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Dr Dawood Oaris : «Réformer la santé, c’est repenser toute la philosophie du système»

Le président de l’association des cliniques privées dénonce une vision trop administrative des réformes hospitalières. Il critique la centralisation, appelle à une formation mieux structurée du personnel paramédical et plaide pour une meilleure articulation entre les secteurs public et privé.

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Quel est votre regard sur le système de santé ?
La Private Clinics Association milite pour une médecine de qualité à Maurice. Pour que le service de santé puisse fonctionner, il faut administrateurs, médecins, spécialistes, infirmiers, sages-femmes, dentistes, pharmaciens, professionnels paramédicaux (Allied Health Professionals) et personnel non médical formé dans le domaine de la santé. Il faut donc comprendre les problèmes du secteur de la santé dans leur globalité.

Tous les infirmiers, qu’ils travaillent dans le public ou dans le privé, sont formés à Maurice. 90 % des infirmiers et des sages-femmes travaillaient dans le service public, ce qui fait qu’il y en avait très peu dans le secteur privé.

Il y a environ 4 500 infirmiers dans le système de santé, mais nous en perdons 10 % chaque année pour diverses raisons. Résultat : que ce soit dans le public ou dans le privé, il y a aujourd’hui un manque aigu d’infirmiers. 

Il faut une vraie planification. 

Le Budget promet de réformer la gestion des hôpitaux publics avec des Managers professionnels. Est-ce vraiment une question de management, selon vous, ou est-ce la culture du travail qu’il faut revoir en profondeur ?
Nommer des Managers pour administrer un hôpital public ne changera rien. C’est toute la philosophie qu’il faut revoir, en passant d’une administration complètement centralisée au siège du ministère de la Santé et du bien-être à une administration partiellement régionalisée.

Les problèmes de manque de financement, de personnel réduit et inadéquat – qu’il soit médical ou non médical –, d’absentéisme ou d’entretien des équipements persisteront.

Qu’est-ce qu’un « manager professionnel » ? Ni un médecin, ni un détenteur de diplôme en gestion. Celui qui accomplira le mieux ce travail est un médecin ayant suivi une formation avancée en gestion hospitalière. Il faut ensuite lui donner la liberté de gérer son hôpital. Sinon, on retombera toujours dans une perte de temps et de compétences, à cause d’un conflit persistant entre le corps médical et le corps administratif. Un bon exemple est le conflit qui règne au siège du ministère.

À qui incombe la responsabilité du manque d’infirmiers à Maurice ?
La faute revient à tous les gouvernements qui se sont succédé au cours des 20 dernières années. Le secteur privé est limité en matière de formation. Celle-ci se fait à travers les centres de formation privés, et le Mauritius Institute of Health (MIH) assure la formation des infirmiers du service public uniquement, tout comme la School of Nursing.

Or, aujourd’hui, 27 % de la population se fait soigner dans les cliniques privées. Cette année, ce chiffre grimpera entre 30 % et 33 %. 

Avez-vous déjà proposé des solutions concrètes au ministère pour accélérer le recrutement ? Qu’est-ce qui bloque ?
Depuis 20 ans, je fais des propositions, mais encore faut-il qu’on m’écoute et entende ce que je dis. Au lieu d’imposer trois ans de formation pour devenir infirmier, les aspirants pourraient commencer leur carrière en tant que Health Care Assistant (HCA), avec une formation d’un an. Ensuite, ceux qui souhaitent poursuivre leurs études pourraient se qualifier comme infirmiers.

Aujourd’hui, nous avons 4 500 infirmiers. Il faudrait en former au moins 10 % chaque année. Si l’on ne forme pas 450 infirmiers par an, il y aura un manque constant.

Récemment, pour pallier le manque d’infirmiers, le ministère de la Santé a fait appel à des retraités. Il en est de même pour les techniciens de laboratoire. Est-ce cela, une planification ?

Il existe plusieurs institutions : le ministère de l’Éducation, celui de la Santé, l’Université de Maurice, l’Université de Technologie… Or, aucune ne propose de formations régulières pour les infirmiers. Pourquoi ? 
Le gouvernement avance qu’il y a un manque de main-d’œuvre et qu’il faut faire venir du personnel de l’étranger. Moi aussi, je recrute à l’étranger, mais est-ce rationnel de payer une personne qui, ensuite, envoie sa rémunération dans son pays d’origine ? Cela n’a aucune logique, d’autant plus qu’ils ne restent qu’un ou deux ans, et utilisent Maurice comme tremplin pour acquérir de l’expérience avant de partir au Canada, à Dubaï ou ailleurs.

Nous avons une population bilingue. En plus d’offrir la formation localement, nous pourrions permettre à nos infirmiers de travailler à l’étranger, afin qu’ils rapatrient de l’argent à Maurice. Alors pourquoi n’y a-t-il pas de plan de formation sérieux ? Où est-ce que ça coince ?

On peut commencer par former des HCA. Il n’y a pas suffisamment de sages-femmes pour assister les accouchements, si bien qu’il faut en faire venir de l’étranger. Pendant combien de temps cela va-t-il continuer ? Est-ce une solution viable ?
Toutes les institutions de formation devraient pouvoir offrir des sessions, et chacune pourrait prendre en charge une part de ces 450 aspirants infirmiers à former chaque année. Le Mauritius Institute of Health, financé par le ministère de la Santé, devrait pouvoir en former au moins 50. Polytechnics Mauritius, une centaine. Quant à la School of Nursing, qui propose une formation de trois ans, elle pourrait commencer par une première cohorte de 50 aspirants.

Le Budget 2025-26 prévoit la fusion de la School of Nursing et du MIH. Cette centralisation de la formation risque-t-elle, selon vous, de créer un déséquilibre entre le public et le privé en matière d’accès aux professionnels formés ?
Le développement des compétences par le ministère de la Santé et du bien-être, que ce soit pour le secteur public ou privé, est son plus grand échec depuis 20 ans. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une pénurie totale de médecins généralistes et de spécialistes sur le marché, ainsi que de personnel paramédical : infirmiers, sages-femmes, techniciens de laboratoire, techniciens en imagerie, préparateurs en pharmacie, kinésithérapeutes, entre autres.

La School of Nursing et le MIH ont échoué lamentablement ! Les fusionner n’est pas la solution. Il faut recruter environ 100 à 150 étudiants infirmiers chaque année, sur la base d’un programme de formation en quatre étapes. L’Université de Maurice, l’Université de Technologie et Polytechnics Mauritius doivent former chaque année entre 200 et 250 personnels paramédicaux dans diverses spécialités.

Une autre anomalie doit être corrigée : les étudiants en soins infirmiers à la School of Nursing sont recrutés par la Public Service Commission et reçoivent une allocation mensuelle, alors que ceux qui étudient à Polytechnics ne sont pas rémunérés.

En principe, une des universités a proposé un programme à quatre paliers :

  • Fin de la 1ère année : aide-soignant.
  • Fin de la 2e année : assistant infirmier.
  • Fin de la 3e année : diplôme en soins infirmiers.
  • Fin de la 4e année : licence en soins infirmiers.

Par ailleurs, pour attirer les étudiants vers les études en soins infirmiers, des incitations doivent être offertes. C’est une profession noble et exigeante. Le Pay Research Bureau ne peut les considérer comme de simples employés de bureau et leur attribuer les mêmes salaires, alors qu’ils effectuent des gardes de nuit et assument d’énormes responsabilités envers les patients.

De plus, le paiement du salaire minimum à toute personne travaillant à temps plein a aggravé la situation. Certains étudiants formés préfèrent travailler dans des commerces, car ils perçoivent le même salaire, en journée, avec moins de responsabilités.

Une approche holistique doit être adoptée pour attirer et fidéliser les étudiants dans la profession infirmière. L’importation de personnel infirmier étranger n’est qu’une solution temporaire, avec en prime des problèmes d’adaptation linguistique et culturelle.

Le ministre de la Santé, Anil Bachoo, a évoqué un manque de 1 500 infirmiers dans le service public. On entend dire que beaucoup d’infirmiers ont été débauchés par le secteur privé, qui leur offrirait de meilleures conditions...
Le secteur privé fait face aux mêmes contraintes que le public. Ce n’est pas vrai de dire que le privé paie mieux. Le vrai problème est ailleurs.

Le gouvernement a construit de nouveaux centres de santé et introduit de nouveaux services dans les hôpitaux, Mediclinics, Area Health Centres et Community Health Centres. Mais le personnel n’a pas augmenté proportionnellement. 

Prenons le National Cancer Centre : y a-t-il eu une formation spécifique pour le personnel ? Ce n’est pas de la mauvaise planification, c’est une absence totale de planification. C’est la responsabilité du pays de former ses infirmiers.

Craignez-vous un monopole de l’État dans la formation, au détriment des besoins spécifiques des cliniques privées ?
Le gouvernement agit dans l’intérêt des citoyens, et le ministre de la Santé et du bien-être est responsable de la santé de tous, qu’ils fréquentent les hôpitaux publics ou les cliniques privées. Le pays doit former suffisamment de personnel paramédical pour alimenter à la fois les hôpitaux publics et les cliniques privées.

Au-delà de la formation, les mesures budgétaires pour la santé intègrent-elles suffisamment le secteur privé dans une logique de complémentarité avec le public ? L’État semble miser sur l’investissement public en santé. Craignez-vous que le privé soit relégué au second plan dans les politiques de santé ?
Le budget est plutôt rassurant pour le secteur privé également. Mais d’autres enjeux doivent encore être abordés par le gouvernement. J’ai déjà soumis mes propositions dans une analyse de la situation pour le plan stratégique du secteur de la santé 2025-2030.

a) Perte de fonds publics, gaspillage de temps pour le personnel de santé

Nous avons une population de 1,2 million d’habitants, dont un quart se tourne vers le secteur privé. Pourtant, le secteur public enregistre 10 millions de consultations.

Un patient atteint d’un trouble bénin se rend dans un centre de santé communautaire (A). Il est vu par un médecin et un infirmier, et reçoit ses médicaments du pharmacien. Pas satisfait, il se rend à un centre de santé de zone (B), puis dans une policlinique (C), avant de tenter sa chance à l’hôpital régional (D), pour enfin se diriger vers un hôpital spécialisé (E).

Je crois en l’État-providence, mais dans ce cas, les fonds publics sont gaspillés. Une seule personne consultée pour les mêmes symptômes par cinq médecins, mobilisant cinq infirmiers et cinq pharmaciens, et recevant cinq fois des médicaments.

Une carte de santé pourrait être attribuée à chaque adulte (les enfants étant accompagnés), avec une inscription obligatoire à chaque visite. Cela coûtera peut-être des milliers, mais permettra d’économiser des millions.

Certains parleront du système de e-health en cours de mise en œuvre. J’en entends parler depuis 20 ans, et il faudra encore cinq ans pour le rendre pleinement fonctionnel à travers le pays. Que fait-on entre-temps ?
b) Le développement des compétences a déjà été évoqué.

c) Environ 300 médecins sont employés par le ministère de la Sécurité sociale.

Ils pourraient être transférés au ministère de la Santé et du bien-être, ce qui permettrait de mettre en œuvre le système du « médecin de famille ». Celui-ci assurerait un suivi global des patients et les orienterait vers l’hôpital si nécessaire. Cela permettrait de rationaliser le système de santé et de réduire les dépenses excessives.

d) Le système de travail en rotation doit être aboli, au profit de l’ancien système où un médecin travaillait cinq jours et demi par semaine. Une indemnité était alors versée pour les gardes de nuit, les samedis, dimanches et jours fériés. Cela assurait une continuité des soins, le patient étant suivi par le même médecin. Avec le système de rotation, cette continuité n’existe plus.

e) Le maintien des spécialistes à l’hôpital a conduit nombre d’entre eux à quitter le service public. Un grade intermédiaire de registrars doit être instauré et nommé.

 

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