Dorine Chuckowry a démissionné du Mouvement militant mauricien, après dix ans. C’est la première femme lord-maire. La rectrice du collège Saint-Bartholomew’s est à un point crucial de sa vie. Rencontre.
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Dorine Chukowry entame un nouveau chapitre dans sa vie. Elle revient à cœur ouvert sur son parcours académique, politique et professionnel, lors d’une rencontre au collège Saint-Bartholomew’s, là où tout a commencé pour elle. Habillée et pomponnée pour ses 46 ans, c’est tout sourire qu’elle nous accueille dans son bureau de rectrice. À première vue, rien ne laisse penser qu’elle vient de prendre une lourde décision, et pourtant, elle a démissionné du Mouvement militant mauricien (MMM) la semaine dernière. Cette décision change la tournure de sa carrière politique.
Après quelques échanges, on constate que le social rythme depuis toujours sa vie. Et pour mieux comprendre cet amour pour les autres, il faut retourner à son enfance. Issue d’une famille modeste de Port-Louis, fille d’un ébéniste et d’une travailleuse d’usine, elle dit avoir grandi dans une famille heureuse.
Depuis toute jeune, elle a la tête dans les livres. Élève brillante, elle se retrouve pourtant sans collège après la Form V. « Je suis restée deux mois sans collège, puis un jour, un ami m’invite à intégrer le collège Saint-Bartholomew’s pour poursuivre ma scolarité », confie-t-elle.
Elle ne savait pas encore qu’elle ferait carrière dans ce collège et y trouverait l’amour. « Après le Higher School Certificate, on m’offre une place d’enseignante au collège ». Elle en profite pour poursuivre ses études et obtient un Teacher's Diploma in Business Studies et rencontre au même moment son mari, le manager du collège.
Habitée par cette soif d’apprendre, elle poursuit ses études et obtient un Bachelor of Education in Accounting et deux maîtrises.
« Un jour l’envie me prend de consulter Madame Kwok pour connaître mon avenir. Ses phrases m’ont marqué à l’époque : vous allez faire de grandes études, vous allez beaucoup voyager et occuper un grand poste ».
Au fil de ses accomplissements, la véracité de ces prédictions a conforté Dorine dans ses aspirations académiques et sociales. Elle est comblée et épanouie au niveau professionnel et au niveau personnel. Elle est mère de deux jeunes hommes : Vicky et Vivek. En 2010, elle est promue rectrice et complète son doctorat en décembre 2017.
Politique
La politique s’est présentée à elle d’abord de manière discrète en 1998. « J’accompagnais mon mari à des réunions et je prenais goût à ça. J’ai fini par faire le grand saut. Mon mari me disait que seule je ne pouvais pas faire ce que la politique me permettrait de réaliser dans le social. Je voulais faire de la politique pour faire plus de social, pas pour devenir député ou ministre ».
Dorine Chukowry intègre officiellement le MMM en 2008 et occupe plusieurs postes durant dix ans : membre du régional no 1, membre du comité central, trésorière de l’aile féminine et vice-présidente.
En 2012, elle obtient un « ticket » pour les élections municipales et elle est élue en deuxième position à Port-Louis avec un score d’un peu plus de 61 %. De 2012 à 2013, elle occupe le poste d’adjoint au lord-maire et fait bonne impression avant de prendre le poste de lord-maire l’année suivante.
« J’ai marqué l’histoire et personne ne peut me l’enlever. Je suis malgré tout reconnaissante à Paul Berenger, car il a su me faire confiance. »
La voix des sans voix
« Vous allez gagner beaucoup d’argent, mais vous n’aurez jamais un rond en banque », lui avait dit Madame Kwok. Dorine ne le dément pas, elle ne peut rester insensible à la misère. « Dès que nous avons une roupie, nous donnons 25 sous à une autre personne ». Femme de terrain, elle ratisse la région aux côtés de son mari et ils sont engagés pleinement dans le social. Idem au niveau du collège. En 27 ans de carrière, la rectrice n’a eu à cœur que le bien-être de ses élèves.
« Dès qu’un enfant n’a pas cahier ou de plume, il vient me voir. Si je les vois dans de vieux uniformes, je leur donne de nouveaux. Nous payons même les examens de Cambridge de ceux qui n’ont pas les moyens. J’ai vu grandir plusieurs générations de Portlouisiens dans mon collège ». Pour Dorine, il ne faut jamais oublier d’où on vient. « Si je suis là aujourd’hui, c’est parce que quelqu’un m’a tendu la main. »
Bijay Chukowry : « Elle était absente de la maison et a négligé sa famille pendant de longues années. C’est moi qui portais la jupe, je cuisinais. La décision a été prise en famille, elle avait besoin d’une pause pour elle, pour sa famille. Cela affectait sa relation avec la famille. »
«Je n’abandonnerais pas la politique à cause d’eux»
Dorine Chuckowry ne se laisse pas décourager. Pendant dix ans elle s’est dévouée pour le MMM sans relâche, parfois même au détriment de sa santé. Si aujourd’hui elle a claqué la porte, c’est selon elle, parce qu’on l’a poussée à le faire.
« Dans la vie, il y a un commencement et une fin à tout. Je ne vais pas dire que j’ai quitté le MMM, mais que c’est le parti qui m’a laissée tomber. Je ne pouvais plus faire semblant. Depuis que j’ai intégré le parti, j’ai eu l’impression que beaucoup me voyaient comme une menace. Je n’ai jamais voulu prendre la place de qui que ce soit. J’ai voulu me faire une place en travaillant et en étant sincère et loyale ».
Elle fait face à une déception l’année dernière lors des élections de l’aile féminine du MMM. Aujourd’hui c’est une femme remontée et indignée des propos de Paul Berenger à son égard : « Dorine Chukowry a démissionné parce qu’elle n’est pas devenue présidente de l’aile féminine ».
Elle est bien décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds. « Je ne veux pas qu’on pense que je suis “enn roder bout”. Après tout qu’est-ce qui est plus important : devenir présidente de l’aile féminine ou avoir un ticket pour les prochaines élections ? Le MMM ne passera pas dans la circonscription no 1 lors des prochaines élections et je n’ai pas peur le dire. Les gens ne vont pas voter pour le parti, mais pour la personne ».
« Si demain je devais choisir entre la politique et le social, je choisirais le social ». Il se pourrait pourtant que l’aventure politique ne s’arrête pas là pour Dorine Chukowry. Elle dit avoir déjà reçu des appels de membres du gouvernement et de l’opposition.
« Tout le monde spécule, mais à mon niveau, je ne suis pas prête à franchir le cap, la plaie est encore ouverte. J’ai un statut social et une réputation et je ne veux pas que quiconque porte atteinte à cela ».
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