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Éclairage - Affidavit : la 'vérité' à double tranchant 

Selon Me Ravi Rutnah, l’avoué chargé de rédiger un affidavit doit s’assurer que les déclarations sont vérifiables. Me Taij Dabycharun plaide pour une révision des peines infligées aux personnes qui jurent de faux affidavits. 

Ces derniers temps, les affidavits se multiplient avec des révélations fracassantes. Chacun y va de sa déclaration solennelle pour clamer justice ou jeter l’opprobre. Le 31 juillet 2024, Vishal Shibchurn, 50 ans, en a juré un depuis sa cellule à La Bastille, accusant des personnalités et affirmant que Rs 25 millions ont été versées pour l’assassinat de Soopramanien Kistnen. Ses affirmations nécessitent toutefois un examen minutieux. Quels sont les enjeux et impacts des affidavits ? Qui peut en jurer un ? Quels sont les risques d’abus ? Éclairage avec Mes Ravi Rutnah et Taij Dabycharun.

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Qu’est-ce qu’un affidavit ? 
« Un affidavit est un document juridique rédigé par un avoué, suivant précisément les instructions de son client. Ce document doit ensuite être juré devant la justice et la personne qui prête serment atteste la véracité des faits énoncés », explique Me Ravi Rutnah. Me Taij Dabycharun précise qu’il peut être utilisé dans plusieurs circonstances, notamment dans une affaire de succession, de divorce ou d’injonction. 

Me Ravi Rutnah précise cependant que l’avoué responsable de la rédaction d’un affidavit doit veiller à ce que les déclarations de son client soient étayées par des preuves vérifiables. « Le client doit fournir des documents corroborants qui soutiennent la véracité de ses dires, tels que les relevés téléphoniques des personnes mentionnées dans l’affidavit, pour démontrer qu’une rencontre a réellement eu lieu et qu’il y a eu des communications à l’époque indiquée », explique l’avocat. Selon lui, l’avoué porte une part de responsabilité dans la vérification des faits et ne peut se contenter des seules assertions du client sans preuves tangibles pour les soutenir.

Quelle est son importance ?
Les deux avocats expliquent qu’un affidavit a la même valeur qu’un témoignage fait sous serment devant une cour de justice. 

Qui peut en jurer un ?
Selon Me Ravi Rutnah, toute personne souhaitant jurer un affidavit doit être âgée de 18 ans et posséder toutes ses facultés mentales. « La loi s’applique à tout le monde, car nous vivons dans un État de droit », souligne-t-il. Les deux avocats précisent que même un détenu ou un récidiviste notoire peut être amené à jurer un affidavit, tant que les conditions légales sont respectées.

Si un détenu ou un récidiviste notoire jure un affidavit, celui-ci aura-t-il la même valeur ? 
« En raison de son caractère, un affidavit juré par un récidiviste notoire est susceptible d’induire son entourage en erreur. Ainsi, bien que le document puisse contenir des faits véridiques, sa crédibilité peut être mise en question », explique Me Ravi Rutnah.

Pour sa part, Me Taij Dabycharun indique qu’une déclaration faite sous serment conserve sa validité, indépendamment du statut de la personne qui la prête. « Ainsi, même si elle est détenue ou récidiviste notoire, cela n’affecte pas intrinsèquement la crédibilité de l’affidavit lui-même. »

Qu’encourt une personne qui jure un faux affidavit ? 
Les deux avocats citent l’article 195 de la Courts Act, qui stipule que la personne ayant juré un faux affidavit peut être poursuivie en justice. Ce délit est pris très au sérieux et, en cas de culpabilité, l’individu risque jusqu’à trois ans de prison et une amende minimale de Rs 10 000. 

Les avocats précisent que tout faux témoignage en Cour peut également conduire à une accusation de parjure au pénal. Cette infraction est punie d’une peine d’emprisonnement d’au moins vingt ans et d’une amende pouvant atteindre Rs 100 000.

Quid pour celui qui a rédigé l’affidavit ? 
« Le juriste responsable de la rédaction de l’affidavit doit faire preuve d’une rigueur absolue en vérifiant les faits rapportés par son client. On note plusieurs zones d’ombre dans le document en question. Le premier constat est que Vishal Shibchurn évoque une réunion en janvier 2022 avec le dénommé Manan Fakhoo. Or, ce dernier a été tué par balle le 21 janvier 2021 à Beau-Bassin », souligne Me Ravi Rutnah. Il fait également état de la résidence d’une personnalité proche du Premier ministre à Vacoas, alors que cette dernière réside à Poste-de-Flacq depuis 2019. 

Selon Me Ravi Rutnah, de telles erreurs peuvent mener à des sanctions pour l’avocat auprès de la Mauritius Law Society (MLS) pour violation du code d’éthique. Les conséquences peuvent être potentiellement graves, incluant une radiation, précise Me Taij Dabycharun. 

Autre élément : Me Rutnah prévient si l’enquête policière révèle un complot, le juriste pourrait également faire face à des poursuites pénales. Les deux avocats notent que l’avoué et son client risquent aussi d’être poursuivis au civil par les personnes citées dans l’affidavit pour les dommages subis à la suite de cette publication préjudiciable.  

Constat

Pour Me Ravi Rutnah, cet affidavit semble avoir été fabriqué de toutes pièces dans le but de nuire à certaines personnes. De son côté, Me Taij Dabycharun s’interroge sur les zones d’ombre entourant cet affidavit : « Est-ce que cette affaire cache des enjeux politiques ? Quelle est la raison de présenter un affidavit quatre ans après les faits pour dénoncer un crime ? Pourquoi l’auteur ne s’est-il pas présenté lors de l’enquête préliminaire pour témoigner ? Pourquoi ne s’est-il pas présenté lors de l’enquête préliminaire pour témoigner de ces faits ? La police mènera-t-elle une enquête pour vérifier la véracité des dires du quinquagénaire ? Ou s’agit-il d’une question politique ? » 

Me Dabycharun plaide pour une révision des peines infligées aux personnes qui jurent de faux affidavits, jugeant que les sanctions actuelles sont trop légères. Il souligne enfin la difficulté d’établir la véracité des faits énoncés dans un affidavit, ce qui ajoute une couche de complexité à l’affaire.


Des exemples d’affaires passées en cour

Un septuagénaire reconnu coupable en 2012

En mars 2012, un septuagénaire de Rose-Hill a été condamné par la Cour intermédiaire pour avoir juré un faux affidavit. Il a été mis à l’amende. L’instance judiciaire lui a accordé la liberté conditionnelle à condition qu’il fournisse une caution de Rs 75 000 et qu’il reste en conformité avec la loi pendant trois ans.  Le septuagénaire avait affirmé dans son affidavit qu’il connaissait bien un certain R. M. et que ce dernier occupait un terrain à Rose-Belle depuis plus de trente ans. Cependant, une enquête policière a révélé que cet affidavit était entièrement faux.

Un couple mis à l’amende en 2020 

En juillet 2020, un homme, alors âgé de 58 ans, et son épouse, âgée de 59 ans, ont été condamnés à une amende de Rs 8 000 chacun par la Cour intermédiaire. Ce couple originaire de Wooton avait juré un affidavit le 18 août 2006 devant la Cour suprême. 

Dans ce document, ils disaient être les seuls à négocier des transactions au nom de leur société avec n’importe quelle institution bancaire, assurant qu’il existait une « perfect identity among the said society ». Bien que le couple ait initialement plaidé non coupable, il s’est finalement rétracté. Il a plaidé coupable d’avoir juré un faux affidavit. 

 

 

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