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Drogue synthétique : la mort à bon marché

Un business qui peut rapporter entre Rs 5 000 et Rs 20 000 par jour.

« Il y a assez de drogue pour inonder le marché pendant un an ». Dixit un trafiquant. Sa matière première passe souvent au nez et à la barbe des douaniers, se targue l'un d'eux. En sept semaines, 208 personnes ont été arrêtées pour trafic et consommation de drogue synthétique, alors que les centres de réhabilitation et l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard ne désemplissent pas. Le Défi Plus a fait une immersion dans cet univers. Une spirale infernale qui n'épargne personne...

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La drogue synthétique (communément appelée ‘simik’ parmi les consommateurs) fait des ravages dans le pays. Une dose se vend à partir de Rs 50. Selon nos renseignements, chaque « trafiquant » essaie de tirer un maximum de profit sur le dos des consommateurs et vend au moins 50 doses de ‘simik’ d’une valeur de Rs 100 par jour. En « grande demande » à Maurice, cette drogue rapporte entre Rs 5 000 et Rs 20 000 par jour, confie un trafiquant. 

Qui consomme cette drogue ? À cette question, il dira sans ambages : « la drogue synthétique, introduite dans le pays en 2013, est consommée par des gens de toutes les couches sociales : policiers, cadres, personnel médical, télé-agents ou hommes d’affaires, entre autres ».

« Dans certaines résidences (cités), les trafiquants de drogue synthétique poussent comme des champignons. Dans une rue, par exemple, on peut trouver entre 3 et 5 dealers ou plus. Toutefois, il y a des résidences où il n’y a qu’un ou deux trafiquants. 200 doses de drogues peuvent être vendues en une journée. Imaginez le chiffre d’affaires que cela représente », avance l'intervenant. 

Selon notre informateur qui opère dans les hautes Plaines-Wilhems, la consommation minimale quotidienne par habitué est de 5 doses. Certains peuvent repousser leurs limites en consommant 10 voire 20 doses par jour sur une base régulière. « Si un dealer ne peut répondre à la demande quotidienne, il envoit des clients chez son confrère quelques maisons plus loin », précise-t-il.

«vande kouma tipate»  

« Kot ena seki bon ? » Phrase codée des consommateurs lorsqu’ils se retrouvent à la lisière des résidences. Ce trafiquant de drogue précise qu’une fois le code prononcé, ceux qui sont venus chercher leur dose sont servis. Selon notre source, des trafiquants d’héroïne, de cocaïne et (ou) de cannabis se sont lancés dans la vente de drogue synthétique, ou même les deux, depuis ces derniers huit à neuf mois. 

La commercialisation de la drogue synthétique prend une ampleur substantielle à Maurice. Elle dépasse celle de l’héroïne, tient à faire ressortir un autre trafiquant basé dans l’Ouest du pays. « Difisil pou aret sa. Par exemple, s’il arrive qu’un trafiquant soit mis derrière les barreaux, deux ou trois nouveaux dealers émergeront le lendemain afin de prendre le relai. Ça, c’est une garantie. Sa ou pou trouv li sa », soutient-il, ajoutant que la cible des dealers reste les jeunes. « Kot ena zenn, pou bizin ena simik. » 

Produit de base d’Asie

« L’effet de la synthèse est immédiat. Il peut durer entre 10 et 45 minutes depandan koupaz. C'est-à-dire la concentration du produit de base ou encore de la quantité de paille que comprend la dose », dit le dealer. « Je commercialise l’une des meilleures drogues synthétiques du pays. Mon produit de base provient d’Asie. Rien à voir avec la drogue artisanale fabriquée avec du poison d’insectes ou encore de la méthadone. Une fois préparées, les doses que je livre à mes clients sont tellement concentrées qu’ils se retournent automatiquement vers moi le lendemain. La qualité est irréprochable », poursuit-il.

Comment fait-il pour importer sa matière première ? Le trafiquant répond que la matière première est soigneusement dissimulée dans des produits de beauté et autres conteneurs de shampooing. Les autorités, que ce soit à l’aéroport ou au port, n'y voit que du feu. « Mon produit de base, qui est en pâte ou en poudre, coûte entre Rs 8 000 et Rs 10 000. Après le mélange et le coupage, on en tire environ Rs 200 000 de drogue. La marchandise est ensuite remise au revendeur. Il me rapportera entre Rs 250 000 et Rs 300 000 dans deux à trois semaines », précise le trafiquant de drogue synthétique.

Profil des trafiquants 

Le train de vie des dealers de drogue synthétique est semblable à leurs confrères qui sont impliqués dans le trafic de drogues dures. 
Tenue vestimentaire haut de gamme, moyens de locomotion dernier cri (voitures et motocyclettes), maisons construites comme des forteresses, boissons alcoolisées de marque qu’ils consomment lors de leurs sorties nocturnes, tout cela fait partie de leur lifestyle. 

« Les trafiquants de drogue synthétique sont friands des virées nocturnes. Ils sont rarement aperçus durant la journée ou encore au coin d’une rue en train de commercialiser leurs produits. En sus, ces pseudo-chimistes qui manipulent des produits hautement toxiques ne sont ni des consommateurs de drogue, n’ont aucune allure louche. Il y a des trafiquants qui n’ont jamais eu de démêlés avec les autorités. Leur casier judiciaire est vierge. Parfwa ou gayn pa krwar. Lorsque nous épluchons leur train de vie et leurs fréquentations, nous nous étonnons nous-mêmes lors des perquisitions », indique un haut gradé de la brigade anti-drogue (Adsu).

Gérôme Talbot, ex-toxicomane qui soigne son addiction : «Bizin pran kont parski kapav perdi lavi ar sa sintetik-la»

Le Défi Plus est allé à la rencontre de Gérôme Talbot, technicien expert en mécanique, qui soigne depuis trois mois son addiction à la drogue synthétique au Centre d’Accueil de Terre-Rouge. Ce père de famille, qui dit « avoir tout perdu », affirme qu’il se reconstruit graduellement grâce aux traitements qu’il est en train de suivre. Il implore les jeunes à « ne pas suivre la mode » en fumant du ‘simik’.

Il raconte qu’il a découvert la drogue synthétique lorsqu’il était sous traitement à la méthadone. « Commercialisée à un prix abordable, à partir de Rs 100 la dose, cette drogue était toute ma vie. La sensation est instantanée. Les 10 à 15 minutes de plaisir que cette drogue me procurait étaient un pur moment de bonheur. Au début, vous avez l’impression que votre âme est en train de quitter votre corps. Puis votre rythme cardiaque s’accélère. Ensuite, c’est le ‘black-out’ total. À un moment donné, la consommation de cette drogue était devenue une habitude avant de devenir une obligation. Parfois, je fumais jusqu’à 20 doses par jour », confie l’ex-toxicomane.

Qu’est-ce qui l’a poussé à décrocher ? « La sensation que la drogue chimique vous procure est tellement immense qu’on ne sent rien. Du coup, je me suis retrouvé à trois reprises à l’hôpital après avoir consommé la drogue synthétique. Ce n’est qu’après 6 ans que je me suis dit que je devais décrocher, sinon j’aurais perdu ma vie », dit-il. 

Gérôme Talbot indique que la consommation de drogue synthétique est devenue à la mode remplaçant ainsi le cannabis. « Auparavant, dans une soirée on fumait du gandia en sirotant une bière. Depuis ces 6 ou 7 dernières années, la drogue chimique est devenue le ‘craze’ parmi les jeunes », affirme-t-il.

Le message de cet ancien toxico aux consommateurs de drogue synthétique est simple. « Il y a des trafiquants de drogue chimique dans toutes les régions du pays. Bizin pran kont parski kapav perdi lavi ar sa sintetik-la. Il n’y a rien de bon dans cette drogue », rassure-t-il.

 


José Ah-Choon, responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge : «L’heure est grave, il y a des jeunes qui meurent pour Rs 100»

Le travailleur social et responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, José Ah-Choon, est d’avis que « l’heure est venue de traiter le fléau de drogue synthétique à la racine ». Notre interlocuteur estime qu’il faut regrouper tous les consommateurs et les placer en quarantaine avant d’entamer leur réhabilitation. Il demande au gouvernement et à d’autres organisations non-gouvernementales de réagir face à cette situation qu’il juge alarmante. Car, précise ce travailleur social, « l’heure est grave, il y a des jeunes qui meurent pour Rs 100 ».

Pire que les criminels de guerre

« Les trafiquants de drogue synthétique sont pire que les criminels de guerre. Ils ne se soucient nullement du sort des consommateurs. Ce qui est important pour eux, c’est de vendre leur produit », fait ressortir José Ah-Choon. Selon le travailleur social qui milite pour la réhabilitation des toxicomanes. Le gouvernement doit mettre sur pied une table ronde afin de discuter de la situation chaotique qui ronge le pays. Il estime que des mesures drastiques doivent être prises afin de freiner la situation.

« De toute ma vie, c’est la première fois que je suis témoin d’une telle situation. Des jeunes sont en train de consommer du poison afin de ‘supposément’ se sentir bien. Ils consomment cette substance nocive et toxique pendant toute une journée sans qu’ils ne se rendent compte des dangers qui les guettent. C’est du jamais vu. La situation est pire que chaotique. À force de consommer cette substance chimique, les jeunes finissent par devenir des zombies ou encore se retrouvent dans un état léthargique. Beaucoup passent leur temps à regarder le plafond », déplore José Ah-Choon. 

Le travailleur social se dit attristé que des enfants sont utilisés comme mules par les passeurs de drogue synthétique. « Je suis disposé à donner un coup de main dans l’éradication de la drogue synthétique. Cependant, tous les acteurs de la société doivent jouer le jeu. L'apport de tout le monde est nécessaire afin de mener à bien ce combat », conclut José Ah-Choon. 


208 présumés trafiquants et consommateurs arrêtés en 2020

Sollicitée par Le Défi Plus, la brigade anti-drogue explique que depuis le 1er janvier à ce jour (ndlr : jeudi 20 février), 208 présumés trafiquants et consommateurs de drogue synthétique ont été arrêtés à la suite de diverses opérations menées à travers le pays. 121 cas ont été recensés en janvier et 87 en février. Les deux régions avec le plus fort taux de consommateurs et de trafiquants de drogue sont Port-Louis et Plaines-Wilhems. « Outre les opérations visant à traquer les consommateurs et trafiquants de drogue synthétique, nous faisons aussi du profiling ainsi que des campagnes de sensibilisation dans le milieu scolaire parmi les jeunes et les moins jeunes. Nous travaillons actuellement dans la réalisation d’une base de données des trafiquants de drogue synthétique. Selon nos sources, ces derniers seraient âgés de 18 ans à monter », apprend-t-on. Le Défi Plus a sollicité quelques sources basées à l’Adsu. Sous le couvert de l’anonymat, elles expliquent qu’« au fil du temps, cette drogue a connu une évolution. Chaque trafiquant a inventé sa propre drogue synthétique. La situation est devenue alarmante dans le pays. Les statistiques démontrent une hausse de la vente et consommation de cette drogue chimique », expliquent nos sources.

Hôpital psychiatrique de Beau-Bassin : 80 % des admissions liés aux problèmes de drogue synthétique 

Le constat est alarmant. En ce début d’année, 80 % des admissions à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard de Beau-Bassin sont liés à la drogue chimique. Le taux d’admission était toutefois de 33 % en 2016. « L’année dernière, soit en 2019, le taux était de 50 % », a révélé dans le courant de la semaine dernière la doctoresse Ameenah Sorefan, cheffe du service de psychiatrie au centre de santé mentale Brown-Séquard.

Simik

«Kot ena zenn, pou bizin ena simik» 

Doublé en deux ans : de 561 cas en 2017 à 1 132 cas en 2019

Notre enquête démontre que le pays a connu le plus fort taux d’arrestations liées au trafic et à la consommation de drogue de synthèse durant les deux dernières années. Soit le double de 2017 qui est de 561 cas. Les statistiques démontrent que 1 134 cas ont été recensés en 2018 et 1 132 en 2019. 

« C’est un fait. Le trafic et la consommation de drogue chimique ont connu une hausse depuis ces deux dernières années. 70 à 100 cas de consommation et trafics de drogue synthétique sont recensés tous les mois », précisent nos sources.

 

 

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