Maurice veut se donner les moyens afin de devenir une destination pour le tourisme médical. Comment y arriver ? « Il faut tout d’abord avoir un personnel médical formé. Malheureusement, nous avons actuellement un problème à ce niveau », fait observer le Dr Teenushka Issarsing, CEO d’AEGLE Clinic – AEGLE Cancer Hospital. Dans cette interview, elle nuance, cependant, que « Maurice est aujourd’hui solidement positionné pour devenir un hub médical, capable d’accueillir des patients des pays de la région ».
Comment l’AEGLE Clinic a-t-elle évolué depuis sa création ? Quels étaient ses objectifs et quelles sont ses perspectives de développement à ce jour ?
L’AEGLE Clinic est un pionnier dans le domaine médical privé dans l’est du pays. Notre objectif était d’offrir aux habitants de cette région un accès à des soins de santé privée avec une accessibilité directe à nos spécialistes. Nous avons aussi misé sur les technologies médicales novatrices. Nous avons investi, entre autres, dans un CT Scan et une IRM de dernière génération, ce qui améliore considérablement la précision de nos diagnostics et l’efficacité des traitements que nous prescrivons en accueillant confortablement nos patients. Depuis son ouverture en 2018, l’établissement n’a cessé de se développer en élargissant sa patientèle. En parallèle, nous améliorons continuellement nos infrastructures et formons notre personnel. Nous comptons poursuivre sur cette voie, en accordant toujours autant d’importance aux nouvelles technologies et à l’innovation médicale de manière générale.
Comment la société a-t-elle fait face aux deux années marquées par la contraction d’environ 15 % de l’économie locale en raison des conséquences de la Covid-19 ?
Le secteur médical n’a pas été affecté, comme d’autres ont pu l’être, par l’impact économique de la pandémie de Covid-19. Peu importe le contexte socio-économique, lorsqu’une personne tombe malade, sa famille et elle recherchent toujours les meilleurs traitements pour se soigner.
Cela dit, on ne peut nier le fait que certains patients ont fait face à des difficultés financières. À notre niveau, nous les avons aidés du mieux possible à travers des facilités de paiement sur un système de crédit à AEGLE Clinic. Par rapport à AEGLE Cancer Hospital, on a mis en place le AEGLE Cancer Hospital Foundation. De plus, nous avons aidé nos patients et nous continuons à aider ceux qui en ont besoin pour se faire traiter ou qui doivent poursuivre leur traitement.
Les soins proposés par votre établissement répondent-ils aux attentes de la population, compte tenu des conséquences économiques de la pandémie ?
Nous faisons notre maximum pour nos patients, et ce afin de leur donner accès à des soins de qualité aux meilleurs tarifs. Notre priorité est de nous assurer que le traitement du patient est initié et qu’il se poursuive, même si celui-ci fait face à des difficultés financières. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous proposons désormais des facilités de crédit aux patients qui en ont besoin.
Est-ce qu’il y a suffisamment de personnels formés aux soins de santé à l’île Maurice ?
Malheureusement non ! Comme de nombreux secteurs d’activité, la santé fait actuellement face à un manque de personnel qualifié. C’est un défi de taille que le secteur, dans son ensemble, aura à relever pour poursuivre son développement. Il y a déjà un certain nombre d’initiatives qui sont prises par les secteurs privés avec l’aide des institutions locales pour pallier ce problème, mais il reste toujours beaucoup à faire.
Quelles sont les formules que propose l’établissement aux patients disposant de peu de moyens et aux entreprises en termes d’assurance-maladie ?
Nous sommes d’avis que l’argent ne devrait pas être un obstacle pour accéder à des soins de santé de qualité. Lorsque la situation financière du patient est difficile, nous discutons avec lui et ses proches afin de trouver une solution. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous leur proposons des facilités de crédit qui permettent d’échelonner le paiement. Dans certains cas, sur une base humanitaire, nous pouvons même aller jusqu’à revoir à la baisse nos tarifs. De plus, à travers notre l’AEGLE Cancer Hospital Foundation, nous venons en aide aux patients issus de milieux modestes. Nous pouvons ainsi financer la totalité ou une partie des frais afin de permettre aux malades de suivre leur traitement jusqu’au bout.
Quels sont les aspects du Budget 2023-2024 qui vous semblent positifs par rapport à votre raison sociale ?
Je voudrais tout d’abord féliciter le ministère de la Santé pour le formidable travail qui est fait. Je pense que le dernier Budget démontre une réelle volonté de faire évoluer le système de santé. Cela dit, je pense qu’il serait bénéfique pour le pays qu’un système d’assurance soit mis en place pour toute la population. Cela donnerait le choix aux Mauriciens de choisir entre les hôpitaux et centres de santé publics, d’un côté, et les cliniques privées, de l’autre. Une telle mesure aurait plusieurs effets positifs, notamment une diminution des visites injustifiées à l’hôpital, une réduction du budget pharmaceutique pour chaque patient, et finalement, un regain de confiance de la population dans notre service de santé. Il faut savoir que de tels dispositifs existent déjà en Europe et en Afrique.
Quelles sont les conditions nécessaires pour que l’île Maurice développe une véritable destination ‘Health’ – aussi appelé tourisme médical – dans la région de l’océan Indien et en Afrique ?
Il faut tout d’abord avoir un personnel médical formé. Malheureusement, nous avons actuellement un problème à ce niveau. Il est essentiel de créer davantage d’opportunités de formation pour les Mauriciens. Il faudrait aussi encourager plus de jeunes à aller vers les métiers de la santé. Nous devons aussi être avant-gardistes dans notre approche et continuer à investir dans les nouvelles technologies et l’innovation. Nous pourrons ainsi proposer aux patients des pays avoisinants davantage de soins auxquels ils n’ont pas accès chez eux. Certains pays africains, par exemple, n’ont pas les infrastructures nécessaires pour prendre soin de leurs patients cardiaques, alors que nous avons déjà des centres spécialisés dans ce domaine à Maurice. Nous pouvons ainsi identifier les domaines médicaux dans lesquels nous avons déjà une certaine avance et sur lesquels nous pouvons nous appuyer dans un premier temps. Il nous faut ensuite avoir l’appui des autorités, à savoir le ministère de la Santé ou encore de l’Economic Development Board (EDB) pour faciliter certaines démarches, comme l’octroi des visas pour les patients originaires des pays de la région. On peut aussi penser à des campagnes de dépistage et de sensibilisation dans ces pays afin de positionner Maurice comme un hub pour le tourisme médical.
La clinique privée est-elle complémentaire – ou supérieure – aux services de santé publics ?
En me basant sur mon expérience, je peux dire que les soins dans les hôpitaux publics n’ont rien à envier à ceux proposés dans les cliniques privées. Cela dit, le secteur public a certaines lacunes que l’on connaît. On pense notamment au temps d’attente avant qu’un patient puisse être examiné par un médecin. Cette situation est due à plusieurs facteurs, tels que le nombre important de patients qui se rendent dans les établissements publics, mais aussi à l’indisponibilité de certains spécialistes. Dans le secteur privé, les médecins sont plus disponibles, ce qui réduit le temps d’attente. Ainsi, les docteurs peuvent consacrer plus de temps à leurs patients. De même, le temps d’attente pour effectuer les tests est relativement plus court dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics.
Durant ces dernières années, il y a eu des interrogations sur les tarifs pratiqués par certaines cliniques, jugés parfois abusifs. Ces interrogations vous paraissent-elles pertinentes ?
Je ne peux pas commenter pour les cliniques de manière générale. En ce qui concerne l’AEGLE Clinic et l’AEGLE Cancer Hospital, nous pratiquons des tarifs que nous estimons être justes vis-à-vis de nos patients. Pour les assurés, nos tarifs sont régis par le barème de coûts proposé par les compagnies d’assurance. Tous nos tarifs sont contrôlés et des inspections régulières sont faites pour évaluer la qualité de nos services par rapport à nos coûts. Tout cela permet de garantir aux patients que nos tarifs sont justes.
De quelle manière des soins non-thérapeutiques et appelés parfois réparateurs – ou encore médecine réparatrice – répondent aux attentes des Mauriciens ?
Les Mauriciens ne sont pas encore suffisamment sensibilisés à ces types de soins. Par exemple, nous parlons aujourd’hui d’accouchement sans douleur avec une aide médicale. Nous avons aussi des traitements de la colonne vertébrale ou des discectomies, qui produisent d’excellents résultats, mais pour lesquels une intervention chirurgicale n’est pas nécessaire. Comme pour la laparoscopie il y a une vingtaine d’années, ces traitements doivent aujourd’hui être mieux compris et acceptés par les Mauriciens. Il y a un travail de sensibilisation à faire. De plus, il ne faut pas oublier la formation de spécialistes, qui est très importante.
Comment accueillez-vous le débat autour du don d’organe ?
Le don d’organe est une pratique courante à l’échelle internationale. C’est pour moi un sujet important qui ne devrait pas être tabou.
Est-ce qu’un traitement, comme celui désigné sous la terminologie de chirurgie de la réattribution sexuelle, pourrait-il voir le jour à l’île Maurice ?
C’est une chirurgie qui est devenue courante à travers le monde. On peut donc s’attendre à ce qu’elle soit proposée à Maurice, à condition de réunir toutes les expertises et infrastructures nécessaires. Il faut savoir que la réattribution sexuelle est une chirurgie extrêmement complexe, qui comprend une dizaine d’interventions impliquant plusieurs spécialistes.
Voyez-vous l’île Maurice bien engagée dans la mise sur pied d’une filière pharmaceutique et des biotechnologies, comme le Budget 2020-2021 l’avait promis ?
Compte tenu du nombre d’institutions médicales qui existent ou qui sont en cours de construction, et de la demande de médicaments sur le marché local, il ne fait aucun doute que ce secteur a un bel avenir à Maurice. D’autant que si nous voulons répondre à la demande, maintenir la qualité et contenir la hausse des prix, nous aurons à développer une industrie pharmaceutique, mais aussi biotechnologique, qui est essentielle pour la création et la fabrication de vaccins.
Le domaine de la médecine a été très marqué par l’essor de l’intelligence artificielle avec des pratiques assistées par ordinateur. Comment l’E-médecine peut-elle servir la communauté et quelles sont ses limites dans une petite économie comme l’île Maurice ?
Aujourd’hui, pratiquement tous les nouveaux appareils sont équipés de l’intelligence artificielle. Au AEGLE Cancer Hospital, par exemple, nous avons récemment lancé un nouveau service de radiothérapie 4D, qui permet de traiter plusieurs types de cancers avec une précision accrue. En ce qui concerne l’E-médecine, les avantages pour la communauté sont indéniables, avec notamment les dossiers médicaux qui peuvent être numérisés afin d’être accessibles à tout moment par les professionnels de santé. En cas d’urgence, un ambulancier ou un médecin peut facilement consulter le dossier du patient, connaître ses antécédents, et ainsi pouvoir lui prodiguer les premiers soins dans les meilleurs délais. Ce système peut sauver des vies.
Est-ce que nos services de santé – privés et publics – sont-ils très au fait des développements et innovations dans le monde ?
Nous avons fait d’énormes progrès au cours des dernières décennies. Que ce soit dans le secteur public ou privé, d’importants investissements ont été consentis pour améliorer la qualité du service et surtout les soins proposés aux patients. Maurice est aujourd’hui solidement positionné pour devenir un hub médical, capable d’accueillir des patients des pays de la région.
On prend l’exemple de la cardiologie ou de la maternité, où nous sommes en avance par rapport à certains pays voisins. Cela dit, il nous reste encore du chemin à parcourir, pour rattraper d’autres pays et continuer à viser l’excellence.
Quelles leçons/ enseignements convient-il de tirer des conséquences de la pandémie de Covid-19 – environ 8 millions à ce jour tout de même ? Et peut-on aujourd’hui détecter les premiers signes d’une telle tragédie ?
La principale leçon, je dirais, c’est d’avoir une alimentation équilibrée et une activité physique régulière. Ce sont ces bonnes habitudes au quotidien qui vont nous aider à bâtir notre immunité et nous permettre de lutter contre les infections et les virus. En ce qui concerne la détection, je pense que nous avons aujourd’hui des systèmes de santé qui sont mieux préparés et équipés pour contenir les risques à l’avenir.
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