Dr Oomandra Nath Varma : «La coéducation n’est pas un problème à corriger, mais un cadre à renforcer»
Par
Annick Daniella Rivet
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Annick Daniella Rivet
La réussite scolaire ne dépend pas de la séparation des sexes, mais de la qualité de l’enseignement et de la gestion des établissements. Ce sont les propos du Dr Oomandra Nath Varma, sociologue et pédagogue. Dans cet entretien, il plaide pour une école inclusive où la mixité est un cadre à renforcer plutôt qu’un problème à corriger.
Attribuer les difficultés de certains collèges d’État à la coéducation revient à désigner un faux responsable.
En tant que sociologue, quelle est votre opinion sur la mixité à l’école ?
La récente controverse autour de la coéducation dans 12 collèges d’État remet sur le devant de la scène une question sensible à Maurice : comment organiser l’école pour qu’elle soit à la fois performante, équitable et fidèle à la société que nous voulons construire ? Face à des inquiétudes quant aux résultats scolaires ou aux écarts entre filles et garçons, voire à des problèmes de comportement, certains appellent à un retour aux collèges non mixtes. La proposition peut sembler séduisante. Mais avant de trancher, il faut regarder au-delà des impressions et interroger ce que disent les faits, la recherche et notre propre réalité sociale.
Certains disent que les élèves des collèges non mixtes réussissent mieux. Partagez-vous cette opinion ?
La notion de résultats scolaires est presque une illusion bien entretenue à l’île Maurice. À Maurice, l’idée que les collèges non mixtes réussissent mieux est presque devenue une évidence. Elle s’appuie sur des institutions connues, anciennes, souvent prestigieuses, dont les résultats aux examens sont régulièrement mis en avant. Pourtant, les chercheurs sont formels : la réussite scolaire est d’abord liée à la sélection des élèves, pas à la séparation des sexes.
La psychologue et sociologue américaine Janet Hyde, qui a analysé plusieurs décennies de recherches internationales, souligne que lorsque l’on compare des élèves de niveau et de milieu social équivalents, « les différences entre écoles mixtes et non mixtes sont faibles, voire inexistantes ». Dans un petit pays comme Maurice, où le nombre d’établissements est limité, ces effets de sélection sont encore plus marqués. Un collège qui recrute les meilleurs élèves dès l’entrée aura presque mécaniquement de meilleurs résultats, quel que soit son modèle.
Attribuer les difficultés de certains collèges d’État à la coéducation revient donc à désigner un faux responsable. Cela permet d’éviter des débats plus inconfortables : la qualité de l’enseignement, la pression excessive des examens, l’hétérogénéité des classes, ou encore le manque d’accompagnement des élèves les plus fragiles, et même les compétences des personnels appelés à gérer les établissements scolaires, y compris les collèges mixtes, qui exigent des approches et des compétences différentes.
On considère l’école comme un lieu de socialisation. Est-ce que la mixité en fait partie ?
L’école n’est pas qu’une usine à résultats. Elle est aussi un lieu où se construisent des comportements, des valeurs et des rapports sociaux. Dans une société comme la nôtre, dense, plurielle et fortement interconnectée, cet aspect est crucial.
La coéducation permet aux filles et aux garçons d’apprendre à se connaître, à coopérer, à débattre et à se respecter au quotidien. Des études menées dans plusieurs petits États insulaires montrent que les élèves issus d’écoles mixtes développent plus tôt des compétences sociales essentielles pour la vie adulte : travail en équipe, communication, gestion des différences. Pour la chercheuse Diane Halpern, séparer durablement les élèves par genre peut même renforcer des stéréotypes simplistes sur ce que les filles et les garçons sont censés aimer, réussir ou éviter.
J’ai moi-même interrogé des élèves de MGI lorsque je travaillais sur mon doctorat. C’était à l’époque de la réforme du ministre Obeegadoo, qui avait prôné les Form VI colleges. Les garçons du MGI étaient catégoriques : ils connaissaient les filles dès le jeune âge et vivaient dans une relation amicale, sans stéréotypes. Alors que les garçons qui arrivaient directement au Lower VI avaient une idée erronée, hautement stéréotypée et biaisée, des filles qu’ils rencontraient pour la première fois.
À Maurice, où les réseaux sociaux, professionnels et familiaux se croisent constamment, retarder ces apprentissages sociaux peut avoir un coût. Les jeunes finissent par se retrouver ensemble à l’université, au travail, dans la vie civique. La coéducation prépare à cette réalité, là où la séparation peut parfois la compliquer.
Est-ce que la coéducation est simplement une question pédagogique ?
Le débat sur la coéducation dépasse la question pédagogique. Il touche aussi aux symboles que l’État envoie à travers son système éducatif. Dans de nombreux pays, les collèges non mixtes sont associés, parfois malgré eux, à l’élitisme. À Maurice, cette association est particulièrement forte.
Les sociologues de l’éducation soulignent que dans les systèmes de petite taille, la différenciation institutionnelle tend à renforcer les hiérarchies sociales. Lorsqu’une partie de l’enseignement public est perçue comme plus prestigieuse, plus « disciplinée » ou plus « performante », cela alimente un sentiment d’inégalité, même si les intentions initiales sont louables. Ce phénomène est très visible à Maurice.
La coéducation, bien qu’imparfaite, reste plus cohérente avec l’idée d’une école publique inclusive, où l’on apprend ensemble malgré les différences de genre, de classe sociale ou d’origine. Les experts de l’UNESCO rappellent que les écarts entre filles et garçons se réduisent plus efficacement par la formation des enseignants, des programmes adaptés et des pratiques pédagogiques équitables que par la séparation physique des élèves.
Les chercheurs sont toutefois clairs sur un point : la coéducation n’est pas une solution magique. Mal encadrée, elle peut reproduire des biais de genre – par exemple dans la prise de parole en classe, l’orientation scolaire ou les attentes implicites des enseignants. Mais là encore, la réponse n’est pas de séparer, mais de mieux former.
À Maurice, la formation des chefs d’établissement est plus que nécessaire, car les faux pas commis par les élèves sont souvent imputables à ces chefs, qui ne sont pas toujours prêts à gérer autrement. Gérer une école ne consiste pas seulement à donner des ordres aux enseignants, mais aussi à apporter le soutien aux chefs de département, aux section leaders, au Deputy Rector, au recteur, aux parents et à la PTA. On doit regarder l’école comme un système où tous les composants doivent bien fonctionner pour assurer la survie de l’établissement, et non effacer toutes les décisions précédentes en espérant que le système se corrigera automatiquement.
Les systèmes éducatifs qui réussissent le mieux sont ceux qui investissent dans la pédagogie, la gestion de classe, la sensibilisation aux questions de genre et l’accompagnement des adolescents, garçons comme filles. Des exemples de réussites de la mixité existent bel et bien à Maurice : les collèges MGI et MGSS, la St Andrews School, ou encore quelques établissements privés souvent oubliés, comme Le Bocage ou même les collèges secondaires privés.
L’exemple de Rodrigues est particulièrement parlant. Est-ce qu’on a posé la question de savoir comment les Rodriguais ont réussi là où l’île Maurice fait deux pas en avant et quatre en arrière ? Tout ceci démontre le manque de détermination à faire réussir un modèle aligné sur la réalité de la vie, qui exige un investissement d’efforts de la part des adultes. Cette démarche ne concerne pas seulement la mixité.
Alors, faut-il maintenir, éliminer ou améliorer la mixité ?
À la lumière des données internationales et de l’expérience de sociétés comparables, y compris dans notre République, la réponse la plus raisonnable est de ne pas faire marche arrière. Faire marche arrière sans s’attaquer aux causes profondes des difficultés scolaires risque de créer une illusion de réforme, sans effets durables.
Le vrai débat devrait porter sur ce qui se passe à l’intérieur des salles de classe : comment soutenir les enseignants, réduire la pression des classements, mieux accompagner les élèves en difficulté, créer un climat scolaire propice à l’apprentissage pour tous et travailler en équipe avec tous les composants qui font partie de la vie de l’enfant.
Comme le résume un rapport récent de l’OCDE, « ce ne sont pas les structures en elles-mêmes qui font la différence, mais la qualité des interactions éducatives ». Dans un pays où l’école reste l’un des principaux leviers de mobilité sociale, la coéducation n’est pas un problème à corriger, mais un cadre à renforcer.