Live News

Dr Jonathan Ravat : «Il faut renforcer la démocratie»

Nouvellement nommé directeur de l’Institut Cardinal-Jean-Margéot et anthropologue des religions, Dr Jonathan Ravat plaide pour une série de réformes. Le but est d’améliorer le fonctionnement de la nation mauricienne.  

2022 a été extrêmement riche en évènements. Il y a eu des allégations de passe-droit politiques, des problèmes au niveau de la police, des saisies de drogue, des soupçons de corruption et une inflation à deux chiffres. Une tension sociale est-elle palpable ?
Allons dire que nous sommes à la croisée des chemins. D’abord, nous sommes dans une période post-confinement et post-pandémie. La Covid-19 n’est pas encore éradiquée. Elle a eu un impact économique et social. Puis, nous sommes dans un contexte de fin d’année. La consommation s’accentue pour les fêtes. C’est le temps des bilans de l’année et des projets. À ce cocktail, il faut ajouter une inflation à deux chiffres. Certes, il y a une augmentation salariale de Rs 1 000 qui entre en vigueur à partir de janvier, mais le coût de la vie estimpacté. C’est indéniable. Nous sommes dans une situation qui est très certainement « challenging ». Elle est difficile et certainement douloureuse pour certaines familles. Ce qui ne veut pas dire que tout va mal. Je ne veux pas tomber dans le catastrophisme. De belles choses se font quand même à divers niveaux. On assiste à des reconversions dans certaines firmes. Certaines personnes réfléchissent à un changement de carrière. Des organisations non gouvernementales ont pu tenir en termes de financement. Côté éducation, il y a une reprise. Il y a des petits pas qui montrent qu’il y a des choses assez positives.

Publicité

Puis il y a la scène politique qui a été très active durant toute l’année avec son lot d’affaires…
Il y a aussi le contexte politique avec certains scandales, tout à fait. On a aussi l’image de changement fréquent de stratégie au niveau des partis de l’opposition. Ça donne une perception vacillante. La question se pose : est-ce que les scandales et le contexte difficile auquel font face beaucoup de Mauriciens ne prennent pas le pas sur les éléments positifs ? Quand les gens sont préoccupés par leur pouvoir d’achat, leur emploi, le climat d’incertitude avec la reprise post-pandémie, les scandales impliquant des politiciens, ça devient quand même assez compliqué. 

On prend l’élu pour le messie ou son contraire. Un changement de mentalité est utile."

Est-ce qu’il y a une colère ou une frustration dans l’air ?
Il y a des gens qui sont en colère ou frustrés. Je ne dirais pas que c’est le cas pour tout le monde. Il est indéniable que beaucoup de gens sont en colère ou frustrés. Pour certains, la situation n’est pas facile à cause de la hausse des prix. Un autre exemple est la pénurie d’eau qui affecte des régions sur le long terme. L’approvisionnement peut être parfois compliqué. Ce qui peut être matière à colère et tensions.

Comment faire baisser cette frustration ?
Il n’y a pas une solution miracle. Une panoplie de mesures sont nécessaires et à plusieurs niveaux. Prenons quelques exemples. En termes de démocratie, les élections municipales ne sont pas organisées. Pour donner une vitalité à la vie démocratique, il faudrait des élections. Il faudrait renforcer la vie démocratique au niveau local, pour qu’il y ait plus de participation des uns et des autres. Ce serait l’occasion de réfléchir sur les moyens de renforcer les capacités des autorités locales, notamment dans la gestion des routes et de l’eau. 

D’autre part, prenons l’éducation. Pas mal d’efforts sont faits pour poursuivre le travail dans l’éducation nationale. Une réforme est en cours. Les efforts en ce sens doivent se poursuivre, car l’éducation a un effet sur le long terme, mais pèse aussi sur le présent. Il faut formuler des solutions pour ceux qui ne parviennent pas à entrer dans le système. 

Il faut penser à la vitalité des institutions publiques comme la Central Water Authority (CWA) et le Central Electricity Board (CEB) qui touchent directement le quotidien de la population. 

Le manque d’eau n’est pas le tort du gouvernement ou d’un politicien. On est dans un contexte de changement climatique. Il faut donc renforcer notre capacité de captage et de distribution d’eau pour éviter une situation de pénurie d’eau. Ce ne sont que trois exemples pour lesquels une approche globale et intégrée est nécessaire. Si on n’a pas une approche systémique avec tous les partenaires, on ne fera que colmater et on restera dans une situation de tensions.

Vous parliez de l’eau et du fait que la pénurie n’est pas de la faute des politiciens. Mais, régner c’est prévoir, n’est-ce pas ?
Oui. Mais, la quantité de Mauriciens que je vois qui font fi des instructions des autorités et qui lavent au karcher la route devant chez eux ! Le citoyen est aussi un peu responsable. Et il l’est encore plus lorsqu’on est dans la présente situation.

Le manque d’eau n’est pas le tort du gouvernement ou d’un politicien. On est dans un contexte de changement climatique."

A-t-on trop l’habitude de blâmer le politicien pour tout ?
Le changement systémique doit aussi opérer sur notre mentalité. En raison de notre histoire, le politicien est le bouc émissaire. On prend l’élu pour le messie ou son contraire. Un changement de mentalité est utile. On ne va jamais résoudre les problèmes avec la mentalité qui les a créés.

Mais, d’un autre côté, le politicien aime bien se rendre indispensable et incontournable…
Celui-ci est dans un modèle de rapport de force. Il veut se rendre indispensable pour diverses raisons. Mais il y a aussi des mandants qui l’incitent à croire qu’il est indispensable. Cela dit, on n’est pas à l’abri des politiciens véreux et mafieux qui se posent comme des indispensables.

On parle beaucoup de la classe moyenne qui serait en train de disparaître à cause de la hausse du coût de la vie. Êtes-vous d’accord ?
C’est un autre gros défi qui nous attend. À Maurice comme ailleurs, pas mal d’initiatives sont prises par rapport à la pauvreté, mais il faut encore améliorer notre rapport à l’extrême pauvreté. Pour tout ce qui concerne le riche et l’extrême riche, le système capitaliste s’en charge. 

Entre les deux, il y a ce qu’on appelle tantôt la classe moyenne, la petite bourgeoisie ou le petit pauvre. Elle est composée de cadres, managers, petits cadres, fonctionnaires, ouvriers et employés de bureau, entre autres. Ils sont touchés économiquement. 

Il est peut-être important de réfléchir à des moyens pour soutenir la classe moyenne dans la durée. Il faudrait peut-être penser plus à elle. D’ailleurs, je pense que l’avenir nous obligera à penser à cette catégorie de citoyens. 

On sait comment juguler avec la pauvreté. Il y a eu plein de recherches à ce niveau, mais on connaît mal la classe moyenne. D’ailleurs, qui sont ceux qui tombent dans cette catégorie et quelles sont leurs caractéristiques ? 
Est-ce que la classe moyenne commence à Rs 20 000 par personne ? Est-ce qu’une famille de deux personnes et deux enfants qui vit avec Rs 50 000 par mois tombe dans cette catégorie ? Une des perspectives de recherche et de focus d’action serait pour la classe moyenne.

Le changement systémique doit aussi opérer sur notre mentalité. En raison de notre histoire, le politicien est le bouc émissaire."

La corruption a été un autre sujet récurrent en 2022…
Il faut renforcer les institutions nationales. L’avenir de Maurice passera aussi par la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Tout est lié. Le risque d’encouragement d’une économie parallèle où le trafic de drogue règne n’est également pas bien loin. C’est ce qu’on appelle les crimes en col blanc. Ce sont de gros sujets. Ils ont un impact désastreux sur la société, sur notre jeunesse, sur les familles. 

Les brutalités policières ont été un autre thème fort. Vous étiez jusqu’à tout récemment membre de la National Human Rights Commission. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
C’est la détention policière et carcérale qu’il faudrait repenser. Il y a un travail à faire sur le respect des droits humains, y compris celles des pires criminels. L’accusation provisoire fait aussi partie des combats. Il faudrait s’en défaire complètement ou partiellement, car c’est une monstrueuse menace pour la démocratie. Elle va à l’encontre de la présomption de l’innocence et peut entrainer des excès en tout genre.

On a assisté aux amendements à l’Independent Broadcasting Authority Act, et le mois dernier à de nouveaux règlements qui ont été ajoutés à cette loi pour encadrer davantage le fonctionnement des radios privées. Faut-il être inquiet par rapport à la liberté d’expression ?
Oui. Nous devons être inquiets. Il faut s’intéresser au sujet. C’est pourquoi l’Institut Cardinal-Jean-Margéot a organisé un débat sur le sujet tout récemment. La démocratie est au centre de la société et d’une nation jeune comme Maurice. L’ensemble de l’industrie de la presse a sa place dans la démocratie. La presse joue son rôle d’agent citoyen. Elle doit porter sa responsabilité politique d’acteur citoyen. Il faut s’intéresser au journalisme et à la pérennité de l’industrie de la presse.

Est-ce un danger ?
Oui. On a vu ça. Il y a une quasi-constance d’un bras de fer entre le pouvoir exécutif et le pouvoir médiatique et journalistique qui date depuis très longtemps. Il faut l’admettre. Il faut respecter l’exécutif et en même temps renforcer le pouvoir médiatique. Il faudrait une reconnaissance constitutionnelle de la liberté de la presse.

C’est-à-dire ?
La liberté de la presse et la liberté d’information devraient être inscrites dans la Constitution, afin de rendre transparents l’exécutif et la politique. C’est aussi pour que les citoyens puissent avoir accès à l’information quand ils sont concernés.

Sommes-nous en train d’aller dans la mauvaise direction ?
Ce que nous vivons est le propre de toute démocratie. Sous tous les gouvernements, on a entendu toutes sortes d’arguments. Il y a toujours eu des hauts et des bas à ce sujet. Comment renforcer le cadre de droit qui permettrait aussi aux citoyens engagés dans l’industrie de la presse de faire leur mission ? Il faut renforcer les acteurs pour renforcer la démocratie.

Vous venez d’être nommé directeur de l’Institut Cardinal-Jean-Margéot (ICJM) par le Cardinal Maurice Piat. Quelles sont les priorités de votre mandat ?
Trois maîtres mots me guident. D’abord la continuité par rapport à l’aventure que nous avons menée depuis des années. L’ICJM est à l’aune de ses 15 ans. Mais même avant ça, il y a eu une longue histoire de mise ensemble des personnes, des institutions, des ressources. 

L’ICJM est l’émanation d’un processus qui a duré une dizaine d’années. Donc il s’agit de poursuivre cet élan, cette démarche de rassemblement, de formation et d’éducation. 

Le second mot est la densité. Je voudrais renforcer et placer davantage l’ICJM dans l’espace diocésain et public. Je souhaite renforcer cette mission en dotant l’institut de nouveaux partenariats. Je pense au monde universitaire, afin de renforcer les formations. Il y a aussi la recherche, même si nous ne sommes pas dans le strict académique. Le troisième maitre-mot est la synodalité. C’est inspiré du grec et veut dire être ensemble. Il s’agit de réunir les gens pour marcher ensemble. Acceptons-nous à partir de nos différences, de nos spécificités. Nous sommes tous ensemble dans la même caravane. On va donc voir comment on peut aborder les sujets qui fâchent, les sujets tabous et amener davantage une culture de dialogue et de débats autour des enjeux politiques et faits de société en rassemblant les Mauriciens de tous bords. 

Au début, le but était d’en faire une université. Est-ce toujours le cas ?
Pour le moment, on n’a pas les moyens, mais il y aura des collaborations avec d’autres universités. C’est déjà le cas dans une certaine mesure. On peut ne pas être une université catholique, mais on va voir dans quelle mesure le savoir universitaire et le statut universitaire peuvent tous deux être au service de cette mission. 

 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !