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Dr Radhika Jagatsingh-Beehuspoteea, pédiatre et néonatologue : «Aucun lait ne peut remplacer le lait maternel»

Pédiatre, néonatologue et cheffe de l’unité des soins intensifs néonatals à Artemis Curepipe Hospital, le Dr Radhika Jagatsingh-Beehuspoteea explique les avantages de l’allaitement maternel pour la mère et l’enfant, les défis rencontrés, et l’importance du soutien pour les mères allaitantes.

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Quels sont les principaux avantages de l’allaitement maternel pour la santé de l’enfant ?
En ce qui concerne le nourrisson, le lait maternel passe par plusieurs phases : le colostrum, présent pendant quelques jours, puis le lait de transition, et enfin le lait mature. Il est crucial de mettre l’accent sur cette première phase qu’est le colostrum, que certains appellent « dile sal » ou « delo sal ». Nombreuses sont celles qui refusent de le donner à leur bébé, pensant qu’elles commenceront à allaiter une fois cette phase terminée. Cela est fondamentalement erroné, car le colostrum représente le premier vaccin du nourrisson. Il contient un maximum de défenses pour le bébé. 

Bien que produit en très petite quantité, il convient parfaitement au nourrisson dont les besoins sont très faibles. Il est essentiel que le nourrisson reçoive cette petite quantité de produits très concentrés pour lui assurer un bon système immunitaire. Des facteurs de croissance, d’intelligence, de mémoire et d’autres bénéfices encore méconnus y sont associés. Ce colostrum est présent sur une courte période et il est impératif d’en profiter. Après viennent le lait de transition et le lait mature.

Le lait maternel ne contient pas toujours les mêmes propriétés. S’il s’agit d’un bébé prématuré, le lait est automatiquement formulé de manière à lui fournir les nutriments dont il a besoin. Il s’adapte en fonction de son taux de protéines ainsi que de la quantité nécessaire. Pour un gros bébé, le lait maternel sera également différent. 

Ce n’est pas seulement le colostrum qui est distinct au départ. Durant les trois phases – colostrum, lait de transition et lait mature –, la composition varie, mais aussi pendant la tétée. Ce que le bébé consomme au début et à la fin est différent. Le lait maternel est extraordinaire et irremplaçable, même en 2024.

Les mères imaginent souvent que leur bébé doit boire un biberon plein, ce qui n’est pas le cas. Les besoins du nourrisson sont très faibles»

Le taux d’allaitement maternel reste très faible à Maurice, malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation…
C’est vraiment un mystère, car en tant que parents, nous essayons de tout faire pour donner le maximum à notre bébé. Le lait maternel est gratuit et ses bienfaits sont continuellement expliqués. Cependant, certaines mamans qui vont accoucher ou qui viennent d’accoucher affirment immédiatement qu’elles ne vont pas allaiter leur nourrisson au sein. Pourtant, on leur dit que l’allaitement maternel est ce qu’il y a de mieux pour l’enfant. 

Quand un bébé arrive, c’est une grande joie pour la famille, mais cela demande aussi beaucoup de travail. Comme le dit un proverbe africain que j’aime bien : « Il faut tout un village pour élever un enfant. » Je pense qu’à Maurice, nous n’avons pas encore formé ce village. Nous avons besoin que les femmes comprennent l’importance de l’allaitement et qu’elles soient soutenues. 

Il faut tout préparer avant l’arrivée du bébé. On doit comprendre que le papa reprendra le travail après les congés de paternité. Qui ira faire les courses pour cette maman qui doit allaiter ? Qui cuisinera ?
Au lieu d’avoir des gens autour des parents pour leur expliquer comment l’allaitement doit se faire et qui donnent des conseils à 100 % « à la sauce mauricienne », il faut qu’il y ait un réseau pour les aider. Si elles ne reçoivent pas de soutien dès le départ, cela devient beaucoup plus difficile par la suite.

Le colostrum, que certains appellent ‘dile sal’ ou ‘delo sal’ représente le premier vaccin du nourrison»

Combien de temps recommandez-vous aux mères d’allaiter exclusivement leur bébé au lait maternel ?
Autant qu’elles le peuvent. Les mères ont le choix d’allaiter leur bébé. Je recommande de commencer et de fournir le soutien nécessaire pour voir jusqu’où elles peuvent aller. 

Quels sont les bienfaits de l’allaitement maternel pour la santé de la mère ?
Les bénéfices pour la mère incluent la favorisation de la contraction utérine après l’accouchement, ce qui réduit les saignements et les complications de santé. L’allaitement est aussi un moyen naturel de contraception, jusqu’à un certain point, et aide à prévenir certains cancers. Les avantages sont nombreux, sans compter les aspects émotionnels et le « bonding » entre la mère et le bébé. 

Certaines mères peuvent éprouver des difficultés à allaiter pour diverses raisons. Comment les aider ?
Il est essentiel d’avoir un service vers lequel les mères peuvent se tourner, avec une personne pour les rassurer et les conseiller après avoir quitté l’établissement hospitalier, que ce soit public ou privé. En général, il n’y a pas de gros soucis, mais les petits problèmes peuvent effrayer les mères et les amener à arrêter l’allaitement rapidement. 

Quels conseils donneriez-vous aux mères qui travaillent et souhaitent continuer à allaiter ?
Même si elles ne peuvent pas allaiter directement, elles peuvent tirer leur lait et le donner plus tard à leur bébé. Le lait maternel est essentiel. À Artemis Curepipe Hospital, nous encourageons les bébés à boire le lait maternel, même en soins intensifs néonatals (NICU). 

Comment se passe l’allaitement pour un bébé né prématurément ?
Le système digestif des bébés prématurés n’est pas prêt. Le seul lait qu’il est possible de donner dès le jour de la naissance, même si le bébé est en NICU et sous assistance respiratoire, c’est le lait maternel. On essaie de tirer quelques gouttes de lait avec la mère et c’est ce qui sera donné au nourrisson.

A-t-on souvent recours aux « mères lactantes » à Maurice ?
Il est possible de donner le lait d’une autre mère à un nourrisson, mais des précautions sont nécessaires, notamment des tests sanguins et le consentement des deux parents. Nous pratiquons déjà cela, mais ce serait bien que Maurice puisse avoir un lactarium. 

Tous les laits recueillis des mères lactantes seraient codifiés, les mères testées, et tous les bébés de Maurice, après un accouchement dans les secteurs privé ou public, pourraient en bénéficier. Le lactarium est un centre regroupant des mères donneuses, avec des analyses particulières à faire et une documentation complète. Le lait recueilli passe par un processus de conservation pour être utilisé plus tard, selon un protocole établi. Cette pratique est courante dans certains pays et devrait être mise en place à Maurice.

La demande de lait au lactarium peut venir de différentes situations : bébés prématurés, mères ayant une production insuffisante de lait, difficultés anatomiques pour tirer le lait ou décès maternel. Avoir un lactarium serait bénéfique.

Quelle incidence cela peut-il avoir sur un enfant de ne pas être nourri par le lait de sa mère biologique ?
Toutes les études ne montrent pas de différence significative. Il y aura bien sûr moins de « bonding », mais le lait maternel reste très important. Le lait maternel en lui-même permet de sauver de nombreuses vies et favorise un développement harmonieux de l’enfant.

Au lieu d’avoir des gens autour des parents pour leur expliquer comment l’allaitement doit se faire et qui donnent des conseils « à la sauce mauricienne », il faut un réseau pour les aider»

Quels sont les signes indiquant que le bébé reçoit suffisamment de lait maternel ?
Les mères imaginent souvent que leur bébé doit boire un biberon plein, ce qui n’est pas le cas. Les besoins du nourrisson sont très faibles. Tant que les couches sont mouillées, que le bébé sourit, est actif et pleure correctement, tout va bien. 

Il est normal que le bébé perde du poids les 15 premiers jours et le reprenne ensuite pour revenir à son poids de naissance à un mois de vie. Si le bébé dort bien, fait pipi régulièrement et est suivi en consultation, cela suffit.

Vous avez mentionné à plusieurs reprises le « bonding » entre la mère et l’enfant…
Avant même la naissance, le bébé connaît la voix de ses parents et de l’entourage. À sa naissance, il se retrouve dans un monde plein de bruits et de sons. Il a besoin d’être rassuré, de comprendre où il est. La « méthode kangourou » chez les prématurés a démontré de meilleurs pronostics de survie, prouvant que le « bonding » a un effet positif sur l’évolution et la survie du nourrisson.

 

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