
Le Gouverneur de la Banque de Maurice était l’invité de Nawaz Noorbux dans l’émission « Au cœur de l’info » le vendredi 28 mars sur Radio Plus. Le Dr Rama Sithanen a notamment expliqué la situation de la Mauritius Investment Corporation ainsi que la valeur de la roupie.
La Mauritius Investment Corporation (MIC) avait été mise en place en juin 2020, durant la pandémie, pour permettre aux entreprises de faire face à cette crise. Pouvez-vous nous expliquer d’où provient les Rs 80 milliards qui ont été injectées par la Banque de Maurice dans cette entité ?
Il convient de souligner qu’à l’heure où l’on se parle, aucun projet n’a été approuvé par la nouvelle équipe dirigeante de la MIC depuis sa prise de fonction. Nous essayons d’abord de comprendre ce qui s’est passé. Le but est de protéger la sécurité et l’intérêt des investissements de la MIC. Je dois dire que ce qui se passe à la MIC affecte la Banque de Maurice.
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Ceci dit, il est important de préciser qu’il n’y a pas eu de conversion de 2 milliards de dollars pour obtenir Rs 81 milliards. De la monnaie a été créée en quatre tranches et déposée sur le compte de la MIC. Cela constitue une source importante de problèmes. En tout, Rs 160 milliards ont été créées, dont Rs 60 milliards ont été attribuées à l’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, pour équilibrer son budget, ainsi que des sommes allouées à la DBM, à la State Investment Corporation (SIC) et à la NIC Mauritius.
Une malversation présumée de Rs 300 millions de la MIC en faveur d’Apavou Hotels fait l’objet d’une enquête de la Financial Crimes Commission (FCC). Est-ce justifié ?
La nouvelle équipe de la MIC a enquêté et a soumis un dossier complet à ce propos à la FCC. Il y a une enquête en cours à la FCC. Ce que je peux dire c’est qu’il y a maldonne et nous collaborons avec la FCC. Notre but est d’assurer la sécurité des investissements de la MIC. Le gouvernement est venu de l’avant avec un rapport ‘State of the economy’ l’année dernière. Nous aurions pu proposer un rapport ‘State of the Bank of Mauritius and the Mauritius Investment Corporation’.
Louis Rivalland, ancien directeur indépendant de la MIC a été convoqué par la FCC dans le cadre de cette enquête. Il parle de falsification des ‘Minutes of meeting’. C’est grave…
Le président d’un comité d’administration, celui ou celle qui présente le rapport et celui ou celle qui prend des notes savent ce qui se passent sur un Board. Une de ces trois personnes sait exactement quelles sont les décisions qui ont été prises.
L’affaire Menlo Park avait lancé la série de scandales à la MIC. Dans l’affidavit des Adam, le nom de votre fils Tevin apparaît indiquant qu’il aurait proféré des menaces. Comment est-il lié à cette affaire ?
Tevin Sithanen figure en effet dans cette polémique. Toutefois, ce qui a été dit est faux et c’est uniquement dans le but de faire diversion. C’est une campagne de dénigrement mené contre ma personne et contre mon fils. Les gens ont le droit de critiquer à condition que ce soit juste. Tevin Sithanen travaille honnêtement. Il n’est pas le consultant de Médine ou d’une autre compagnie. Il ne gère pas non plus de fonds et n’est pas un ‘fund manager’. Il est vrai qu’il a soutenu le Parti travailliste durant la dernière campagne électorale. Cela a laissé place à des discussions comme c’est le cas entre des supporteurs rivaux de deux équipes de football.
Vous portez également la casquette de président de la Financial Services Commission (FSC). Est-ce que ce rôle et celui de Gouverneur de la Banque de Maurice peuvent résulter à des problèmes de conflit d’intérêts dans certains cas alors que vous avez été sur le Conseil d’administration de sociétés du Global Business ?
Je suis indépendant. Je n’ai pas d’actions dans aucune entreprise. J’ai démissionné de mes anciens postes. Dans les années 2000, le Gouverneur de la Banque de Maurice était aussi le président de la FSC afin d’éviter l’arbitrage entre les deux. Harvesh Seegolam a également mené ces deux rôles en parallèle.
Pour revenir aux Rs 81 milliards de la MIC. Qu’est-il advenu de cet argent ?
Un montant de Rs 25 milliards n’a pas été débloqué. Une somme de Rs 25 milliards a été investi dans Airport Holdings Ltd (AHL). 63 entreprises ont bénéficié d’un montant cumulé de Rs 21 milliards. Il faut également compter Rs 7,8 milliards pour l’acquisition de terrains et Rs 2,1 milliards pour l’achat d’actions. Les terrains achetés ont été proposés à la vente au gouvernement et à Landscope Mauritius. Je dois également faire ressortir que la décision a été prise de retourner les Rs 25 milliards qui n’ont pas été débloquées à la Banque centrale. Celle-ci va supprimer cet argent afin d’éviter des problèmes liés à l’excès de liquidité. Nous sommes aussi en train de négocier avec les entreprises bénéficiaires pour voir si elles peuvent effectuer le remboursement avant la date convenue et avec une révision des taux d’intérêt. Ce n’est pas une obligation. Par ailleurs, nous avons demandé à des investisseurs étrangers d’acheter 35,5 millions de dollars qui ont été investis par la MIC dans des fonds étrangers.
Toutes les entreprises qui ont bénéficié de l’apport financier de la MIC y étaient éligibles ?
Plusieurs demandes étaient crédibles et plusieurs entreprises étaient donc éligibles. Cependant, je pense que la MIC aurait pu mieux négocier pour le remboursement. Il y a aussi des entreprises qui n’étaient pas éligibles. Une partie de l’argent attribué à celles-ci pourra être récupérée. Celles classées comme risque moyen pèsent pour Rs 2,1 milliards alors que les entreprises présentant un risque élevé représentent Rs 1,8 milliard. En somme, la récupération des prêts dépendra des garanties proposées.
Mauriplage Beach Resort Ltd (Maradiva) figure parmi les bénéficiaires. Était-elle éligible ?
L’entreprise était éligible. A-t-elle bénéficié d’une quelconque faveur ? Il faudra étudier le dossier.
Est-ce le cas pour l’homme d’affaires Avinash Gopee également ?
Toutes les entreprises ayant bénéficié de l’apport de la MIC sont sur le site de cette dernière.
Parlons de l’investissement de Rs 25 milliards dans l’Airport Holdings Ltd (AHL) par la MIC.
Cet investissement a été effectué de force. Le ministre des Finances de l’époque devait combler un déficit de Rs 25 milliards, qui représentait 5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays. C’est dans cette optique que la structure Airport Holdings Ltd (AHL) a été mise en place. Des tours de passe-passe ont débouché à l’ajout de « goodwill and intangible » - qui ne veulent strictement rien dire – afin de rajouter Rs 40 milliards après une évaluation initiale de Rs 10 milliards de la structure. La MIC a été contrainte de prendre une participation de 49 % dans AHL. La signature d’une même personne apparaît sur tous les documents. C’est une arnaque financière. L’argent a été accordé directement au ministre des Finances de l’époque. C’est un problème compliqué. Nous essayons de trouver une solution avec le gouvernement. La Banque de Maurice va souffrir pendant cinq, voire six ans à cause de cela.
Quels sont les défis de la nouvelle direction d’Air Mauritius et comment relancer la compagnie Paille-en-Queue ?
C’est une question compliquée. Il y a une nouvelle équipe à la baguette. Je suis en faveur d’une compagnie forte, profitable et qui va contribuer à l'édification de la nation. La connectivité est essentielle pour apporter des touristes à Maurice. Or, trop d’avions ont été acquis. Cela coûte cher. Il faudra faire le bon choix. La MIC sera pénalisée et par ricochet la Banque de Maurice si Air Mauritius ne parvient pas à se redresser. Il faut un plan d’opération. La compagnie doit pouvoir concurrencer les autres sociétés aériennes. Elle doit être indépendante. Des décisions basées sur le commercial doivent être prises. Air Mauritius est pour le moment aux soins intensifs. Il faudra au moins trois, voire quatre ans pour restaurer sa profitabilité.
Après toutes ces explications concernant les différents montants issus des Rs 81 milliards de la MIC, quelle sera la suite de l’institution ? La Banque de Maurice va-t-elle enlever cette filiale de son balance sheet ?
Je préférerais que la Banque de Maurice se retire de la MIC. Toutefois, il y a des contraintes légales, financières, non-financières ou encore liées à des politiques publiques. Il faudra de ce fait « wind down », mais pas se retirer.
Le cas de la Silver Bank a également fait sourciller. Où en est-on avec ce dossier ?
Il y a eu de la pression politique concernant la Silver Bank. Nous nous focalisons sur les intérêts des déposants. Un conservateur dont le contrat a été étendu travaille sur le dossier. Le but est de tenter de récupérer les prêts. La Banque de Maurice suit cela de près. Des discussions sont en cours avec un repreneur. Il faut dire qu’il y a un montant de Rs 500 millions appartenant au gouvernement à la Silver Bank. Il y a maldonne car on a forcé le gouvernement à mettre son argent dans cette banque en dépit des risques.
L’un des sujets de campagne de l’Alliance du Changement était la stabilisation de la roupie. Quatre mois après les élections et l’entrée en matière d’une nouvelle équipe à la Banque de Maurice, est-ce que cet objectif a été atteint ?
Les Rs 160 milliards qui avaient été imprimées n’ont pas été sans conséquence sur la dépréciation de la roupie. Elles représentaient 33 % du produit intérieur brut à l’époque. Le multiplicateur monétaire influence également l’inflation et entraine une distorsion sur le marché des devises. La banque centrale a dû absorber l’excès de liquidité afin de contrôler l’inflation et d’empêcher la dépréciation de la monnaie locale. Rs 150 milliards ont été absorbées avec un intérêt de 5,2 %. Il faudra trouver Rs 11 milliards pour financer cette démarche. La roupie a déprécié de 5 % par rapport au dollar de janvier au 15 novembre 2024. Dans le même temps, la monnaie locale a perdu 2 % contre l’euro et la livre sterling. Du 18 novembre 2024 au 28 mars 2025, la roupie s’est appréciée de 2 % face au dollar. Le taux d’inflation a diminué.
C’est là deux grandes réussites de la Banque de Maurice. Toutefois, je dirai qu’il est encore tôt pour tirer des conclusions. Les perspectives pour cette année dépendront de facteurs externes comme la guerre commerciale et les décisions tarifaires du président Trump.
L’autre préoccupation est la disponibilité de devises. Les mesures que vous avez annoncées en tant que gouverneur de la Banque centrale ont-elles porté des fruits ?
Des arriérés d’environ 500 millions de dollars se sont accumulés durant les cinq dernières années. Un milliard de dollars qui se trouvent dans des banques commerciales appartiennent à des ménages. L’ancien comité de politique monétaire avait également baissé le taux directeur. Nous essayons aujourd’hui d’enlever les distorsions. Nous essayons de réfléchir avec les banques commerciales pour que les mesures du régulateur bancaire soient efficaces. Les importations du pays sont supérieures à ses exportations. Il est important de miser sur l’énergie renouvelable et la sécurité alimentaire. Ce qui permettra de réduire la facture d’importation. D’autre part, les personnes qui ne sont pas censées vendre des devises le font. Il y a aussi le problème de rétention des devises. Il faut du temps pour résoudre ces problèmes.
Ce sont des mesures qui sont avancées depuis pas mal d’années…
Le flux des devises s’est amélioré. Il y a des solutions temporaires. La Banque de Maurice ne peut résoudre des problèmes structurels dans un ou deux mois. Une hausse soudaine des taux d’intérêt va impacter la croissance. D’ailleurs, je pense que le taux de croissance à Maurice cette année sera inférieur à celui de l’année précédente. Maurice va subir les effets secondaires et tertiaires de la guerre commerciale et de la politique commerciale de Donald Trump. La baisse du pouvoir d’achat en Europe, s’il y en a, affectera le tourisme et le secteur financier mauricien.
Qu’en est-il de la situation financière de la Banque de Maurice et de l’état des réserves du pays ?
C’est une situation difficile. L’objectif de la Banque centrale n’est pas d’augmenter ses profits. Elle se charge de la stabilisation financière et de la maitrise de l’inflation. Toutefois, il ne faut pas que la Banque de Maurice fasse des pertes, qu’elle perde son indépendance et qu’elle doive se tourner vers le gouvernement ou imprimer de l’argent.
La Banque de Maurice n’a pas été exempte de tout reproche concernant des largesses. Il paraît qu’une consultante touchait un salaire mensuel exorbitant…
C’est vrai. C’est l’ancien ministre des Finances qui dirigeait la Banque de Maurice. Il positionnait les personnes qu’il souhaitait à la Banque centrale. Nous avons pris des actions. La personne à qui vous faites référence n’est plus employée à la Banque de Maurice. D’ailleurs, elle ne travaillait même pas ! L’héritage laissé est un problème. Aujourd’hui, la Banque centrale recrute sur une base de méritocratie et de compétence. Il y a de la parité au sein du conseil d’administration.
Pouvez-vous en tant que gouverneur de la Banque centrale nous donner la garantie que cette pratique de recruter ce genre de consultant n’est plus d’actualité ?
Tout passe par le conseil. Il y a des postes techniques qui requièrent un consultant. Plusieurs personnes au sein de la Banque de Maurice font bien leur travail. Nous avons hérité d’une situation compliquée. Nous ne sommes pas contre les critiques, mais il ne faut pas dénigrer les gens par des faussetés. Les problèmes qui datent de dix ans ne peuvent être résolus en trois mois.
Comment se passe la collaboration entre la Banque de Maurice et le ministère des Finances ?
Il est clair que la politique monétaire et la politique fiscale sont les deux faces d’une même pièce. La politique monétaire et la disponibilité de la roupie ne peuvent être un ajustement des variables de la politique fiscale. Au cas contraire, nous retournerons à la politique économique de Padayachy. Il nous faut maitriser la consolidation fiscale.
En tant qu’ancien ministre des Finances, que faut-il selon vous pour que le gouvernement parvienne à avancer dans cet environnement de contrainte tout en honorant ses promesses électorales auprès de la population ?
Si j’avais la solution, je vous l’aurais donnée ! J’ai suivi 45 budgets, dont dix que j’ai moi-même présentés. Il faut éviter de perdre notre « investment grade ». Le Premier ministre devra faire le contraire de ce qu’espèrent d’habitude les ministres, les syndicats et le secteur privé. Nous sommes dans une période de transition et aussi une période charnière. Ce sera compliqué. Ce sera un budget de compromis.

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