Ce qui aurait dû être perçu comme un geste salutaire pour la démocratie parlementaire et être une occasion en or pour le gouvernement de marquer des points a été terni par la controverse. La démission de Sooroojdev Phokeer du poste de Speaker en faveur d’Adrien Duval résulterait d’une série de mises en scène orchestrées pour servir une stratégie politique.
Durant son mandat, qui avait débuté en 2019, Sooroojdev Phokeer a souvent fait l’objet de critiques sur son comportement, son excès de zèle et sa « partialité ». Sa démission du poste de Speaker de l’Assemblée nationale aurait donc dû être saluée tant par l’opposition que par l’opinion publique. Cela aurait aussi pu être l’occasion pour le gouvernement de gagner des points aux yeux du public.
Mais au lieu de cela, l’opposition est plus énervée que jamais. Raison : la nomination d’Adrien Duval à ce poste et les conditions entourant son élection. Cela n’a fait qu’attiser le courroux de l’opposition. De nombreux observateurs y voient une manœuvre politique entre le Mouvement socialiste militant (MSM) et le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) plutôt qu’une véritable volonté de rétablir la démocratie parlementaire.
Milan Meetharban se dit convaincu que l’exercice de remplacement de Sooroojdev Phokeer relève uniquement d’une stratégie politique. « Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas simplement décidé de promouvoir Zahid Nazurally Speaker ? Parce qu’il fallait créer les conditions nécessaires pour que le PMSD puisse avoir un pied dans le pouvoir, quitte à faire un affront à son allié, le Muvman Liberater », estime l’observateur politique et constitutionnaliste.
Il ajoute qu’il suffit d’observer le déroulement des événements avec du recul. Son analyse est que cela s’est joué dans les coulisses politiques depuis un certain temps. Pour lui, à la lueur des récents événements, il y a eu une mise en scène autour de la nomination du Speaker.
« D’abord, il y a eu le post de Xavier-Luc Duval sur Facebook, publié une semaine avant le départ de Sooroojdev Phokeer, où il mentionnait la nécessité de trouver une solution concernant la situation au Parlement », dit-il.
Ce n’est rien d’autre qu’une stratégie politique. (...) Il était clair que le PMSD finirait par se rallier au MSM.
Autre point que met en lumière Milan Meetarbhan : la maladie avancée par Sooroojdev Phokeer. « Lorsqu’il a été admis à l’hôpital, il a laissé entendre qu’il serait absent du Parlement pendant un certain temps et la question de sa démission n’a jamais été évoquée », souligne-t-il.
Ce qui apporte davantage d’eau à son moulin est la réponse donnée par l’ancien Speaker quand il a été interrogé sur le communiqué de la Clerk de l’Assemblée nationale annonçant sa démission. « Il a clairement affirmé n’avoir jamais parlé de démission », fait ressortir l’observateur politique.
Il est d’avis qu’en nommant Adrien Duval, le Premier ministre a cherché à réaliser un double objectif. « En évinçant Sooroojdev Phokeer, Pravind Jugnauth a voulu montrer à la population que le poste de Speaker était un fardeau considérable. En nommant Adrien Duval à ce poste, il a également envoyé un message très clair sur ses prochaines stratégies électorales », explique-t-il.
Manœuvres politiques
« Cette opération n’a rien à voir avec un élan démocratique de la part du MSM. La population n’attend rien du MSM en matière d’espace démocratique à Maurice, car il est bien connu que ce parti n’a jamais été un grand défenseur de la démocratie », soutient, pour sa part, Ram Seegobin, représentant du parti de gauche Lalit.
Il estime que les récents événements ayant abouti à la nomination d’Adrien Duval comme Speaker n’ont jamais été guidés par des préoccupations démocratiques. Selon lui, le changement de leadership à l’Assemblée nationale a été orchestré sans véritable souci de réformer ou d’améliorer le fonctionnement démocratique.
« Ce n’est rien d’autre qu’une stratégie politique. Depuis son départ de l’opposition, il était clair que le PMSD finirait par se rallier au MSM. Les réunions entre Xavier-Luc Duval, Patrick Belcourt et Bruneau Laurette n’étaient que de simples démonstrations de courtoisie politique, sans véritable substance », indique Ram Seegobin.
Il est d’avis que la démission de Sooroojdev Phokeer ne représente qu’une pièce d’un puzzle plus vaste de manœuvres politiques. « En fin de compte, cette décision témoigne du fait que Xavier-Luc Duval a réussi à se débarrasser de Sooroojdev Phokeer auquel il a eu à se confronter pendant plusieurs années », conclut Ram Seegobin.
L’absence de communication déplorée
Ce qui a surtout contribué à exacerber la polémique, selon plusieurs observateurs politiques, c’est le manque de communication autour de la nomination d’Adrien Duval. Avant même sa prestation de serment jeudi, il y avait des spéculations suggérant qu’il deviendrait Speaker. Or, rien d’officiel n’a été confirmé dès cet instant-là.
Ce n’est que jeudi dernier qu’Adrien Duval a été officiellement confirmé au poste de Speaker, le jour même de sa prestation de serment. Nombre d’observateurs estiment que ce manque de communication autour d’un exercice aussi crucial a certainement alimenté la polémique et exacerbé les tensions.
« L’attitude de l’opposition ce jour-là est certes condamnable. Mais il y a clairement eu une mauvaise préparation de l’opinion publique à cet égard. Avec une communication plus efficace, le gouvernement aurait pu gérer la nomination d’Adrien Duval dans de meilleures conditions », concluent ces mêmes observateurs.
Contradictions
Des observateurs relèvent un autre point intéressant : dans un premier temps, Sooroojdev Phokeer avait affirmé avoir subi deux interventions chirurgicales. Cependant, ses déclarations ultérieures à la presse après sa démission du poste de Speaker ont semé la confusion.
Dans une interview accordée à Wazaa FM, il a indiqué qu’il attendait l’avis de ses médecins pour savoir s’il devrait subir une deuxième opération. Des contradictions qui, selon des observateurs, renforcent le doute quant aux véritables circonstances entourant sa démission.
Zahid Nazurally irrite
La controverse entourant la nomination d’Adrien Duval s’est révélée particulièrement embarrassante pour le Deputy Speaker, Zahid Nazurally. Selon plusieurs observateurs, cette situation aurait pu être évitée en lui permettant d’accéder au poste de Speaker, compte tenu de son soutien unanime au sein de l’opposition.
La situation de Zahid Nazurally est aujourd’hui très compliquée. Depuis jeudi dernier, il suscite la colère de plusieurs membres du gouvernement ainsi que de son propre parti. Certains percevraient ses échanges avec l’opposition, avant la prestation de serment d’Adrien Duval, comme de l’insubordination.
« Il n’aurait tout simplement pas dû communiquer avec les membres de l’opposition. En agissant de la sorte, il a joué le jeu de l’opposition », déclare un membre du gouvernement. Un autre membre du Muvman Liberater partage ce point de vue et ne cache pas son mécontentement. L’affaire sera soulevée dans les instances du parti, apprend-on.
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