De son village natal de Caroline à Manhattan, Haseena Mohammodally a bâti un empire de la restauration aux États-Unis. Portrait d’une Mauricienne déterminée qui a transformé son rêve américain en réalité.
Une entreprise à 120 millions de dollars. 292 employés. Quinze établissements dans des aéroports américains. Des victoires contre Starbucks. Bill Clinton parmi ses clients. Voilà ce qu’une Mauricienne d’un village de l’Est a réussi à bâtir dans l’un des pays les plus compétitifs du monde.
Haseena Mohammodally a cassé la baraque outre-Atlantique. Dans un pays dit macho et sexiste, cette Mauricienne a transformé l’ambition en bandoulière et le sacrifice en success story. Nager à contre-sens, faire face à l’adversité et aux contraintes liées à ses origines : tout cela a fait de ce petit bout de femme une véritable guerrière. Son parcours incarne parfaitement le dicton américain : « When they go low, we go high. »
Elle a pris au sérieux « The American dream ». Mais tout a commencé ailleurs. Très loin de Manhattan. Le chant des coqs résonne encore dans sa mémoire. Caroline, village de Bel-Air, où tout le monde se connaît, où les journées commencent avec le chant des coqs et se terminent au rythme de la vie simple et souvent banale d’un village. C’est là que Haseena a grandi, bercée par l’odeur du commerce familial et les conversations animées autour des affaires de son père.
Son père dirigeait une entreprise d’export, possédait des magasins et des bus. Ses grands-parents avaient eux aussi leurs commerces. Dans cette ambiance paisible, la petite Haseena absorbe tout : les négociations, les décisions, les risques calculés. Très jeune, elle apprend que l’entrepreneuriat n’est pas seulement une question d’argent, mais aussi de vision, de patience et de persévérance.
« Je crois que le business est dans mon ADN hérité de mes parents », dira-t-elle plus tard avec un sourire, comme si cette évidence coulait naturellement dans ses veines. Ce n’est pas une figure de style. C’est une vérité organique, viscérale.
Mais l’entrepreneuriat qu’elle observe depuis l’enfance ne suffit pas à contenir ses ambitions. Adolescente, elle caresse déjà un rêve plus vaste, plus vertigineux : l’Amérique. Ce pays dont on parle comme d’une terre de possibles infinis, où les règles du jeu semblent différentes.
Quitter son village. Quitter sa famille. L’idée est à la fois enivrante et terrifiante. Ce n’est pas une décision facile à prendre. Puis vient ce moment décisif. Son père la regarde droit dans les yeux et lui dit simplement : « Vas-y, fais tes études, découvre le monde. »
Ces mots-là, Haseena ne les oubliera jamais. « Son soutien a été la pierre angulaire de mon parcours. Ses mots ont été comme un phare dans l’obscurité », se souvient-elle. Cela lui donne la confiance nécessaire pour franchir l’océan. La bénédiction de son père devient son talisman. Elle s’installe aux États-Unis.
« Do or die »
L’Amérique ne ressemble à rien de ce qu’elle connaît. Fouler le sol des États-Unis, c’était un tout nouveau monde. Un pays immense, des villes effervescentes, une culture qu’elle doit apprivoiser. Elle s’inscrit en administration des affaires, déterminée à apprendre et à construire sa carrière.
« J’ai dû repartir de zéro. Tout était nouveau : la langue, le système, les méthodes. Mais je savais pourquoi j’étais là et que je me devais de réussir. Comme dirait l’Anglais : ‘do or die’. »
Seule, loin de sa famille, elle se forge rapidement une discipline de travail et une résilience qui deviendront les bases de son succès. Sa devise devient sa religion. Son ambition était claire : elle voulait faire plus que survivre, elle voulait réussir. Inspirée par son père et soutenue par ses parents, elle saisit chaque opportunité qui se présente.
Après ses études, elle explore différents emplois pour comprendre le fonctionnement du marché américain. Elle sait qu’aucun succès ne viendra sans effort et que chaque petite expérience est un pas vers son objectif : la réussite avec un grand R.
L’opportunité surgit par un ami : investir dans un restaurant. Haseena accepte et place 10 % dans l’entreprise pour environ 200 000 dollars. Le restaurant s’appelle Nan King, cuisine indo-chinoise, situé au cœur battant de Manhattan : Times Square. « Je venais du secteur financier, je n’avais jamais travaillé dans la restauration. Mais j’ai appris sur le tas, observé, compris le marché et fructifié mes contacts. »
Ce premier investissement est modeste, mais il est décisif. Elle ne se contente pas d’être investisseuse passive. Il lui permet de comprendre les rouages d’une entreprise, la complexité de la gestion et l’importance de l’adaptabilité. Elle s’implique, pose des questions, apprend et construit patiemment les bases de son futur empire qu’elle cache dans un petit coin de sa tête.
Le tournant
Une rencontre change tout. Un membre de la direction de l’aéroport l’encourage à postuler le programme ACDBE, qui soutient les entreprises détenues par des femmes. Haseena saisit l’opportunité, passe les entretiens et, six semaines plus tard, reçoit une réponse positive. « C’était la confirmation que je pouvais y arriver. Que mon travail acharné portait enfin ses fruits. »
Ce moment marque un tournant dans sa vie professionnelle. Toutes ces années d’efforts, de discipline, de sacrifices… tout prenait enfin sens.
En 2017, Haseena lance son premier restaurant en solo, Mezze, au Times Square. Le nom, inspiré du mot « meze » qui signifie petites portions de nourriture, symbolise son concept : proposer des plats de qualité, accessibles et pensés pour le partage et la convivialité. « Je voulais que chaque client sente qu’on prenait soin de lui, que chaque plat ait du sens. »
Times Square : le choix de cet emplacement n’était pas anodin. L’endroit le plus prestigieux, le plus coûteux, le plus concurrentiel. Elle aurait pu choisir plus prudent, plus raisonnable. Malgré cela, Haseena décide de se lancer, portée par la confiance et la bénédiction de son père. « Je savais que si je réussissais ici, tout serait possible. »
Le succès arrive rapidement. Les clients affluent, le bouche-à-oreille fonctionne, et l’enseigne devient un symbole de qualité et d’excellence. Encouragée par ce succès, elle ouvre rapidement une deuxième franchise dans le New Jersey.
Le résultat est le même : succès et expansion. Puis viennent les opportunités dans les aéroports JFK et LaGuardia, où elle s’impose face à la concurrence.
Haseena choisit le modèle de franchise pour garder le contrôle total de son entreprise et en récolter tous les fruits. Elle développe ainsi d’autres franchises, dont NY Creperie. Et puis vient l’exploit : remporter un appel d’offres contre Starbucks. Non pas une fois, mais deux.
« Battre un géant mondial n’est jamais facile, mais le travail acharné, la persévérance et la confiance en soi font toute la différence. » Ce n’est pas de l’arrogance dans sa voix. C’est de la certitude. La certitude de celle qui a payé le prix, qui connaît la valeur de chaque victoire.
Vision d’expansion
Aujourd’hui, Mezze et ses franchises emploient 292 personnes. La société est évaluée à 120 millions de dollars. Au taux actuel, cela représente environ 5,4 milliards de roupies mauriciennes. Mais pour Haseena, le chiffre n’est pas tout. « La qualité et la constance sont les piliers de mon entreprise. Chaque détail compte. C’est ce qui fait que nos clients reviennent et nous recommandent, y compris des personnalités, comme l’ancien président Bill Clinton », raconte-t-elle avec fierté.
Son prochain grand projet : un PanAm Café au Terminal 1 de l’aéroport JFK. Dès janvier 2026, elle aura quinze établissements dans les aéroports américains. Deux autres ouvertures sont programmées pour fin janvier 2026 : Black Tap et Tender Crush. Plus d’une cinquantaine d’emplois seront créés.
Elle poursuit méthodiquement l’expansion de son empire entrepreneurial, toujours tournée vers l’avenir. Elle reste à l’écoute de nouvelles opportunités, notamment dans le secteur des hôtels de luxe et d’autres emplacements stratégiques, confirmant une vision d’expansion à la fois ambitieuse et réfléchie.
Malgré sa réussite aux États-Unis, Haseena reste profondément attachée à Maurice. Elle visite l’île trois fois par an, pour sa famille. Le petit village de Caroline demeure ancré en elle. Elle rêve de contribuer à l’économie locale. « J’aimerais créer quelque chose à Maurice, que ce soit dans les hôtels ou à l’aéroport, mais il faut trouver le bon projet et le bon emplacement. »
Son inspiration vient avant tout de sa famille, notamment de son père, dont la bénédiction a été décisive dans son parcours. Professionnellement, elle s’inspire des amis et de collaborateurs qui l’entourent. Malgré ses responsabilités, elle garde une vie simple et humble. Elle aime la musique, le rire, passer du temps avec sa famille et profiter des petits moments de la vie. Pour Haseena, le plus important est de garder le mouvement et de savourer chaque instant.
Son message pour les jeunes entrepreneurs est limpide : « Continuez, ne regardez jamais en arrière. Rêvez et avancez constamment. » Haseena Mohammodally est la preuve vivante que la réussite peut naître d’un petit village, d’une bénédiction familiale et d’une vision claire. De ses premiers investissements à Times Square aux franchises dans les aéroports américains, son parcours illustre la combinaison parfaite de travail acharné, persévérance, courage et amour familial.
Le rêve est gratuit, paraît-il. Mais la réalisation, elle, a un prix. Haseena l’a payé. Et elle continue d’avancer, portée par ce phare dans l’obscurité que son père a allumé il y a des années, quand il lui a simplement dit : « Vas-y. »





