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Dr Chandan Jankee, économiste : «Il est temps de mettre en place un système de ciblage» 

Avec une marge de manœuvre politique renforcée, le nouveau gouvernement peut amorcer des réformes structurelles ambitieuses, soutient le Dr Chandan Jankee. Mais son premier Budget devra trouver le juste équilibre entre relance économique et préservation des acquis sociaux. Pour cela, l’économiste recommande des réformes ciblées, une rationalisation des ressources publiques et une lutte efficace contre les gaspillages.

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Le premier Budget de ce quinquennat sera présenté ce jeudi 5 juin. Doit-on s’attendre à un changement de cap économique ? 
Je ne m’attends pas à des changements majeurs, compte tenu de la structure actuelle de notre économie et de nos ‘stakeholders’. Nous devons prôner la continuité, tout en introduisant plusieurs réformes ciblées. Notre modèle économique reste bien défini : le gouvernement joue un rôle de facilitateur, tandis que la dynamique repose en grande partie sur la capacité du secteur privé à investir. Les évolutions à venir pourraient porter sur la stratégie économique, avec l’émergence de nouveaux piliers ou le renforcement des secteurs déjà en place. Une attention particulière devrait être accordée à l’économie bleue, au secteur de l’énergie, aux industries d’exportation, à l’agro-industrie, à la production locale et aux PME.

De quelle marge de manœuvre disposent les Finances quand on sait que le pays doit conjuguer avec un déficit budgétaire de Rs 48,5 milliards, soit 6,7 % du PIB, un niveau d’endettement qui frôle les 90 % du PIB et une croissance qui sera plus faible cette année ?
Le gouvernement fait face à des défis, c’est indéniable. Pour autant, il est essentiel de rester optimistes. Il y a quelques années à peine, les obstacles étaient bien plus redoutables, notamment pendant la pandémie, qui a entraîné une contraction de 14,3 % de l’économie. L’ancien gouvernement a dû affronter cette tempête, et c’est grâce à des piliers économiques solides que le pays a pu rebondir. Aujourd’hui, la situation est loin d’être aussi chaotique. Même les institutions comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, tout en conseillant une réforme fiscale, ne formulent rien de négatif sur l’économie ou la gouvernance économique du pays.

Quant à la dette, elle résulte en grande partie des emprunts contractés lors des périodes difficiles et des allocations que l’ancien gouvernement a accordées ici et là. Le nouveau gouvernement doit maintenant trouver des moyens de stimuler la croissance, mais sans remettre en cause les prestations sociales, déjà intégrées dans les revenus de nombreux Mauriciens. Avec un coût de la vie élevé, il est crucial de préserver le pouvoir d’achat, surtout des plus vulnérables. Le gouvernement doit chercher d’autres options pour augmenter ses revenus. Des solutions existent : accroître les recettes fiscales, éviter les gaspillages dans certains secteurs et engager des réformes pour mieux rationaliser la gestion des finances publiques.

Vous dites que la situation n’est pas chaotique…
Malgré un niveau élevé de dette, un déficit budgétaire important et un ralentissement de la croissance, l’économie mauricienne demeure résiliente. Le pays dispose déjà d’une base économique solide qui peut servir de tremplin à une nouvelle stratégie axée sur l’efficacité, l’innovation et une certaine discipline, dans le but d’accélérer la croissance. Le gouvernement devra, à travers son Budget, restaurer la confiance de la population et des « stakeholders », notamment des investisseurs locaux et étrangers. Il est crucial de leur prouver que l’économie mauricienne conserve un fort potentiel, tant pour la production locale que pour l’exportation.

Il est aussi impératif de maintenir notre stratégie tournée vers l’Afrique, un marché vaste et porteur, en capitalisant sur la réputation de Maurice en matière de bonne gouvernance et sur ses autres atouts reconnus sur le continent. Par ailleurs, le pays bénéficiera d’un package financier provenant de la rente des Chagos : c’est à l’équipe économique du gouvernement de déterminer comment en faire un levier de développement, notamment sur le plan social.

Cela dit, le gouvernement a pris la position de dire que les caisses sont vides et que la situation économique est mauvaise. Il sera donc intéressant de voir quelles mesures innovantes seront proposées pour réduire les dépenses publiques et relancer la croissance. Ce qui est important, c’est que le gouvernement fasse preuve de cohérence et de crédibilité, qu’il exécute sa stratégie, et surtout, qu’il respecte ses engagements et promesses dans les délais annoncés.

Le gouvernement compte tabler sur l’investissement et rompre avec le modèle économique actuel basé sur la consommation. Cette transition est-elle facile à mener quand on sait que la majorité des investissements du pays sont consentis dans l’immobilier ? 
C’est un slogan politique ! À court terme, il est très difficile de passer d’un modèle axé sur la consommation à un modèle centré sur l’investissement. Certes, les investissements publics et privés ont progressé par rapport aux années précédentes. Mais pour stimuler véritablement l’investissement, des réformes en profondeur sont nécessaires. Il faut s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre, qu’elle soit peu ou hautement qualifiée, à la bureaucratie excessive et au manque d’efficacité de notre secteur public. Prenons la CWA ou le CEB : leur inefficience est bien réelle, mais souvent masquée par des hausses tarifaires.

Par ailleurs, une partie de la dette nationale provient de l’endettement des corps paraétatiques. De même, on ne peut non plus ignorer les failles de notre système hospitalier. Ce sont là des problèmes systémiques et structurels. Depuis des décennies, tous les gouvernements promettent une amélioration des services publics, sans changement réel. Il est temps d’agir. Le gouvernement doit impérativement réformer le système pour en accroître l’efficacité. Je souhaite qu’on fasse la transition vers une économie fondée sur l’investissement, mais elle prendra beaucoup de temps.

Justement, il y a de fortes attentes pour des réformes dans le Budget 2025-2026. Comment devraient s’articuler ces réformes ? 
Je pense que le gouvernement, fort de sa victoire écrasante aux législatives avec un 60-0, dispose d’un mandat solide pour engager les réformes nécessaires. Il doit s’appuyer sur la loi pour avancer rapidement, notamment en introduisant une Fiscal Responsibility Act afin de prévenir le gaspillage des fonds publics et de renforcer la culture de responsabilité. La discipline est essentielle, et les réformes doivent toucher tous les secteurs.

À mon avis, il est grand temps de prendre des décisions courageuses, notamment en introduisant un système de ciblage. L’éducation, par exemple, doit rester gratuite pour les plus vulnérables, mais peut devenir payante pour ceux qui ont les moyens. Il en va de même pour la santé. Une réforme du développement immobilier s’impose également. Aujourd’hui, ce secteur bénéficie surtout à une minorité. Il fonctionne presque comme une économie parallèle. Le gouvernement doit intervenir pour stabiliser les prix des terrains, qui flambent et empêchent de nombreux citoyens d’accéder à la propriété. Enfin, une réforme du système de pension devient urgente face au vieillissement de la population et à la baisse du ratio de dépendance. Un ciblage de la pension de vieillesse, dans un esprit de solidarité, devient incontournable. Le coût de ce dispositif devient de plus en plus lourd et n’est pas viable à long terme.

Des craintes subsistent selon lesquelles les allocations de salaires et d’autres allocations sociales seront supprimées. L’économie prendra-t-elle le pas sur le social ?
Relancer l’économie est essentiel. Mais le gouvernement doit impérativement préserver les prestations sociales. Les allocations versées jouent un rôle crucial pour les plus vulnérables, qui les ont déjà intégrées dans leur budget quotidien. Le coût de la vie élevé est l’un des défis majeurs du pays. L’État a donc la responsabilité de garantir un niveau et une qualité de vie décents pour l’ensemble de la population.
 

 

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