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Dr Avinaash Munohur : «Les prochaines élections marqueront un tournant dans l’espace politique»

Politologue et consultant en stratégies politiques, le Dr Aavinash Munohur donne son avis sur les élections générales à venir, et a une opinion critique sur l’alliance PTr-MMM-ND avec l’éventuelle arrivée de Rezistans ek Alternativ. Il aborde aussi le « money politics » et parle de sa propre ambition politique.

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Quels sont les principaux enjeux des prochaines élections générales ?
Au sortir de cinq années marquées par de profondes perturbations à l’échelle du monde, les enjeux de cette élection, au-delà des calculs électoraux simplistes, sont clairs. Il en va de notre modèle de développement, de notre modèle social, de notre capacité à consolider notre résilience et de notre volonté à créer une République qui soit encore plus inclusive et davantage tournée vers les innovations et les progrès qui nous permettront de pérenniser notre souveraineté politique et économique. 

Quels facteurs, selon vous, détermineront le succès ou l’échec des grandes alliances lors de ces élections ?
Au-delà des bases politiques ou des « dépôts fixes », comme on aime le dire à Maurice, les facteurs qui feront la différence auprès de l’électorat composé des indécis et des personnes politiquement neutres, sont le pouvoir d’achat, l’insécurité et les problèmes de bonne gouvernance, selon moi. Il sera important pour tous les partis de proposer une vision clairement expliquée et précise de ce que notre pays se doit de devenir d’ici 2029. 

Rezistans ek Alternativ (ReA) a obtenu trois tickets dans le cadre d’une alliance PTr-MMM-ND. Tout semble indiquer qu’ils seront un partenaire de cette équipe. Cela pourrait-il créer une dynamique ?
C’est difficile d’évaluer le poids électoral de ReA. Ils n’ont jamais réussi à percer électoralement, abandonnant même l’idée de présenter des candidats. Ils ont justifié cette posture en invoquant qu’ils étaient contre le système électoral actuel, mais la réalité est que ReA n’a jamais pu construire une base solide permettant une percée électorale sérieuse. De ce point de vue, trois tickets me semblent être une excellente opération pour eux, car ils vont profiter de la dynamique produite par le PTr, et le MMM dans une moindre mesure, pour enfin tenter de faire élire des candidats. 

Mais ce qui m’interpelle particulièrement, c’est que nous nous retrouverons avec une alliance dont l’éventail idéologique va du capitalisme libéral social-démocrate du PTr au communisme réinventé en socialisme écologiste de ReA, en passant par un courant wokiste allié à une représentante du grand capital colonial au MMM. Il y a là, des contradictions extraordinaires en fait. Irréconciliables, même. 

Les plateformes comme Facebook ont tendance à être davantage un espace d’expression des frustrations et d’affichage d’une stupidité sans limite, plutôt qu’un moyen d’influencer des choix de vote éclairés»

Imaginez-vous une réunion stratégique d’un Economic Policy Council avec Rama Sithanen et Ashok Subron assis du même côté de la table des négociations ? Ou encore, imaginez-vous Stefan Gua parler de la lutte des classes avec Navin Ramgoolam ? Ce serait extraordinairement drôle, et pas uniquement à cause de l’incompréhension autour du terme « classe »… 
Mais de manière plus sérieuse, je n’oublie pas que ReA défend des amendements constitutionnels qui ne sont absolument pas compatibles avec les croyances politiques de la base historique du PTr. Navin Ramgoolam avait fait l’erreur fatale de penser que la majorité des Mauriciens voulaient d’une autre Constitution en 2014. Il ne semble pas avoir appris de ses erreurs. 

Qu’en est-il du PMSD qui, a priori, sera en alliance avec le MSM et ses alliés ? Est-ce qu’ils pourront apporter ce petit plus à l’alliance gouvernementale ou, au contraire, sa présence créera une certaine résistance auprès de l’électorat ?
Est-ce qu’une alliance est actuellement en discussion avec le MSM ? Nous pouvons le penser, du simple fait que le PMSD n’ira jamais seul dans une élection, et par la récente élection d’Adrien Duval au poste de Speaker de l’Assemblée nationale. Xavier-Luc Duval a lui-même suggéré qu’il était ouvert à des discussions lors de différentes interventions. Mais est-ce qu’une alliance a été entièrement conclue ? Pour l’instant, rien n’a été officialisé. 

Est-ce que le PMSD apportera un plus à l’alliance gouvernementale ? Il est notoire que le PMSD est un parti qui apporte, selon l’expression consacrée, les cinq sous qui font la roupie. Cette expression, qui se veut drôle et moqueuse, n’est pas anodine. Elle comporte un fond de vérité et témoigne du fait que le PMSD possède historiquement une base solide et fidèle, capable de faire pencher la balance dans n’importe quelle élection. 

Est-ce, aujourd’hui, toujours le cas ? Nous le verrons bien au sortir des prochaines élections. 

Peut-on interpréter les multiples « cadeaux », entre autres, faits aux fonctionnaires et employés du privé, comme un aveu que la situation sur le terrain est difficile pour le gouvernement ?
Le gouvernement semble avoir une stratégie très claire pour les prochaines élections. C’est la même que pour les élections de 2019. Si je devais la résumer, je dirais qu’elle comporte deux axes forts, avec, d’un côté, les grands projets de prestige, et de l’autre, des politiques permettant des réajustements économiques et des politiques sociales. 

Nous savons que le monde est en crise depuis la Covid. Cette crise est tout aussi bien économique, sociale, culturelle et sécuritaire en réalité. Maurice reste un pays particulièrement exposé aux risques liés à la globalisation. Il suffit de constater les conséquences de l’augmentation du prix du fret, liée aux déstabilisations géopolitiques au Moyen-Orient, sur les budgets des ménages pour comprendre notre fragilité. Le réajustement des salaires et l’application du PRB sont des politiques qui s’inscrivent directement dans une volonté de contrer ces effets sur le pouvoir d’achat des ménages. 

S’agit-il de « cadeaux » pour compenser un mécontentement sur le terrain, comme vous le dites ? Ce sera aux Mauriciens d’en décider le jour des élections. Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement utilisera tous les outils à sa disposition dans le « build-up » des élections. 

ReA défend des amendements constitutionnels qui ne sont absolument pas compatibles avec les croyances politiques de la base historique du PTr»

Pensez-vous que les formations émergeantes, telles que Linion Moris et le Reform Party, pourront faire basculer le vote d’un côté ou de l’autre ?
Je pense qu’ils pourront « gratter » assez de votes dans certains vote banks et dans certaines circonscriptions pour faire perdre certains candidats, oui. Rappelons-nous des dernières élections, où l’écart entre le troisième et le quatrième s’est parfois joué à quelques dizaines de votes. Les partis ou candidats capables de mobiliser quelques centaines de votes feront forcément une grosse différence dans un cas de figure similaire. C’est la nature même du système First past the post qui le veut. 

Au cours de ces cinq dernières années, on a vu une présence encore plus prépondérante des réseaux sociaux dans le quotidien des Mauriciens. Pensez-vous que les réseaux sociaux auront un rôle important à jouer dans le choix des électeurs ? 
Je ne pense absolument pas que les réseaux sociaux influent le vote à proprement parler. Les plateformes comme Facebook ont tendance à être davantage un espace d’expression des frustrations, de diffusion d’opinions gratuites et, malheureusement, d’affichage d’une stupidité sans limite, plutôt qu’un moyen d’influencer des choix de vote éclairés. Pour convaincre les électeurs, il faut, heureusement, toujours présenter des propositions pragmatiques et bien pensées, qui répondent aux besoins, aux aspirations et aux véritables préoccupations des Mauriciens. 

Cependant, nous ne pouvons pas ignorer la menace croissante des fake news et des deep fakes. Ces informations peuvent déformer la réalité, et induire les électeurs en erreur. Il est donc essentiel de rester vigilant face à leur impact potentiel.

Quel rôle joueront les médias traditionnels dans la formation de l’opinion publique pendant les élections ?
Je pense que la majorité des Mauriciens se tournent toujours vers les médias traditionnels, parce qu’ils considèrent que le traitement de l’information et l’analyse critique des journalistes reste une source privilégiée pour rester informé des enjeux. Il est indéniable que votre métier souffre des défis liés aux réseaux sociaux et aux fake news. Et il est clair que les médias traditionnels se doivent de répondre à ces défis par des approches renouvelées. 
Donc oui, selon moi, les médias traditionnels jouent toujours un rôle clé dans la formation de l’opinion publique, mais ils se doivent de continuer à s’adapter et à apporter un regard critique et pertinent sur notre monde. Et il va sans dire qu’il est également essentiel que ces médias gardent un regard objectif, neutre et incorruptible sur l’actualité et sur l’information. 

Quels sont les défis auxquels les partis d’opposition, et plus particulièrement Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, doivent faire face pour mobiliser l’électorat ?
Navin Ramgoolam va devoir se confronter au fait que l’électorat des circonscriptions rurales ne le porte plus dans son cœur, ce qui s’est traduit par deux défaites consécutives pour son parti. Il aurait dû déjà avoir tiré les conclusions de ces défaites en se retirant du leadership, permettant au PTr de se renouveler et de rajeunir ses instances. Cela n’a malheureusement pas été le cas. 

Est-ce que sa présence comme leader de l’alliance coûtera encore une élection au PTr ? J’ai ma petite idée sur la question, mais je la garde pour moi pour l’instant. 

La même chose peut être dite de Paul Bérenger qui, sous couvert de la supposée démocratie des instances du MMM, a imposé une culture politique qui ne permet pas le renouvellement et la modernisation au sein du parti. J’ai d’ailleurs trouvé la lettre ouverte de Sheila Bunwaree, dénonçant cette hypocrisie, extrêmement pertinente et juste. Elle a dit tout haut ce que beaucoup, qui ont vu ces pratiques internes de près, pensent tout bas. 

Mais le problème est différent au MMM, dont la base régresse à une vitesse phénoménale. L’enjeu principal est de garantir l’existence du parti sur le court et le moyen terme, alors que ses principaux talents sont partis, plutôt qu’une contribution politique qui aura un impact profond sur le développement du pays. 

Si nous mettons ces deux leaders de côté, il est clair qu’il faudra attendre les programmes de l’alliance pour voir s’ils sauront répondre aux attentes liées aux questions sociales, économiques, sécuritaires, industrielles, culturelles et institutionnelles. 

Une grande réforme sur les modalités de l’existence des partis politiques et du financement des élections est le seul moyen de changer la culture de la marchandisation du vote»

Comment l’argent et le financement des campagnes influenceront-ils les résultats des élections ?
L’argent et le financement des campagnes auront l’influence que l’électorat voudra bien leur donner. C’est aussi simple que cela. Personne ne force un électeur à marchander son vote, il le fait de son propre gré. Et s’il pense que c’est comme cela qu’il doit voter, alors personne ne pourra le convaincre autrement. C’est la raison pour laquelle je n’ai eu de cesse d’affirmer qu’il est grand temps de proposer une grande réforme sur les modalités mêmes de l’existence des partis politiques et du financement des élections. C’est le seul moyen de changer cette culture de la marchandisation du vote, selon moi.

Comment les jeunes votants mauriciens influencent-ils les résultats des élections ?
Les jeunes Mauriciens sont particulièrement attentifs aux propositions politiques. Ils font face à de grands défis : l’avenir de l’emploi, la difficulté à devenir propriétaire d’un logement, le fléau des drogues, les problèmes environnementaux liés au réchauffement climatique, ou encore les perspectives d’avenir pour leurs enfants. Il sera essentiel pour les différents partis de faire des propositions concrètes, efficaces et réalisables, s’ils souhaitent pouvoir parler à cet électorat qui est le plus susceptible à l’abstention. 

Votre nom circule comme éventuel candidat pour l’alliance gouvernementale. Qu’en est-il ?
Je suis depuis plusieurs années concentré sur mon travail de conseil en stratégies politiques. J’ai l’immense chance de pouvoir m’épanouir dans ce domaine qui me passionne et qui me permet de travailler avec des acteurs du public et du privé dans une diversité de pays. Je touche à une multitude d’enjeux, allant des projets énergétiques et économiques à l’élaboration de politiques publiques dans une multiplicité de domaines. 

Je considère que je suis à un âge où il est important d’acquérir de l’expérience et où il est essentiel de se construire. Les projets auxquels je participe me permettent de mieux développer mon expertise et de faire une réelle différence. Je ne me suis pas engagé en politique par intérêt personnel ou par ambition mal placée. Je n’ai jamais eu besoin de la politique pour définir qui j’étais et ce que je pouvais apporter sur la table du débat public. Et je ne me suis pas engagé en politique pour n’avoir qu’un impact minime. 

J’ai de l’ambition pour mon pays. De grandes ambitions, même. Je ne suis pas de ceux qui croient que Maurice est « enn ti’zil », un pays insulaire voué à une économie de misère et à la stagnation économique, technologique et culturelle. Je suis de ceux qui savent que l’existence même de notre pays est indissociable du processus historique de la globalisation et de son développement. Je pense que nous sommes capables de grandes choses, si nous avons le courage de la vérité sur notre présent, sur ce que devient le monde, et sur ce que sera notre place dans le nouveau paradigme géopolitique de l’Indo-Pacifique. 

C’est ce que j’ai toujours défendu et c’est ce que je défendrai toujours. Et une éventuelle candidature, si elle doit arriver, s’inscrira forcément dans ce projet que je désire ardemment pour mon pays et pour mes compatriotes. 

Comment l’électorat mauricien perçoit-il les promesses électorales par rapport à la réalité après les élections ?
Il faut avouer que l’électorat a cette tendance à s’enchanter rapidement – trop rapidement – à l’approche d’une élection. Certains de nos compatriotes mordent trop facilement à l’hameçon qui leur fait croire que le pays est en train de sombrer et qu’il a besoin de sauveurs. Et ce même électorat déchante à vitesse grand V lorsqu’il réalise que ces supposés sauveurs ne sont rien d’autre que des illusionnistes. Il faut avouer que c’est exactement sur ce terrain que Pravind Jugnauth marque des points politiques importants auprès de l’électorat d’ailleurs. Il honore ses promesses sociales, n’en déplaise à l’opposition. 

De récents sondages viennent renforcer la perception qu’il y a un certain ras-le-bol et une méfiance des Mauriciens vis-à-vis de l’establishment politique. Ce sentiment aura-t-il un impact sur le résultat des élections ?
Je ne le pense pas. Il y aura un vainqueur qui dégagera une majorité selon les modalités du système First past the post quoi qu’il en soit. Mais ces sondages démontrent qu’un vacuum politique est en train de grandir petit à petit, et les différents partis politiques feraient bien de le prendre au sérieux. 

Je suis convaincu, par exemple, qu’il s’agit de la dernière élection de Navin Ramgoolam et de Paul Bérenger. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, ils ne feront bientôt plus partie de l’espace politique du simple fait de leur âge avancé. 

Le départ de Navin Ramgoolam produira de profonds bouleversements au sein du PTr, qui est un grand parti avec une riche histoire qui dépasse de très loin celle du Ramgoolamisme. Nous pouvons deviner que le PTr traversera une période difficile, avec des luttes intestines compliquées. Mais au sortir de ces luttes, un consensus incarné par une nouvelle génération et un nouveau leader émergeront. Il ne faut aussi pas sous-estimer que d’autres mouvements pourraient émerger et se cristalliser en force politique d’envergure. 

Quoi qu’il en soit, les prochaines élections marqueront un tournant réel dans l’espace politique à Maurice, quel que soit le front qui l’emporte. Vous savez, les forces de l’Histoire sont en marche, et aucun individu et aucun parti politique n’est capable d’arrêter ce qui se joue déjà à l’échelle du monde. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela devienne entièrement visible à Maurice. Et ce sont ceux qui prendront la mesure de ces changements qui deviendront les leaders de demain. 

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