
- 11 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans touchés
La drogue synthétique, de plus en plus accessible à Maurice, échappe aux mécanismes de contrôle classiques. C’est le constat dressé mercredi lors de l’émission « Au Cœur de l’Info », animée par Jane Lutchmaya, où experts et autorités ont tiré la sonnette d’alarme. La discussion a également rouvert le débat sur la dépénalisation du cannabis, un sujet sensible à Maurice.
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Le Dr Fayzal Sulliman, président de la National Agency for Drug Control (NADC), a été catégorique :
« La drogue synthétique passe sous les radars de nos institutions parce qu’elle change de formule du jour au lendemain. Les substances qu’elle contient ne figurent pas dans nos lois, ce qui la rend bon marché, facilement disponible et simple à fabriquer, même dans une cuisine. »
De son côté, le Dr Nitish Sunt, du ministère de la Santé, a également révélé des chiffres inquiétants : « 11 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans consomment cette drogue. Certains variants sont jusqu’à 500 fois plus puissants, entraînant convulsions, hallucinations, problèmes respiratoires et rénaux. Ces adolescents, dont le cerveau n’est pas encore complètement développé, recherchent le sensationnel sans mesurer les risques. »
Selon les autorités, une dose se vend entre Rs 35 et Rs 50, bien en dessous du prix du « mass », estimé à Rs 500 le pouliah. Cette différence de coût explique en partie pourquoi les jeunes se tournent massivement vers ce produit. Le Dr Sulliman a souligné la complexité de la situation : « L’importation de ces drogues est déjà complexe, et à Maurice, on mélange toutes sortes d’ingrédients, de médicaments vétérinaires à la ‘médecine bleue’ utilisée pour les blessures. Ces précurseurs sont extrêmement dangereux. »
Un laboratoire spécialisé réclamé
Pour l’assistant surintendant de police (ASP) Roland Dabeesing, de l’Adsu, le Forensic Science Laboratory (FSL) est dépassé : « La drogue synthétique évolue constamment. Aujourd’hui, telle formule circule, demain, elle change. Nos lois ne suivent pas, et le FSL ne peut pas suivre le rythme. Il faut un laboratoire exclusivement dédié à ce type de drogue pour identifier rapidement les nouvelles formules et sécuriser les preuves en Cour. »
Il rappelle l’ampleur du phénomène : « Plusieurs saisies ont atteint près de Rs 40 millions. Cette drogue est vendue sur des papiers format A4, soit 840 doses par feuille, chaque dose coûtant Rs 100. L’importation se fait par composants innovants, qui ne sont pas encore considérés comme illicites. »
Roland Dabeesing salue néanmoins le concept du Early Warning System, qui permet de détecter rapidement de nouvelles variantes. Mais selon lui, « avec des législations adaptées et un laboratoire dédié, on pourrait identifier une drogue interdite en deux à trois semaines au lieu de plusieurs mois »
Vers une nouvelle approche ?
Face à cette crise, le Dr Sulliman a rappelé que le Drug Advisory Panel et les comités techniques n’avaient pas été efficaces : « Au lieu de mettre en prison un utilisateur, il faut lui offrir un traitement. Le cannabidiol peut aider des patients souffrant de lupus, d’épilepsie ou de douleurs chroniques. À titre personnel, je considère que c’est un premier pas vers la dépénalisation du cannabis. »
Le ministre Shakeel Mohamed a souligné le pragmatisme nécessaire : « Arrêter les usagers ou faire des sessions dans les écoles ne fonctionne plus. La drogue touche tout le monde, elle ‘na pa get figir’. Les Nations unies recommandent la dépénalisation dans ce contexte, mais il faut aussi des peines sévères contre les trafiquants. » Il ajoute que le fléau de la drogue synthétique est aggravé par son prix attractif, qui rend le produit plus accessible que le cannabis traditionnel.
Pour la société civile, l’arrivée de la NADC est un soutien bienvenu. Cécilia Samoisy-Duvergé, du Centre de Réhabilitation de Terre-Rouge, rappelle que « la lutte contre la toxicomanie est quotidienne » et qu’elle exige une meilleure coordination entre ONG et institutions. Le Dr Sulliman a aussi évoqué les centres ambulatoires mis en place par la NADC pour accompagner les usagers et proposer des conseils et traitements : « C’est un concept qui marche, moins coûteux et plus proche des gens. »

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