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Développement du chanvre industriel - Salil Roy : « Une discrimination positive envers les petits planteurs »

" L’intérêt des  grosses industries sucrières pour le chanvre industriel est bon signe, car on sait que ces gros acteurs ne vont pas s’intéresser à un secteur bidon "

Si le président de la Planters’ Reform Association laisse entrevoir une certaine frustration sur le fait que l’annonce du Conseil des ministres) sur l’introduction du chanvre industriel sur une base pilote n’ait pas fait l’objet de consultations avec la communauté des petits planteurs, Salil Roy dit soutenir cette proposition. Il émet tout de même certaines mises en garde.

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De manière générale, pouvez-vous nous résumer la situation actuelle des petits planteurs à Maurice, surtout dans le contexte de la pandémie et des deux confinements ?

En tenant en ligne de compte la pandémie de la COVID-19, je peux dire avec satisfaction que les petits planteurs ont su faire preuve de résilience et, ce malgré les deux confinements qui ont été instaurés. Il faut savoir que nous puisons notre force surtout dans le fait que, comparé à d’autres secteurs du pays, nous n’avons pas à importer nos matières premières. 

La pandémie a démontré notre importance et celle du secteur agricole. Il est aussi important de mettre en exergue que malgré le fait que Maurice s’était coupé du monde lors du tout premier confinement, on continuait à exporter du sucre. Ce qui a permis la rentrée d’une certaine quantité de devises. Il faut aussi dire que l’entrée en vigueur d’un prix de vente garantie de Rs 25 000 sur les premières 60 tonnes, de sucre a été une bouffée d’air frais pour la communauté des petits planteurs. Il est important de savoir que les petits planteurs n’ont pas une mentalité d’assistés et que nous mettons tout en œuvre pour être résilients. Mais d’un autre côté, nous ne pouvons faire l’impasse sur d’autres facteurs, comme la population vieillissante des planteurs qui n’ont pas vraiment de relève. Ce qui m’amène à dire qu’avec la COVID-19, il est important de prendre de valoriser davantage notre terre et trouver une solution pour les terres inutilisées. Les possibilités sont là, mais nous devons être bien encadrés par les autorités. Nous avons malheureusement constaté que certaines mesures annoncées par les autorités tardent à être exécutées. 

Justement, en parlant de nouvelle possibilité, le Conseil des ministres a, vendredi dernier, annoncé un projet pilote autour de la culture du chanvre industriel. Une mesure qui a, semble-t-il, pris tout le monde de court, y compris la communauté des petits planteurs. Ce manque de consultations est-il perçu comme un mauvais départ ?

J’ai, depuis toujours, adopté une attitude qui consiste à voir le verre à moitié rempli. De ce fait, j’accueille favorablement cette décision du gouvernement d’autant que nous avons beaucoup de retard dans ce secteur comparé aux autres pays. Mais d’un autre côté, je dois dire que je suis perdu, car il n’y a eu aucun effort de sensibilisation de la part des autorités auprès des acteurs du secteur agricole. Cette annonce semble venir de nulle part. En agissant de la sorte, on est en train de mettre la charrue avant les bœufs. C’est dommage de ne pas avoir été mis à contribution sur ce dossier d’autant que nous sommes toujours consultés par les instituts de recherche, comme le MSIRI ou le FAREI, lorsqu’on décide de venir de l’avant avec de nouvelles variétés de canne à sucre. 

Comme le chanvre industriel qui émane du cannabis se trouve être une plante souvent incomprise et controversée, anticipez-vous une réticence de la part des planteurs traditionnels pour faire le pas dans ce nouveau secteur ?

C’est pour cela que j’insiste sur l’importance d’une campagne de sensibilisation sur la question afin de dissiper toute incompréhension sur le chanvre industriel. Si vous voulez avoir mon honnête opinion concernant toutes les controverses qui pourraient y avoir autour du chanvre industriel qui émane du cannabis, je peux vous dire que le rhum, qui est produit à partir de la canne à sucre, est très nocif. Le sucre en lui-même est un produit nocif, étant source de diabète. Mais cela ne veut pas pour autant dire que nous allons arrêter la production cannière. 
J’ai aussi pris note des développements  autour du cannabis à travers le monde. En Afrique du Sud, l’on semble déjà bien avancé concernant les bienfaits thérapeutiques du cannabis. Toutes ces choses que j’ai mentionnées me donnent donc raison de penser qu’il est important de bien sensibiliser les stakeholders sur ce dossier. Par ailleurs, si jamais réticence il y aura auprès des anciens planteurs, je pense que ce sera différent auprès de la nouvelle génération à condition qu’on mette les infrastructures nécessaire à sa disposition. Comme dit le proverbe chinois, “thousand miles start with first step”.

Le développement du chanvre industriel semble être suivi de près par les grosses pointures de l’industrie cannière. Quel rôle joueront les petits planteurs dans le développement de ce secteur ?

L’introduction du chanvre industriel s’inscrit dans une logique de diversification de l’économie et, dans cette optique, cela coule de source que la communauté des petits planteurs aura son rôle à jouer comme cela a été le cas avec la canne à sucre. L’intérêt des  grosses industries sucrières pour le chanvre industriel est en même temps bon signe, car on sait que ces gros acteurs ne vont pas s’intéresser à un secteur bidon. 

L’histoire de l’industrie de la canne à sucre a été marquée par plusieurs bras de fers entre le gros capital et les petits planteurs. Dans l’éventualité du développement réel du chanvre industriel à Maurice, quelles sont les erreurs qui ne devraient pas être répétées ?

Il doit d’abord y avoir le respect et de la reconnaissance pour les petits planteurs qui ont énormément contribué au développement de l’industrie sucrière et cannière à Maurice. Je dois à cet effet attirer l’attention sur des déclarations faites par Jacqueline Sauzier (secrétaire générale de la Chambre d’agriculture de Maurice) qui sont très insultantes pour la communauté des petits planteurs. Il faut cesser d’être hypocrites, car quand il s’agit des intérêts, on fait tout pour privilégier les grosses pointures, mais quand il est question de bénéfices, là tout d’un coup, les petits planteurs sont considérés comme des partenaires. 

Ainsi, concernant le développement du chanvre industriel, je pense que les autorités ont le devoir moral de nous mettre à contribution. Afin d’éviter les erreurs du passé, il sera important que les autorités se montrent fermes envers les grosses pointures du secteur agricole. Je peux comprendre que ce sont de gros businessmen qui ont toute l’attention du gouvernement, mais il ne faut pas aussi occulter le fait que la communauté des planteurs représente aussi une grosse ‘bank vote’ pour les politiciens. Il ne faut pas  aussi oublier que nous avons, pendant très longtemps, obtenu de faibles rémunérations pour la bagasse. Cela a pris plusieurs années pour que nous soyons rémunérés de manière juste. L’on ne peut non plus oublier le fait qu’il y, par le passé, eu des déclarations qui disaient que la bagasse n’appartenait pas aux petits planteurs. C’est le genre d’attitude déplorable qu’il ne faut plus tolérer. 

Avec l’avènement de ce nouveau secteur, il sera important de prendre en compte nos difficultés, par exemple, le fait que le rendement des petits planteurs a considérablement baissé. Notamment parce que la MCIA n’a plus assez d’argent. C’est pour cela que je lance aussi un appel pour que les autorités mettent en place des mesures qui vont prôner une discrimination positive envers les petits planteurs en cas du développement du chanvre industriel à Maurice.

Le remplacement de la canne à sucre par le chanvre industriel est-il un scénario probable sur le long terme ?

L’idée de remplacer la canne à sucre est un débat qui ne date pas d’hier. Il y a eu plusieurs discussions et tentatives en ce sens mais vainement. Aujourd’hui, il nous faut nous rendre à l’évidence que la canne à sucre joue dans une ligue complètement différente. Le sucre spécial produit à Maurice à partir de la canne a pendant un moment été premier au monde. Le rhum mauricien est également très bien classé mondialement, sans compter que la canne est aussi utilisée pour la production énergétique. Un des nouveaux développements est la production de bouteille à partir de la feuille de la canne à sucre. C’est pour cela que je pense qu’il ne faudra pas venir opposer le chanvre industriel à la canne à sucre, mais plutôt assurer une complémentarité. 
 

 

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