
Dans un contexte de dette publique avoisinant 90 % du PIB, des mesures draconiennes ont été annoncées dans le Budget 2025-26 : hausse de l’âge de la retraite, suppression progressive des allocations CSG et fiscalité renforcée sur les hauts revenus. Face à la colère sociale montante, Dhaneshwar Damry défend des choix difficiles. Il plaide pour un cap budgétaire « responsable », prône la solidarité nationale et appelle à la patience face à ce qu’il qualifie de lourd héritage économique.
Le Budget 2025-26 peut-il être considéré comme un exercice comptable réussi pour le ministère des Finances, malgré les fortes pressions budgétaires et les critiques suscitées par certaines mesures sociales ?
Vous le dites vous-même : la pression budgétaire est intense et ce n’était pas un Budget facile. Les critiques que nous recevons indiquent que les Mauriciens ont compris que la situation est vraiment difficile. Il y a une prise de conscience nationale. La « maison » dont nous avons hérité de l’ancien gouvernement s’écroule sous le poids de la dette et des déficits insoutenables.
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Alors que la dette publique frôle les 90 % du Produit intérieur brut (PIB), le Budget 2025-26 trace-t-il une trajectoire crédible de désendettement à moyen et long terme, sans compromettre la qualité des services publics ?
Vous aurez certainement remarqué que nous avons ajouté des taxes temporaires à plusieurs niveaux : une taxe supplémentaire de 15 % pour les plus riches ; une taxe de 20 % sur les grandes entreprises réalisant plus de Rs 24 millions des profits ; l’élimination des avantages fiscaux accordés aux Smart Cities ; ainsi que la hausse des droits d’enregistrement pour les étrangers.
Nous devons aussi relancer la croissance économique. Ainsi, nous visons d’atteindre en 2027-28 un ratio dette/PIB de 79,7 % et un déficit de 1,3 % du PIB. Une fois ces objectifs atteints, nous pourrons retrouver une « lighter tax policy ».
Le déficit budgétaire est estimé à 9,8 % du PIB. Comment le gouvernement compte-t-il équilibrer la réduction des dépenses ou l’augmentation des recettes fiscales, sans aggraver davantage la pression sur les ménages et les entreprises qui peinent à se relever ?
Le chiffre que vous mentionnez se rapporte au déficit budgétaire de l’année 2024-25. Cette année-là, les recettes ont été surestimées par l’ancien ministre des Finances. Parallèlement, les dépenses ont été particulièrement abondantes. Il faut demander à l’ex-ministre des Finances comment il a fait ses calculs. En ce qui nous concerne, pour l’année 2025-26, nous tablons sur un déficit de 4,9 % du PIB.
Ce Budget introduit de nouvelles taxes sur les hauts revenus et certains secteurs rentables. N’y a-t-il pas un risque que cette politique fiscale agressive nuise à la compétitivité du pays et freine les investissements privés ?
Nous savons que ces taxes auront un impact sur les entreprises. Néanmoins, nous avons imposé ces taxes au nom de la justice sociale. Tous les segments de la population doivent contribuer à l’effort national de redressement.
Ceci étant dit, nous voulons que notre modèle économique repose sur une fiscalité légère. Dans trois ans, nous espérons disposer d’une marge de manœuvre suffisante pour revenir à une fiscalité plus avantageuse et compétitive. Simultanément, nous avons initié une relance des secteurs de l’industrie verte et de la digitalisation de l’économie. Cela contribuera à améliorer la compétitivité du pays.
Plusieurs promesses phares de l’Alliance du Changement, notamment la baisse du prix de l’essence ou la gratuité des médicaments, ne figurent pas dans le Budget. Peut-on en déduire qu’il s’agissait de promesses électorales non prioritaires une fois le pouvoir acquis ?
C’est quand nous avons ouvert les comptes que nous avons pris la véritable mesure de l’héritage du gouvernement MSM (Mouvement socialiste militant ; NdlR). Le MSM nous dit que la caisse n’était pas vide. Pour notre part, nous avons constaté qu’il n’y avait même pas de caisse, comme l’a lui-même reconnu Pravind Jugnauth concernant la Contribution sociale généralisée (CSG). L’ancien ministre des Finances, Renganaden Padayachy, et lui ont éliminé la caisse du National Pensions Fund (NPF) pour tout ramener dans les Consolidated Funds.
Malgré ce bilan désastreux, nous avons honoré six des neuf promesses relatives au pouvoir d’achat. Nous avons rétabli la confiance dans la roupie. Nous avons rétabli l’indépendance de la Banque de Maurice, ce qui lui permettra de gérer efficacement l’inflation. Nous avons institué un fonds de Rs 2 milliards pour soutenir le pouvoir d’achat. Ce fonds sera géré par la State Trading Corporation (STC). Nous renforçons le cadre légal de la Competition Commission. Nous avons supprimé la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur un grand nombre de produits essentiels. De plus, tous les contribuables qui gagnent moins d’un million de roupies par an ne paient plus d’Income Tax, ce qui contribue à améliorer leur pouvoir d’achat.
Le Premier ministre affirme qu’« il n’y a pas d’autre option » que les mesures proposées. Or, la population exprime son inquiétude, notamment sur la CSG Allowance, appelée à disparaître en 2027. Comment justifiez-vous cette décision, alors que le pouvoir d’achat est déjà en net recul ?
Les CSG Allowances sont supposées être financées par les contributions à la CSG, qui n’est rien d’autre qu’une taxe, comme l’a confirmé Pravind Jugnauth lui-même. Le compte de la CSG est en déficit de Rs 9,3 milliards pour l’année 2024-25. Vous devez également savoir que le MSM avait prévu d’abolir la CSG pour juin 2025. L’ancien ministre Padayachy l’avait déclaré dans le cadre de la Social Contribution and Social Benefits Act.
Nous avons agi avec compassion en maintenant certaines de ces allocations tout en réduisant progressivement d’autres. Au paragraphe 245 du discours budgétaire, nous précisons que nous instituerons un nouveau système d’aides sociales pour soutenir les plus vulnérables.
Le gouvernement appelle les citoyens à faire preuve de solidarité et d’acceptation face aux mesures budgétaires restrictives, notamment la baisse de certaines allocations sociales. Or, ce même Budget prévoit des allocations pour les Junior Ministers. Les symboles d’austérité ne semblent pas s’appliquer à la sphère politique ? L’appel à la solidarité est-il véritablement partagé ?
C’est un changement d’appellation. Les Junior Ministers touchent le même package que celui des Parliamentary Private Secretaries.
L’âge d’éligibilité pour la Basic Retirement Pension passe à 65 ans. Comment cette mesure est-elle compatible avec la « compassion » prônée par le gouvernement, notamment pour les travailleurs de secteurs pénibles ou informels ?
L’ancien gouvernement a mis à risque la viabilité du système de pension universelle qui aurait pu s’effondrer. Tout le monde est d’accord qu’il est impératif de protéger ce système de pension universelle. D’où l’alignement de l’âge d’accès à la pension universelle à l’âge de la retraite mise en application depuis des années. J’ai moi-même dans ma famille des personnes qui sont affectées et qui me posent des questions. Nous sommes à l’écoute. Nous comprenons. Nous ne sommes pas insensibles.
Plusieurs organisations syndicales brandissent la menace d’une manifestation à Port-Louis prévue le 21 juin prochain. Un appel a été lancé à la population pour protester contre la mesure budgétaire visant à repousser progressivement l’âge d’éligibilité à la pension à 65 ans. Comment le gouvernement compte-t-il gérer ce mécontentement ?
Je le répète : nous sommes à l’écoute. Nous comprenons. Nous ne sommes pas insensibles. Je demanderais aux syndicats de comprendre aussi que c’est le MSM qui nous a mis dans cette situation à travers sa gestion catastrophique et irresponsable du système de pension. Il a rayé le NPF d’un trait de plume et nous devons ramasser les morceaux aujourd’hui. Quand je dis « nous », ce n’est pas seulement le nouveau gouvernement, mais aussi toute la population.
Une nouvelle réforme du système de retraite est annoncée, avec le retour du NPF sous une nouvelle forme. Après avoir remplacé ce fonds par la CSG, comment rassurez-vous les employés et les contribuables face à cette instabilité du système ?
Le NPF est l’héritage du Parti travailliste. C’est un fonds créé par des leaders aux valeurs fortes qui voulaient protéger les travailleurs. Tous les partis actuellement au gouvernement partagent ces valeurs. Il est de notre devoir de protéger notre héritage. Nous devons reconstruire un système viable et stable pour protéger les travailleurs d’aujourd’hui et toutes les générations suivantes.
Le MSM a mis à risque la viabilité de la pension universelle. Ce que vous appelez l’instabilité du système, c’est l’héritage du MSM. Je tiens à saluer le courage des deux principaux leaders de l’Alliance du Changement, le Premier ministre, Dr Navin Ramgoolam, ainsi que le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger. Ils ont présenté des réformes responsables avec compassion et empathie. Ils ont tenu compte des intérêts de toutes les générations, et pas seulement avec l’idée de remporter la prochaine élection.
Le barrage de Rivière-des-Anguilles a souvent été tourné en dérision ces dernières années pour son absence de concrétisation malgré sa présence répétée dans les Budgets. Qu’est-ce qui garantit aujourd’hui que ce projet verra réellement le jour et dans quels délais ?
Nous avons mis en place un système de gestion publique moderne afin de nous assurer de la bonne exécution de nos projets. Un pilier de ce système est le Performance-Based Budgeting qui contraint les ministères et les organismes paraétatiques à s’engager sur des objectifs précis. L’atteinte des objectifs est évaluée tous les ans et les déboursements des fonds se font selon le succès des projets.
Nous avons aussi institué un comité de pilotage de haut niveau au Bureau du Premier ministre pour le suivi de la mise en œuvre des projets gouvernementaux. Je préside moi-même ce comité qui suivra avec attention la mise en œuvre des projets annoncés dans ce Budget.
Quels secteurs économiques sont appelés à tirer la croissance en 2025, selon vous, à la lumière des mesures annoncées dans ce Budget ? Peut-on espérer une relance inclusive dans les prochains mois ?
La relance passe par l’investissement. Premièrement, le gouvernement prévoit d’investir Rs 44 milliards cette année dans des projets d’infrastructures publiques. Deuxièmement, l’État permettra de débloquer Rs 30 milliards d’investissements privés sur trois ans pour des projets associés au climat.
En troisième lieu, nous avons instauré au ministère des Finances une Climate Finance Unit afin de trouver des solutions financières ingénieuses, telles que la « blended finance ». Cela catalysera l’investissement dans le secteur de l’adaptation aux changements climatiques. Cette initiative apportera du financement à des projets dans les énergies renouvelables, l’eau, la gestion des déchets et la lutte contre l’érosion côtière.
Quatrièmement, nous avons relancé des secteurs essentiels pour l’avenir, tels que la digitalisation de notre économie et l’économie bleue. Enfin, n’oublions pas que nous avons initié des réformes structurelles pour débloquer ce qui autrefois ralentissait l’économie, telle que la réforme du marché du travail et la compétitivité de l’exportation. Toutes ces mesures apporteront des opportunités d’investissement et d’emploi pour les entreprises et pour les jeunes.
Pour plusieurs secteurs-clés, comme l’agriculture, la culture ou encore l’économie bleue, le Budget ne contient que des annonces de « commissions » ou de « comités ». Le gouvernement est en place depuis sept mois. Comment expliquer l’absence d’un plan clair et opérationnel à ce stade ?
Le gouvernement est en poste depuis sept mois. Tous les ministres et tous les dirigeants des organismes paraétatiques travaillent sur leurs plans stratégiques. Rappelons-nous que ces dix dernières années, les ministres ont navigué dans le vide. Ils n’avaient ni deadlines, ni objectifs précis. On ne peut pas rattraper dix ans d’inertie en sept mois.
La communication post-Budget est vivement critiquée pour son manque de clarté et ses formules toutes faites. Est-ce le signe d’un manque d’appropriation des mesures par ceux qui sont censés les porter ?
Je tiens à remercier tous les membres du gouvernement qui soutiennent ce Budget avec courage. Après une décennie de Budgets mous et dépensiers, sans colonne vertébrale économique, nous venons avec un changement de culture. Nous changeons aussi les habitudes. Les habitudes changent même pour vous les journalistes.
Le changement n’a jamais été facile. Nous savons que c’est dans le temps que la population comprendra le pont vers l’avenir que nous construisons aujourd’hui avec courage. Place maintenant aux débats budgétaires.
Nous parlons du Budget mais nous suivons aussi l’actualité. Je tiens à témoigner de toute ma sympathie à toutes les familles des victimes de l’accident d’avion qui a coûté la vie à plusieurs personnes ainsi qu’à toute la nation indienne. Nous, les Mauriciens, sommes à leurs côtés dans la tristesse et le deuil.

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