qu’académiques. Et il insiste sur l’importance d’un programme adapté à leurs besoins. La clé du succès est de s’intéresser à ce que l’enfant veut et peut faire. Il propose de trouver des domaines dans lesquels ils peuvent exceller et de les évaluer en fonction de leur potentiel. Il est d’avis que l’épanouissement de ces jeunes favorisera une vie saine, responsable et disciplinée.
Programme d’étude
Ramdass Ellayah fait ressortir que les écoles enseignent le patriotisme, le civisme et la moralité. Les classes de « lifeskills » et l’histoire fortifient l’amour de la patrie.
Le drapeau mauricien flotte fièrement dans la cour de l’école et l’hymne national est chanté par les élèves tous les matins. « Nous les éduquons avec respect et leur apprenons la coopération, l’acceptation et l’amour pour les autres. »
Selon Ramdass Ellayah, pour former des adultes responsables, l’éducation est cruciale et l’apprentissage commence à la maison. « Les écoles doivent promouvoir l’éducation à la citoyenneté en inculquant des valeurs morales et sociales. Les activités extrascolaires servent à le faire. À l’ère numérique, il est essentiel de rappeler que le bonheur ne se résume pas au matériel. L’école doit préparer les adultes de demain à vivre en société en respectant des valeurs citoyennes. Un programme scolaire adapté à chaque enfant, soutenu par un système éducatif “ zero failure ”, permettrait de développer pleinement les potentiels individuels. La discipline scolaire doit respecter les droits et la dignité de l’enfant. En favorisant une approche centrée sur l’enfant, basée sur la participation et l’appréciation des réussites, on encourage la confiance en soi et l’estime de soi. Ce chemin conduit à former des citoyens mauriciens instruits, compétents, responsables, dotés de nobles valeurs et capables de contribuer à l’amélioration de la famille, de la société et de la nation. »
Appel au changement
Arvind Bhojun, président de l’Union of Private Secondary Education Employee, souligne le manque d’enseignement sur le patriotisme à Maurice. « Je crois que le communalisme a éclipsé le patriotisme depuis longtemps. Nous sommes patriotiques principalement lors des Jeux internationaux, sinon, nous sommes plus individualistes ou sectaires. »
Arvind Bhojun insiste sur la nécessité de relater l’histoire du point de vue ancestral pour susciter la fierté nationale chez les jeunes. Il déplore le manque de respect envers l’hymne national et la confusion entre l’indépendance et la République de Maurice. Il appelle à un changement, soulignant la dégradation des valeurs, le chômage parmi les diplômés et l’émigration des jeunes. Il plaide pour la méritocratie et met en avant le rôle des éducateurs dans la transmission du patriotisme dès le plus jeune âge.
Lindsay Thomas : « Le patriotisme souffre des mêmes maux que les valeurs et les principes éthiques et moraux »
Dans l’entretien qui suit, le pédagogue Lindsay Thomas parle du patriotisme au sein de la jeune génération.
Comment définiriez-vous le patriotisme et pensez-vous qu’il est important pour les jeunes générations ?
Le patriotisme relève d’un très fort sentiment d’appartenance à un pays/une nation. Il suscite l’adhésion critique et éclairée à l’histoire, à la géographie, aux langues, aux cultures, aux valeurs fondatrices, et de manière plus solennelle, à l’hymne national et au drapeau du pays. Dans un monde idéal, la construction du patriotisme serait une lente gestation à travers l’acquisition/l’appropriation intellectuelle de l’histoire, la géographie, etc. Et leur mise en œuvre serait graduelle dans un quotidien en permanente ébullition. La jeune génération est ballottée au gré des idéologies, des modes et des têtes d’affiche du monde du sport, de la musique, etc. Les points d’ancrage font cruellement défaut et les role models que furent jadis les parents, éducateurs, religieux et politiques souffrent de crédibilité défaillante parce que sans boussoles. Le patriotisme souffre des mêmes maux que les valeurs et les principes éthiques et moraux… d’où sa vacuité.
Quel rôle pensez-vous que l’éducation joue dans la formation du patriotisme chez les jeunes et comment se manifeste-t-il dans le système éducatif mauricien ?
L’éducation, entendez par là : l’école (c’est-à-dire le curriculum, la pédagogie, et les professeurs), a bon dos. C’est de bonne guerre, même si nous savons que l’éducation d’un enfant commence au sein de la famille. Nous savons aussi que l’état et les autres partenaires sociaux ne devraient pas laisser à la seule école le devoir d’imaginer, de formuler, d’exécuter et d’évaluer des initiatives de « nation building », et autres concepts fondateurs.
Le rôle que joue l’éducation nationale dans l’édification du patriotisme ? Pour reprendre une expression mauricienne, chère à un ami qui se reconnaitra : « nou pe bat bate ». Je ne souhaite pas tourner en dérision les timides, mais vaines, tentatives de prendre le patriotisme « on board ». Il y a les « composite shows » qui marquent la fête nationale. Les recettes proposées : tantôt salade de fruits, tantôt compote de fruits, pour que chaque composante de la nation arc-en-ciel s’y retrouve, se révèle souvent indigestes. Les manuels scolaires de conception et de production mauricienne s’emploient à donner des couleurs et des sonorités locales aux matières enseignées. Il y a un choix judicieux de prénoms empruntés à l’arc-en-ciel mauricien, des lieux de culte, des fêtes culturelles et religieuses, la riche variété culinaire du pays, etc.
Pour louables que veuillent être ces initiatives, elles sont éparses et ne résultent pas d’une réelle volonté de semer et de faire croitre le mauricianisme dans les têtes, les cœurs et surtout, la façon d’agir de la jeune génération. Une approche pluridisciplinaire de cette thématique est une urgence nationale. Pour faire entendre et résonner notre voix dans le concert des nations, il est impérieux de résoudre notre sérieux déficit identitaire. Pour que « sa bebet ki apel morisien » et « enn sel le pep, enn sel nasyon » aillent bien au-delà du slogan bling bling, osons nous retrousser les manches.
Comment les célébrations de la fête de l’indépendance peuvent-elles contribuer à renforcer le patriotisme parmi les jeunes ?
En amont de la cérémonie du drapeau, qu’il y ait une réelle démarche d’éducation à la conscience nationale qui conduirait à un agir mauricien. Comme je l’ai souligné plus haut, les programmes d’études et les manuels scolaires ne répondent pas aux attentes des patriotes convaincus. Ceux-ci sont éduqués et avertis des risques de dérives antipatriotiques. Les éducateurs proactifs essaient de sauver les meubles en proposant aux élèves des espaces de réflexion sur le sujet ou des projets qui exaltent la fibre patriotique. Beaucoup d’initiatives salutaires sont à mettre au crédit de certains établissements scolaires. Certaines ont marqué les esprits et ont fait école. Il y a eu des causeries, forum/débats, concours d’élocution et de rédaction, de chants et de pièces de théâtre, sur des sujets qui promeuvent le sens d’appartenance et l’adhésion à la nation. Des festivals culinaires et vestimentaires, des visites de lieux de mémoire, des rallyes pédestres enrichissent les cérémonies protocolaires parfois austères et entretiennent l’illusion paradisiaque.
En tant que pédagogue, quelles stratégies ou approches éducatives recommandez-vous pour inculquer un sentiment d’attachement à la patrie chez les élèves ?
Pouvons-nous faire l’économie d’une éducation à l’identité individuelle, communautaire et nous attendre à un épanouissement optimal ? Je me permets de simplifier et de schématiser. Les membres les plus prolifiques d’un collectif sont généralement ceux qui savent ce qu’ils sont et l’assument complètement. Les équipes les plus performantes sont celles composées d’individus épanouis en symbiose. Leurs différences, implicites et explicites, endogènes et exogènes, créent paradoxalement la convergence qui mène vers les sommets. J’ose croire et espérer qu’il en est de même pour une nation.
Comment donc configurer l’école capable d’en être le moteur ? Le patriotisme n’est qu’un des enjeux stratégiques de toute nation souveraine. Pour inadéquat qu’il soit, notre système d’éducation peut se vanter de quelques belles réalisations dans le temps et l’espace. Notre insularité et notre manque cruel de ressources font que nous ne devons pas résister à la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il m’arrive de croiser d’anciens élèves ayant complété leur parcours académique à l’étranger. Et je me fais un devoir de leur demander : « votre scolarité primaire et secondaire à Maurice, s’est-elle révélée un atout ou un obstacle à votre épanouissement en terre étrangère ? » Ces jeunes universitaires, en net gain de maturité, reconnaissent d’emblée les failles de notre système. Ils sont surtout prompts à faire les louanges de l’école mauricienne, même si le retour définitif au pays n’est pas souvent à l’agenda. C’est vous dire que tout n’est pas perdu, pour peu que l’on se pose les vraies questions et qu’on se laisse interpeller par les réponses cinglantes et embarrassantes.
Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’une « piece meal approach » quand nous abordons le re-engineering, voire la réinvention, du système éducatif d’un pays. Nous revenons à la charge avec le souhait de nouvelles assises de l’éducation nationale avec tous les partenaires. L’approche devrait être pluridisciplinaire et hors du champ sectaire et politicien (dans le sens nocif du terme). Nous ne pouvons nous payer le luxe d’une éducation complètement déconnectée du vécu des élèves.
Témoignages des élèves
Saadiyah Salehmohamed - Grade 11 - Queen Elizabeth College
« Maurice, mon pays, a su se démarquer en dépit d’être un petit point dans le vaste océan Indien.
Depuis un jeune âge, mes couleurs préférées sont le rouge, le bleu, le jaune et le vert. Je réalise la raison pour laquelle Maurice, mon très cher pays, est considéré comme une île paradisiaque. Maurice maintient une sérénité admirable et je suis énormément fière d’elle !
La chanson d’Abaim “ Rouz Ble Zonn Ver ” est populaire. Tous les ans, j’attends la veille de l’indépendance avec beaucoup d’impatience. La raison est le petit pavillon que je reçois en cadeau. J’en collectionne depuis la maternelle, parce que je ressens une appartenance au pays !
Beaucoup d’étudiants veulent quitter le pays pour s’établir ailleurs. Ce n’est pas mon cas. Je ne sais pas encore quelle carrière je choisirai. Mais je veux rester à Maurice. Je suis de la filière scientifique et je souhaite vraiment contribuer au développement de mon île. Je veux aider les habitants, mes frères, mes sœurs, ma grande famille mauricienne !
Vive Maurice ! »
Riya Riddhima Dwarka– Grade 8 - MGSS Solferino
« L’île Maurice a fait beaucoup de progrès. Nous avons le métro, le new cancer hospital et le nouveau bateau, Peros Banhos. Maurice est un des pays les plus riches d’Afrique. C’est aussi une des destinations touristiques les plus visitées d’Afrique. Je suis très fière de ce que mon pays a réalisé.
Je compte faire mes études supérieures à l’étranger et je ne compte pas retourner à Maurice. Je souhaiterais qu’il y ait plus d’égalité de chances et plus d’opportunités pour les jeunes qui veulent faire les choses différemment. Maurice est mon pays et j’ai le sens d’appartenance pour mon pays. J’ai grandi et vécu dans ce pays et je suis habituée à ses gens et à sa culture. Je suis fière d’être une Mauricienne et de vivre dans ce magnifique pays avec des gens extraordinaires. »
Rudrarani Gangah – Grade 12 - Royal College Curepipe
« Dans le cadre de la fête nationale, je réfléchis sur ce qu’être une Mauriciennee signifie. Pour moi, être Mauricienne est bien plus qu’une simple nationalité. C’est un honneur, une fierté et un privilège.
Laissez-moi vous dire à quel point je suis fière de notre nation. Depuis mon enfance, j’ai été témoin de notre diversité, de la richesse de notre culture et de la force de notre peuple. Chaque fois que je vois notre drapeau flotter dans le vent ou que j’entends notre hymne national retentir, je ressens un sentiment de fierté pour notre patrie. Je porte cette fierté comme un badge d’honneur.
À l’avenir, je veux contribuer au développement de notre nation. Après mes études, je souhaite ardemment mettre mes compétences et mes connaissances au service de Maurice. Je crois fermement en notre potentiel en tant que pays. Et je veux faire partie des personnes qui le propulsent vers un meilleur avenir pour tous les Mauriciens.
Pour moi, être Mauricienne va au-delà de ma nationalité. C’est une connexion profonde avec notre terre, nos traditions et nos valeurs. Chaque fois que je me promène sur nos plages idylliques, que je savoure un délicieux dholl puri ou que je célèbre nos festivals colorés, je me sens chez moi. Maurice coule dans mes veines et être Mauricienne est une partie intégrante de mon identité.
Pour la fête nationale, je célèbre le privilège d’être une Mauricienne. Je suis fière de notre passé et déterminée à façonner notre avenir. Ensemble, nous sommes plus forts, plus unis et plus résilients que jamais. Vive Maurice ! »
Youvraj Cannoo – Grade 12 - St Andrew's School
« L’île Maurice, une perle nichée dans l’océan Indien, est bien plus qu’une simple destination touristique. C’est un melting-pot culturel, une mosaïque de paysages époustouflants et une communauté dynamique. Et chaque endroit raconte une histoire unique. En tant que Mauricien, je suis profondément fier de mon pays et de ce qu’il représente.
D’abord, il y a la diversité culturelle qui caractérise si bien l’île Maurice. Notre population est un kaléidoscope de traditions, de langues et de coutumes. L’hindouisme, le christianisme, l’islam et le bouddhisme coexistent harmonieusement. Les festivals colorés : Cavadee et Divali célèbrent notre héritage avec éclat et ferveur.
Ensuite, il y a la beauté naturelle incomparable de notre île. Du sable blanc immaculé des plages aux sommets vertigineux des montagnes, chaque paysage est une invitation à l’émerveillement. Les eaux cristallines abritent une biodiversité marine spectaculaire, tandis que les terres intérieures regorgent de forêts luxuriantes et de cascades pittoresques. Parcourir l’île, c’est découvrir un monde de contrastes, où la tranquillité des lagons rencontre l’effervescence des marchés locaux.
Mais ce sont les valeurs qui animent notre société qui me rendent fier d’être Mauricien. Malgré nos différences, nous sommes unis par un profond sens de la solidarité et d’entraide. En période de crise, qu’il s’agisse de cyclones dévastateurs ou d’une pandémie mondiale, nous nous serons les coudes pour surmonter les épreuves. Notre capacité à rebondir face à l’adversité et à cultiver l’espoir dans l’adversité est une source d’inspiration pour le monde entier.
En conclusion, être Mauricien est bien plus qu’une identité, c’est un héritage précieux et une responsabilité. C’est embrasser la richesse de notre passé tout en regardant vers l’avenir avec optimisme et détermination. C’est être le gardien de notre patrimoine naturel et culturel, tout en nourrissant les graines du progrès et de l’innovation. En tant que jeune, je m’engage à préserver mon pays et à le faire prospérer pour les générations à venir. »
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !