Interview

Edley Maurer : « Ce problème de pauvreté dépasse l’individu »

Edley Maurer

Le travailleur social, éducateur et manager de Safire, Edley Maurer, dresse un tableau sombre de la situation. En marge de la Journée mondiale du refus de la pauvreté, célébrée le 17 octobre, il est d’avis que tout reste à faire dans cette lutte et que la précarité concerne le système dans son ensemble.

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« Aider les pauvres est un long processus, car tous ne réagissent pas de la même façon et au même rythme. Il faudrait remplacer le mot “éradication” par accompagnement, écoute et éducation pour accéder à  l’autonomie »

Vous qui êtes sur le terrain, quel est votre constat s’agissant de la pauvreté. Est-ce vrai comme l’indique la Poverty Analysis de 2012, que 33 600 foyers vivent dans l’extrême pauvreté ?
La situation est assez préoccupante sur le terrain. Beaucoup de Mauriciens font face à des difficultés financières. Ces personnes dans la pauvreté vivent dans les quelque 229 zones d’exclusion. Vu le nombre de familles qui y vivent, on ne peut vraiment se fier aux statistiques. Il y a tant de problèmes comme le manque d’éducation, de formation et un gros problème de logement adéquat. L’État doit assumer ses responsabilités.

Depuis que le nouveau gouvernement est en place, on attend beaucoup. Surtout le Plan Marshall. Le ministère de l’Intégration sociale met l’accent sur le profiling des personnes vivant dans ces zones d’exclusion. On les encourage à s’inscrire au registre de la sécurité sociale pour bénéficier d’un suivi de la National Empowerment Foundation, mais très souvent l’information n’arrive pas jusqu’à elles. Il n’y a donc pas d’accompagnement. Il faut s’assurer que, lorsqu’on met en place un programme, il touche le public ciblé.

Que pensez-vous de l’allocation qui sera payée aux familles dans la détresse ?
Il y a différentes manières de voir les choses. Une famille composée d’un père, d’une mère et de deux enfants touchera environ Rs 9 000. Il y a des gens qui travaillent, mais ne touchent pas cette somme. Il y a aussi des familles dans les zones d’exclusion, mais elles ne sont pas inscrites au registre. J’insiste sur le fait qu’il faut un accompagnement, pour que ceux qui perçoivent cette aide ne tombent pas dans l’assistanat.

La création de la nouvelle CSR Foundation est pour bientôt. Croyez-vous que les nouveaux critères assureront un partage équitable de cet argent ?
Toutes les ONG travaillent de concert. Nous sommes là pour une mission spécifique. L’objectif final est de réduire le taux de pauvreté d’ici 2030. Pour cela, il faut un plan d’action bien établi. D’où le fait qu’il est important de mettre en place un réseau spécifique. 

Pravind Jugnauth a, au Parlement, soutenu qu’il y a une ONG qui s’est servi de l’argent du CSR, soit Rs 1 million, pour organiser un match de cricket destiné à des personnes ayant les moyens. Ul y a-t-il eu abus de la part de certaines ONG ?
L’argent du CSR doit être destiné à des projets dont on peut voir l’impact sur la vie des gens. Cela, en améliorant leur condition de vie. Il y a un travail en profondeur à effectuer et tellement d’améliorations à apporter dans différents domaines à Maurice.

Le Plan Marshall aidera-t-il vraiment à combattre la pauvreté ?
Personnellement, je suis déçu que pas mal de gens travaillant sur le terrain n’ont pas été consultés pour l’élaboration de ce plan, élaboré par des étrangers. Or, ils ne sont pas conscients des réalités du pays contrairement à ceux qui sont sur le terrain. Ce qui fait que ceux directement concernés pourraient trouver des lacunes lorsque viendra la phase de mise en œuvre. Entre-temps, le gouvernement aura dépensé pas mal d’argent. Puis, il faut comprendre qu’on ne peut pas décider pour les personnes se trouvant dans cette situation, mais avec eux. Les ONG auraient pu être le pont entre les pauvres et les décideurs.

Ne doit-on pas aider les personnes vivant dans la précarité à être autonomes, en mettant l’accent sur l’éducation, justement pour qu’elles ne tombent pas dans l’assistanat ?
Tout accompagnement doit aboutir à l’autonomie. On ne peut pas juste donner une allocation sans savoir quand ces personnes pourront prendre leurs responsabilités et combien de temps il faudra les soutenir. Il est donc important que chacun joue le jeu, en profitant de la formation et de toute aide pouvant mener vers l’autonomie.

C’est un fait qu’à Maurice, on conçoit de moins en moins d’enfants. Comment expliquer néanmoins que la pauvreté soit toujours un problème ?
Ce problème dépasse l’individu et concerne le système en général. Il faut comprendre pourquoi, même si l’éducation est gratuite, il y a encore des échecs. Ou encore, bien qu’il y ait un accompagnement, certains n’arrivent pas à sortir la tête de l’eau à cause de la stigmatisation. La société doit changer de regard, aider et accueillir les personnes vivant dans la pauvreté. Prenons le cas d’un ex-détenu ou d’une ex-prostituée. C’est difficile pour cette personne de se réhabiliter, car on lui a collé une étiquette.

Xavier-Luc Duval dénonce l’irresponsabilité des parents, qui conçoivent des enfants, alors qu’ils n’ont pas les moyens financiers pour les élever. Quel est votre point de vue là-dessus ?
Pour pouvoir critiquer, il faut avant tout comprendre. Je trouve ces remarques injustes. On ne vit pas dans les mêmes conditions que ces personnes. Les aider à s’en sortir et les éduquer est donc ce qu’il convient de faire.

Le ministre des Finances affirme que les mesures prises par le gouvernement ne sont pas uniquement pour palier le problème de la pauvreté, mais aussi pour rendre les démunis autonomes sur le long terme. Que faut-il pour cela ?
Il faut investir dans l’accompagnement à long terme. Il faut commencer quelque part pour pouvoir améliorer la vie des gens d’ici 2030, comme le veut le Premier ministre. Aujourd’hui, on ne peut pas faire du social sans formation adéquate. Il faut des personnes compétentes et pas que des koler lafis.

Ne faut-il pas revoir la politique de logement pour ceux au bas de l’échelle, en termes d’espace vivable ?
Il faut une politique de logement bien définie pour les pauvres. Cela dit, les logements qui leur sont proposés jusqu’ici laissent à désirer.

Mgr Maurice Piat dit que le mot « éradication » est à bannir. Êtes-vous sur la même longueur d’onde que lui ?
On a affaire à des humains et ils ne peuvent se reconstruire en un jour. Aider les pauvres est un long processus, car tous ne réagissent pas de la même façon et au même rythme. Il faut donc remplacer le mot « éradication » par accompagnement, écoute et éducation menant à l’autonomie.

 

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