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Drogues de synthèse : leur dangerosité pointée du doigt par les spécialistes

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Créées à base de substances chimiques de manière aléatoire, les drogues de synthèse dites « drogues sur mesure » procurent des sensations bien plus fortes que celles faites d’ingrédients naturels. Ainsi témoignent ceux qui les ont essayés. Quelles sont les sensations ? Quelles répercussions sur le cerveau ? Que devient la vie de ces personnes qui sont tombées dans cet enfer ? Quel recours pour s’en sortir ? Le point dans ce dossier. 


Human story

Lindley.
Lindley.

Lindley (30 ans) : « To seye to tasser… »

Lindley * (prénom modifié), qui a mis fin à sa scolarité en Form III, vit dans une localité où la drogue fait des ravages depuis longtemps. Il s’est drogué pour la première fois à l’âge de 14 ans et a commencé avec du cannabis. « Monn fim mo premye mass ek ban kamouad dan lendrwa. Sa lepok le mo ti pe ramass mo kass gato pou aste canabis. So prix ti Rs 50 a 75, puis lin monte ek li ti pe coute Rs 200 à Rs 400. Mo ti pe fime tou le zour. Pou kontinn aste, mo ti pe fer ban ti boulo ici ek la. Monn fim sa ziska laz 18 an », confie le jeune homme, qui est aujourd’hui père de famille. 
Le temps passe et il entend qu’une nouvelle drogue circule dans le quartier. « Spice, banla ti p dir sa ». Évidemment, Lindley se laisse tenter et pour s’en procurer, il « mett enn koste » avec ses amis. Une fois cette nouvelle drogue en main, la petite bande se dirige vers les bois pour fumer sous formes de cigarettes, une poussière de feuilles de couleur rougeâtre. « Banla ti pe dir sa strawberry quick. Premye fwa monn seye, monn gayn enn la frayer. Mo ban kamouad inn dir moi pas kass la tet to pou korek. Enn de kou risse em, monn eklate ar nissa », se rappelle-t-il. Pendant une heure, il reste dans les vapes, mais il y prend rapidement goût à cette drogue de synthèse importée qui coûte moins cher que le cannabis. « À Rs 100 le carré, je pouvais fumer une trentaine de cigarettes », dit le jeune homme qui indique que la Spice devient sa source de plaisir jusqu’à ses 28 ans. Mais comment arrive-t-il se procurer cette drogue qui est importée ? « Li rant dan moris par plisier facon. Nou ti pe meme gagn li en express delivery », dit-il.

Les drogues synthétiques plus puissantes, dangereuses et addictives que les drogues classiques 

Puis, en cas de rupture de stock, il  se rabat sur les drogues de synthèse disponibles sur le marché local, notamment Wasabi, Black Mamba, C’est pas bien, Batt dan latet ou encore Mary Joyce. « Apre monn met enn pose ar sa. Parski mo ti pe kumans gagn bouton dilo partou lor mo lekor ek mo ti pe gayn ban flem marrons. Apre kan aste sa, pa kone ki fabrikan la inn mett la dan. Ena servi la paye dite, fey romarin ou fey sousou ek zot asperge li ek acetone, benzine, pwazon lera ek enn tas zafair ankor. Pa ti pe konne ki ti pe met dan lekor », relate le jeune homme qui avoue avoir fait plusieurs rechutes. 

Mais après avoir été condamné pour une affaire de drogue, il a décidé d’arrêter. Désormais, il gagne sa vie comme peintre et à l’avenir, il souhaite construire une maison pour sa femme et sa fille. Son message aux jeunes est le suivant : « To seye to tasser ». Il fait aussi ressortir que « zordi, ena tipti zanfan, zeness, gran ek vie dimoun ki fim simik ».


Les sensations 

Mahen Groodoyal.
Mahen Groodoyal.

Mahen Groodoyal, ex-toxicomane : « Dans l’univers de la drogue, tout se sait » 

Est-ce que les sensations que procurent les drogues de synthèse sont différentes des substances naturelles ? C’est le cas, indique Mahen Groodoyal du Collectif Urgence Toxida (CUT) : « Les sensations sont étranges et ravagent la santé ». Cet ancien toxicomane, âgé d’une quarantaine d’années, a plongé dans la drogue à cause d’une enfance difficile marquée par la violence domestique. « J’étais frustré par mon impuissance à protéger ma mère de mon père qui était violent. Je me suis donc réfugié dans la drogue pour tout oublier », explique-t-il. Puis, quand sa mère est morte, il a décidé de changer de vie. Dorénavant, il travaille sur le terrain aux côtés du personnel d’une ONG. Il dit avoir constaté que de nos jours, les enfants et les adolescents consomment de la drogue de synthèse de manière excessive. « Ayant gouté à ce type de drogue, je déconseille aux jeunes d’y toucher ». 

Quand il se droguait, Mahen Groodoyal indique avoir essayé diverses substances sous différentes formes. « Tout a commencé par curiosité. J’avais 13 ans, lorsque j’ai fumé mon premier joint et en simultané, je buvais sans cesse des sirops pour la toux. Cette combinaison me procurait une sensation de légèreté et de bien-être et me permettait surtout d’oublier ce qui se passait à la maison », indique-t-il.

En se basant sur son vécu, il indique qu’en comparaison avec les drogues de synthèse, les effets psychoactifs du cannabis sont modérés. « Le cannabis amplifie les sensations, mais cela varie en fonction de chaque personne. Après un joint, j’avais une légère sensation de planer, couplée à l’euphorie, l’humour facile, l’apparition d’un sourire ou encore à des rires ». En revanche, l’héroïne (brown sugar) a des effets immédiats. « J’avais 17 ans quand je me suis injecté cette drogue par voie intraveineuse pour la première fois. Au début, j’ai  eu des vomissements, mais au fil des jours, cette euphorie intense s’accompagnait d’une sensation de chaleur et de relaxation à travers tout le corps. Cela me plaisait », avoue-t-il. 
Mahen s’est aussi injecté de La Blanche, une drogue très populaire en 1990. « Les effets étaient quasi similaires à ceux de l’héroïne, mais ils variaient selon les produits utilisés par les fabricants ». À un moment donné, face à la pénurie de drogue au pays, il s’est tourné vers les psychotropes, notamment le Subutex, très addictif, mais pauvre en sensations.

Les drogues synthétiques : le paradis qui mène à l’enfer

Mahen Groodoyal a découvert la drogue synthétique, notamment la Spice par un de ses amis. « Mo ena enn zafer pou twa. Li fort sanla. To pou kav manz sa, twa », m’a-t-il dit. Après avoir pris deux bouffées, il était complètement K.O. « Pourtan, monn contine fime ek apre li ti katastrofik. Mo ti fek manz enn mine, mo rezet tou en plas. Sansatyon la ti etranz net ek mo ti pe delyrer. Pann gagn kont ditou kinn arrive apre… », avoue-t-il. Concernant les autres drogues de synthèse, n’étant pas certain de leurs compositions, il a préféré de ne pas les essayer. « Ena pou gagn kass fasil, ti pe spray de trois kalite baygon lors fey dithe apre ti pe vende », explique Mahen, qui indique que les sensations que procurent les drogues de synthèse sont trois à cinq fois plus fortes que celles du cannabis. 

Pourquoi tomber dans la drogue ? « La plupart du temps, une personne devient dépendante parce qu’elle recherche cette sensation d’euphorie intense qu’elle a ressentie durant sa première dose de drogue. Mais elle ne la retrouvera jamais, car les fabricants de drogue changent les produits. C’est ainsi que la vie du drogué est rythmée par des doses, dans l’espoir d’apaiser sa souffrance intérieure, ce qui engendra l’addiction. C’est un cercle vicieux », explique Mahen. 


Collectif Urgence Toxida 

L'équipe de CUT.
L'équipe de CUT.

Sathyam Issur, le manager de l’ONG : « L’éducation sur les drogues de synthèse est primordiale »

Le Collectif Urgence Toxida (CUT) est une ONG qui a vu le jour en 2007 en réponse au taux alarmant d'infections par le VIH. Elle œuvre pour la réduction des risques des personnes qui utilisent des drogues. Au fil des années, des membres ont également rejoint le réseau CUT par souci d'intérêt. Leur vision commune : une société mauricienne sans répression, sans stigmatisation et discrimination envers les Consommateurs de drogues. Pour cela, elle adopte une approche des drogues basée sur la santé publique et s’assure que tous les citoyens sont respectés de manière égale.

Au niveau de la drogue de synthèse, le manager de CUT, Sathyam Issur soutient que de par les informations recueillies sur le terrain par son équipe, le constat est un rajeunissement des consommateurs, dont des enfants de 8 à 9 ans, avec une certaine féminisation.

Quelles sont les solutions ?

« Je dirais que l’éducation sur les drogues de synthèse est primordiale », indique Mahen. Selon ce dernier, il n’y a aucun traitement médical contre les drogues synthétiques dues à l’instabilité au niveau de leur composition.

« Suite à nos observations, diverses formations sur ces drogues ont été données aux travailleurs de terrain de CUT. Le but est de leur permettre de conscientiser le grand public sur la dangerosité de ces produits. D’ailleurs, nous redirigeons les bénéficiaires de CUT qui en sont touchés vers des centres spécialisés, comme le Centre d’Acceuil de Terre Rouge (CATR), le Centre de Solidarité (CDS) et le Centre de Nénuphar, en cas de besoin », souligne-t-il.

Reduction des risquesLa gestion des surdoses

En 2020, l’ONG CUT a distribué 827 921 aiguilles et seringues à 5 099 bénéficiaires. Parmi il y a 90 % d'hommes et 10 % de femmes, dont 98 % se sont injectés de l'héroïne, indique le manager de CUT, Sathyam Issur. 

Les autres services de l’ONG sont la sensibilisation, le dépistage du VIH et de l'hépatite C, ainsi que la distribution de préservatifs. En 2020, il indique que 437 tests de dépistage du VIH ont été effectués, dont 26 se sont révélés positifs. 

Le personnel de l’ONG est composé de six employés administratifs, de 22 travailleurs de terrain et trois aides-soignants, qui s’assurent du bon déroulement de la distribution du matériel d’injection. « L’équipe de CUT est aussi formée sur la gestion des surdoses, cela va de la surdose d’alcool, des drogues de synthèses et de l’héroïne afin d’aider en cas de nécessité. Pour nous, harm Reduction saves lives », conclut-il.


Traitements Médicaux

Dr Anil Jhugroo.
Dr Anil Jhugroo.

Dr Anil Jhugroo, psychiatre : « Si le patient est agressif et psychotique, il est référé à l’hôpital Brown-Séquard »

Les centres de désintoxication et de réhabilitation pour la drogue tombant sous l’égide du ministère de la Santé, sont répartis en zones A, B et C. Consultant en psychiatrie et Advisor en Drug Addiction Treatment à ce ministère, le Dr Anil Jhugroo s’occupe principalement de la Zone B, à savoir le Centre Nénuphar, le Ward de désintoxication de l’hôpital Brown-Séquard et de l’unité d’addictologie à l’hôpital Dr. A. G. Jeetoo. Il explique que depuis le mois de juin 2020, des psychiatres spécialisés dans le traitement de l’addiction, épaulés par une équipe de médecins, de psychologues, de travailleurs sociaux et de membres du personnel soignant, accompagnent chaque jour les patients touchés par ce fléau. 

Au niveau de la drogue de synthèse, le docteur parle de l’arrivée du Black Mamba sur le marché mauricien. « En 2013, des travailleurs sociaux ont attiré l’attention des autorités concernées sur une nouvelle drogue qui était en circulation au pays. Ceux qui en consommaient souffraient de graves troubles psychotiques et comportementaux. Ces personnes sont irritées, agressives, impulsives, confuses et souffrent d’hallucinations.  À l’hôpital, nous avons accueilli pas mal de personnes qui ont consommé cette drogue. Puis, vers mi-2013, les rapports toxicologiques ont fait mention des molécules de cette drogue de synthèse dans des échantillons reçus. Plusieurs cas similaires ont ensuite été enregistrés en peu de temps », dit-il. 
Cette drogue synthétique, étant toxique, excite les nerfs du cerveau. Ses effets sont imprévisibles, car personne ne sait la quantité de produits chimiques qui a été aspergée de façon non uniforme sur les feuilles par les fabricants.  Elle est consommée sous forme de cigarettes par 95 % des consommateurs, mais ceux qui la prennent en « bong » ou « coulé lévé » sont exposés à plus de substances. « Ces consommateurs sont plus à risque de perdre connaissance, d’avoir des crises d’épilepsie, des crises cardiaques, des troubles respiratoires et des œdèmes pulmonaires et cérébraux, entre autres », renchérit-il. 

Selon le médecin, la plupart du temps, en cas d’agressions et de troubles psychotiques, ces drogués sont référés aux centres de désintoxication par la police ou par leurs parents. Il fait remarquer que 90% des jeunes qui consomment de la drogue de synthèse sont influencés par des amis qui leur disent : « Seye sa ».

Symptômes d’addiction 

Quant à l’addiction, le Dr Jhugroo explique qu’en cas de manque, les consommateurs ont des troubles du sommeil, des confusions et des changements d’humeur qui les font sombrer dans la dépression. « Le corps produit naturellement des endorphines  et des endo-cannabinoides, connus comme les hormones du bonheur. L’opium, le cannabis ou la drogue de synthèse sont eux, des exo-morphine et des exo-cannabinoides. En les prenant, tout cela détruit le Reward/Endorphine Pathway naturel du cerveau. Ainsi lorsque les victimes sont en manque de cette substance, elles ont des montées d’adrénaline souvent liées au stress. Elles ressentent pareillement de la colère et de l’angoisse. Pour contrer et apaiser ces sentiments, elles reprennent de la drogue. C’est ce genre de satisfaction, procurée par l’automédication, qui résulte en une spirale infernale de l’addiction », explique-t-il. Par rapport à l’overdose, Dr Jhugroo indique que cela se produit dépendant de la quantité de doses prises. « La personne peut s’étouffer lors de la dilation des capillaires causée par la prise de drogue et mourir d’un œdème pulmonaire ou cérébral ou sombrer dans le coma », dit-il.

La prise en charge

« Lorsque nous recevons les victimes dans les neuf centres généraux, le traitement commence par un Medical Structured Assessment Interview et une investigation pour savoir quelle est la drogue consommée : opioïdes (héroïne) ou cannabinoïde (gandia). Cela se fait à travers l’analyse de son urine. Un échantillon de son sang est aussi prélevé pour connaître les dommages causés sur son foie », indique le psychiatre. Toutefois, si le patient est agressif et psychotique, il est référé à l’hôpital Brown-Séquard. Là-bas, le personnel soignant va l’administrer un traitement symptomatique pour le calmer et l’aider à dormir. Pour ceux qui souffrent de dépression, ils sont mis sous antidépresseurs. « Ce traitement dure deux ou trois jours, voire une semaine. Puis, dépendant de l’évolution de sa stabilisation comportementale, le patient est ensuite placé dans un centre de réhabilitation pour un accompagnement psychosocial. Il faut savoir que pour la réhabilitation des patients, les traitements sont à 90 % psychosociologiques. Le traitement medico-pyschosocial revêt toute son importance pour aider la victime à s’en sortir et changer son comportement pour qu’elle ne retombe pas dans la drogue », conclut le Dr Anil Jhugroo. 

 

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