Statistics Mauritius est supposé compiler des données fiables. Or, ses chiffres sur la croissance, la dette et d’autres indicateurs économiques auraient été faussés, gonflés et manipulés, selon le nouveau gouvernement. Pour les observateurs, il y a urgence à rectifier le tir.
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Manipulation des données : ces exemples qui font mouche
Exemple 2
L’inflation des produits alimentaires plus élevée que l’inflation cumulée
Au cours de la période 2022-2024, l’inflation cumulée à Maurice a été de 23 %. Or, les prix des produits alimentaires ont augmenté à un rythme beaucoup plus élevé – soit de 33 % - que le taux d’inflation moyen de 23 %, relève le nouveau gouvernement.
Navin Ramgoolam : « Notre bilan en matière d’inflation est l’un des plus mauvais par rapport à d’autres pays comparables. Cela témoigne d’un échec total de la politique monétaire et de la gestion des taux de change. Alors que nous cumulions une inflation de 23 %, les Seychelles avaient un taux d’inflation de seulement 2,4 %. »
Exemple 3
Manipulation des finances publiques
Pour l’année fiscale 2023-2024…
...les recettes ont été surestimées de quelque Rs 13,8 milliards afin de réduire délibérément le déficit budgétaire.
...le déficit budgétaire réel s’est avéré beaucoup plus élevé : 5,7 % du PIB au lieu de 3,9 %.
Pour l’année fiscale 2024-2025…
...les recettes ont été surestimées de Rs 16,7 milliards, tandis que les dépenses ont été sous-estimées de Rs 5 milliards. En conséquence, le déficit augmenterait de Rs 21,7 milliards.
Navin Ramgoolam : « L’état des finances publiques n’a jamais été aussi désastreux et chancelant qu’aujourd’hui. Le gouvernement précédent a littéralement dilapidé toute la marge de manœuvre budgétaire du pays. Il n’y a absolument aucune marge de manœuvre. C’est l’héritage que le gouvernement précédent nous a laissé - il a pratiqué une politique de ‘terre brûlée’. »
Les 3 principales conséquences de la manipulation des chiffres
1. Chiffres faussés = prévisions faussées
Les « decisions makers », les chefs d’entreprises et les investisseurs se basent sur les chiffres de Statistics Mauritius pour faire leurs prévisions, souligne Tahir Wahab. Avec ces chiffres faussés, poursuit l’observateur économique, cela peut avoir des conséquences sur leur profitabilité et leur stratégie. « Les économistes se servent aussi de ces chiffres pour leurs analyses et déterminer la trajectoire de l’économie. Or, tout est faussé car les chiffres, au départ, ont été manipulés », fait-il ressortir.
2. Un tableau erroné de la situation économique
« L’ancien régime a brossé un tableau positif de l’économie. L’ex-ministre des Finances a même parlé de boom économique. Ce gouvernement a créé une illusion statistique en faisant croire que l’économie va bien et que l’inflation est en train de baisser. Or, la réalité est que l’économie est au bord du précipice, de la faillite », avance le Dr Vinaye Ancharaz.
Le PIB du pays en 2019 est similaire au PIB en 2023 quand on le calcule en dollars, soutient-il. Ce qui démontre, poursuit l’économiste, que pendant ces quatre ans, l’économie n’a pas progressé. « Elle est juste sortie du trou causé par la pandémie. Pendant cette période, l’ancien régime s’est permis toutes les largesses. Il a fait beaucoup de tort à l’économie. Notre économie est fragilisée et il faudra du temps avant qu’elle ne soit remise sur les rails », prévient Vinaye Ancharaz.
3. Une crise de confiance
Le plus important dans un pays c’est la confiance, avance Tahir Wahab. « Or, quand on voit que les chiffres sont manipulés, cela démontre qu’il y a une crise de confiance. Il est important de la rétablir à nouveau », ajoute-t-il.
Le syndicaliste Haniff Peerun y va aussi de son commentaire : « Les révisions du PIB de Maurice suggèrent une croissance plus lente que ce qui avait été annoncé précédemment. Ce qui indique des manipulations potentielles dans les prévisions antérieures. Cela pourrait éroder la confiance des investisseurs et mettre en jeu la crédibilité du pays sur la scène internationale. La perte de crédibilité des statistiques officielles peut, en effet, décourager les investissements directs étrangers, car les investisseurs s’appuient sur des données transparentes pour évaluer les opportunités et les risques du marché, et aussi pour évaluer la qualité de l’information. »
Le syndicaliste souligne également que les agences de notation internationales peuvent réévaluer les performances économiques de Maurice. « Ce qui peut conduire à des dégradations de notre note de crédit ou à des conditions moins favorables pour les prêts et les subventions », avertit Haniff Peerun.
Ce qu’en pensent les observateurs…
Tahir Wahab, observateur économique :
« Cette affaire est très grave ! Une telle chose s’est produite car il y a eu ingérence politique dans une institution qui est supposée être indépendante et qui se doit d’agir avec éthique.
Les officiers de Statistics Mauritius sont des professionnels et ne doivent pas se laisser influencer par aucun gouvernement. Statistics Mauritius ne peut pas se laisser dicter ses rapports. Ceux-ci se doivent d’être fiables, d’autant plus qu’ils sont utilisés par des institutions mauriciennes et étrangères. Statistics Mauritius a induit la population et la communauté des affaires en erreur et n’a pas agi en toute bonne foi. »
Dr Vinaye Ancharaz, économiste :
« La manipulation des chiffres est flagrante. Les dernières données sur la croissance m’ont toujours laissé perplexe. Comment peut-on sortir d’une croissance de 3,4 % en 2021 pour atteindre un taux de 8,9 % en 2022 ? Or, la croissance a tendance de baisser au fil des années avant de stagner à un certain niveau. D’ailleurs avant la pandémie, la croissance moyenne se chiffrait à 3,4 % à 3,5 %. Cette année-ci, l’ancien régime tablait sur un taux de 6,5 %, qui a finalement été réactualisé à 5,1 %. Il est clair et évident que Statistics Mauritius a été une marionnette entre les mains du ministère des Finances. »
Haniff Peerun*, syndicaliste :
« D’après le Statistics Act, Statistics Mauritius se doit d’être indépendante. En vertu de son mandat, cette organisation a la responsabilité de fournir des statistiques cohérentes, opportunes, pertinentes et fiables, conformes aux normes et principes internationaux, pour une politique et une prise de décision efficaces. Il serait essentiel de savoir comment les chiffres calculés par Statistics Mauritius moins de trois mois auparavant, ont été déclarés surestimés par la même institution. La population pense que le ministère des Finances est le seul fautif. Or, il semble qu’il y ait eu connivence entre le ministère des Finances, la Banque de Maurice et Statistics Mauritius. Le plus grand responsable demeure Statistics Mauritius car son rôle est de compiler et de publier les données socio-économiques du pays. Statistics Mauritius a fauté. Si son directeur par intérim a agi, et donc manipulé, les indicateurs macro-économiques, il a totalement failli à ses fonctions, puisqu’il est censé opérer en toute indépendance et sans crainte. Il doit des explications à la population ! »
… et ce qu’ils suggèrent
Haniff Peerun : « L’un des principaux défis du nouveau gouvernement consistera à restaurer la confiance dans nos institutions. Il est essentiel de remédier aux inefficacités structurelles et d’assurer la transparence pour que Maurice puisse relever les défis économiques qui se posent à elle, et s’assurer d’un avenir stable. Si des chiffres ont été ‘truqués’, le gouvernement ne peut pas laisser ceux qui les ont manipulés en poste. Si des hauts fonctionnaires ont enfreint les normes professionnelles et éthiques, pourquoi devrions-nous leur faire confiance ? Si les allégations de manipulation des chiffres sont avérées, le directeur par intérim de Statistics Mauritius devra démissionner, de même que le secrétaire financier par intérim. Il en va de même pour le Director of Economic Analysis de la Banque de Maurice. Il serait sage pour le nouveau gouvernement de sanctionner ces trois hauts fonctionnaires et de placer les bonnes personnes au bon endroit afin que notre pays puisse restaurer la crédibilité de nos institutions. »
Dr Vinaye Ancharaz : « S’il y a une leçon à tirer de tout cela, c’est qu’il faut mettre ‘the right person at the right place’, des personnes avec des valeurs, ayant le sens de l’intégrité et qui respectent les codes de conduite. Elles pourront ainsi s’assurer que les institutions fonctionnent sans ingérence politique. »
Tahir Wahab : « On espère qu’il n’y aura plus d’ingérence et que Statistics Mauritius fonctionnera en toute indépendance. Le gouvernement doit, par ailleurs, repenser la façon dont opèrent nos institutions publiques. Un ‘rethinking’ de Statistics Mauritius est important. Il faut consolider le contrôle et la publication des chiffres de Statistics Mauritius. »
* Haniff Peerun connaît très bien les rouages de Statistics Mauritius pour avoir travaillé sur des sondages de l’institution depuis plusieurs années et aussi pour avoir suivi des comités du bureau des statistiques dans le passé.
Des menaces
Selon nos recoupements d’information, les statisticiens auraient fait leur travail comme il se doit, mais il y aurait eu des « menaces » à un plus haut niveau.
Pas de réponse
Nous avons cherché à parler à l’Acting director de Statistics Mauritius à plusieurs reprises, mais on nous a fait comprendre qu’il était pris dans une réunion.
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