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Dev Sunnasy, co-leader de Linion Pep Morisien : «L’action est dans notre ADN»

Linion Pep Morisien frappe fort cette semaine avec son ultimatum au gouvernement pour réduire le prix du carburant, ne serait-ce que pour six mois. Dans cette interview réalisée jeudi, Dev Sunnasy, co-leader de ce parti politique, justifie la demande d’une baisse du prix de l’essence à Rs 53 le litre contre Rs 74,10 actuellement. Il prévient que son parti ne pratiquera pas « la politique de salon », car « fonctionner dans l’action » sans violence est inscrit dans son ADN. 

« Si pri lesans ek diesel pa bese ziska vendredi, nou pou zwe enn lot film », avez-vous dit mardi lors de l’opération Roule 20km/h. Doit-on en déduire que Linion Pep Morisien (LPM) a opté pour la politique-spectacle ?
Loin de là. Nous sommes réalistes et pragmatiques. Nous fonctionnons dans l’action sans violence. Actuellement, nous prenons les devants pour que Maurice ne revive pas le soulèvement populaire de Camp-Levieux face à la hausse des prix. Ce qui nous intrigue le plus, c’est l’indifférence du pouvoir face au malaise grandissant au sein de  la population. Soit ils n’arrivent pas, dans leur tour d’ivoire, à jauger cette frustration aiguë des défavorisés et de la classe moyenne qui ne cesse de s’appauvrir, soit ils sont dans le déni. 

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Les deux sont graves. Si le pays connaît un nouveau soulèvement populaire, cela ternira notre image sur le plan international. Pire, une telle situation ne va pas encourager des étrangers de venir investir à Maurice. Nous ne voulons pas que notre pays connaisse le sort du Sri Lanka. Quel investisseur prendra le pari de s’y implanter ? Quel touriste voudra s’y aventurer ?

Il n’était nullement dans notre intention de paralyser le pays"

Tout de même, LPM organise des actions d’éclat, comme l’opération Roule 20 km/h...
Ce n’est pas une action d’éclat. C’est une action pour réveiller ce gouvernement qui ne réalise toujours pas qu’un nombre grandissant de Mauriciens peinent à remplir leur ventre au quotidien. Nous avons tout simplement voulu envoyer un signal fort au gouvernement tout en lui lançant l’ultimatum de vendredi (NDLR : 27 mai) pour revoir à la baisse le prix du carburant.

Êtes-vous conscient qu’en voulant envoyer un signal fort au gouvernement, LPM a stressé la population qui craignait d’être piégée dans des bouchons interminables ?
Dites-vous bien que nous sommes à l’écoute du peuple. Notre slogan est d’ailleurs « Avek lepep pou lepep ». Nous pensions commencer cette opération à partir de sept heures du matin, mais des enseignants et des parents membres de LPM, nous ont informés dès vendredi dernier que cela poserait des problèmes aux étudiants, d’autant plus qu’il y avait des examens. Ainsi, nous avons décidé de reporter l’opération à 14 h 40 après les heures de classe.

Peu importe, pris de panique, certains employés – surtout ceux qui habitent loin de leur lieu du travail – ont été contraints de regagner leur maison plus tôt. Et certains n’ont même pas envoyé leurs enfants aux leçons particulières. Ne craignez-vous pas un effet boomerang ?
Autant que je sache, il n’y avait pas eu de bouchons incommodants. Nous avons fait un choix avec des risques calculés. Étant des gens responsables, il n’était nullement dans notre intention de paralyser le pays. C’est mal nous connaître. Nous sommes des patriotes avant tout. Le plus important, c’est la portée de notre action qui a le soutien populaire. La masse silencieuse est avec nous.
Il faut être raisonnable et ne pas tomber dans le piège du pouvoir. Savez-vous que ce sont deux motards de la police qui ont agi comme éclaireurs durant notre défilé dans la capitale. C’est la police qui a décidé de notre itinéraire.

Que diriez-vous à ceux qui considèrent que l’opération Roule 20 km/h était illégale ?
Franchement, là c’est le monde à l’envers. Comment est-ce que cette opération pacifique peut être illégale alors que nous étions encadrés par la police. À aucun moment, des hauts gradés de la police ne nous ont avertis que nous étions en train de commettre un délit. D’ailleurs, aucun conducteur n’a été verbalisé. À notre point de départ à Bell Village, il y avait une trentaine de policiers. Après tout, je ne crois pas que c’est un délit de rouler à 20km/h. À ce que je sache, c’est l’excès de vitesse qui est sanctionné. Or, à cet endroit, la vitesse maximale est de 40 km/h.

Je ne crois pas vous faire une révélation en vous disant que dans le giron du pouvoir, votre équipe est perçue comme des fauteurs de troubles ?
Cette étiquette ne nous sied nullement, car lors du soulèvement populaire à Camp-Levieux, ce sont Rama Valayden, Bruneau Laurette, Jean-Claude Barbier et moi-même qui étions sur le terrain pour désamorcer la situation. Nous œuvrons uniquement dans l’intérêt de la population et du pays.

Vous menez une croisade contre la hausse des prix des carburants, mais c’est une tendance mondiale…
Le prix du carburant à la pompe est exagéré, surtout ce nouveau record.

Permettez-moi de vous signaler que dans plusieurs pays, le prix de l’essence a atteint des record, notamment en Angleterre ?
Il ne faut pas mélanger torchons et serviettes. Maurice est un cas particulier.

C’est la politique monétaire du gouvernement qui écrase la population"

Dans quelle mesure ?
Notre prix est plombé par trop de taxes. LPM a fait un pressant appel au gouvernement d’enlever certaines taxes, dont l’Excise Duty ne serait-ce que pendant les six prochains mois pour que les consommateurs puissent respirer. Ils sont assommés par une succession de majoration de prix. Cela ramènerait le prix de l’essence à environ Rs 53. Ce sera un bol d’air frais pour la population.

Si c’est aussi facile que ça, ne pensez-vous pas que le gouvernement aurait déjà privilégié cette option ?
Oui, c’est facile. Il faut tout simplement avoir la volonté politique. L’Inde vient d’enlever l’Excise Duty sur les carburants et le prix a baissé. Nous avons fait cette proposition dans notre Budget Alternatif du 16 mai avant que le gouvernement central indien ne prenne cette décision. Si l’Inde a pu le faire pourquoi pas Maurice ? Quelques États indiens sont allés plus loin en diminuant aussi le taux de la TVA pour une période définie.

Vous vous rendez compte que ces taxes sont considérées comme vitales par le gouvernement…
C’est une absurdité. Étant donné que la campagne de vaccination est au ralenti, il ne faut plus acheter une grosse cargaison de vaccins. Et rappelons que nombre de vaccins ont été offerts à Maurice. Pour soulager la population, il est souhaitable de mettre aussi en veilleuse la taxe perçue pour la Road Development Authority. Dites-vous bien que ces taxes représentent l’arbre qui cache la forêt.

De quoi se constitue cette forêt ?
De la dévaluation de la roupie au compte-gouttes. C’est la stratégie qu’a adoptée le gouvernement depuis plusieurs années. C’est le « boiling frog syndrome ». Il a érodé le pouvoir d’achat de la population à petit feu jusqu’à ce que la situation soit devenue intenable pour la grosse majorité des Mauriciens.

Comparons 2022 à 2013 lorsque le prix du baril du pétrole était très élevé, soit 1 133 dollars la tonne métrique. Aujourd’hui, le baril coûte C’est 1 073 dollars. Vous conviendrez que l’écart est insignifiant. Cependant, la différence du prix du carburant à la pompe est énorme. Rs 52,25 en 2013 contre Rs 74,10 en 2022. C’est principalement parce que le dollar s’est apprécié passant de Rs 31,25 à Rs 43,50. Donc, c’est la politique monétaire du gouvernement qui écrase la population. Une politique monétaire qui vise à renflouer les caisses de la Banque de Maurice que ce même gouvernement a dévalisées à hauteur de Rs 60 milliards pour financer le précédent Budget.

Voulez-vous dire que la Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine n’ont pas un impact considérable sur la hausse des prix ?
Bien entendu ! Cependant, c’est un prétexte qu’utilise le gouvernement pour tenter d’occulter sa mauvaise gestion de l’économie. 

Vous n’êtes pas sans savoir que le coût de l’importation a augmenté considérablement, surtout le fret…
Franchement, c’est minime par rapport aux taxes imposées sur le carburant. Le gouvernement considère les motocyclistes et les automobilistes comme des vaches à lait. 

Mais une chose est certaine, les caisses de la State Trading Corporation sont à sec. Partagez-vous l’argument du gouvernement que c’est après avoir épongé la hausse du prix du carburant à l’importation ?
Quel culot ! Les caisses de la STC comme celles du CEB (Central Electricity Board), entre autres, sont à sec parce que le gouvernement a fait main basse sur leurs réserves. De part ses gabegies, des milliards de roupies ont été décaissées pour compenser (Rs 5,6 Md) Betamax et des millions de roupies sont allées à l’eau avec des achats douteux comme celui des ventilators auprès de Pack & Blister.

C’est pour cette raison qu’une augmentation du tarif d’électricité est suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des abonnés du CEB. Ce qui me pousse à dire que c’est un gouvernement qui ne travaille pas dans l’intérêt de la population. 

Mo dimann mwa kot sa minis de Finans pou al grate pou kapav finans bidze ki li pou prezante le 7 zwin. Il ne puisera pas encore des fonds de la Banque de Maurice, j’espère.

Que reprochez-vous d’autre au gouvernement concernant la gestion de la STC ?
Il faudrait savoir combien d’argent il y avait dans le Price Stabilisation Account (PSA) de la STC en décembre 2019, 2020 et 2021. Je m’explique. Fin 2019, la tonne métrique du Mogas/l’essence était de 595,65 dollars pour un prix à la pompe de Rs 44/litre. Le 5 décembre 2020, l’essence était à 400,25 dollars et un prix à la pompe de Rs 44/litre.

Le windfall gain de la STC fin 2020 est estimé à Rs 8 569 par tonne métrique avec un dollar à Rs 40,40. Au 30 juin 2019, la balance du PSA était de Rs 534 708 133. Au 30 juin 2020, le montant du PSA était de Rs 22 239 457, soit Rs 512 millions en moins.

Nous piaffons d’impatience de jauger notre poids électoral"

Que s’est-il passé entre décembre 2019 et décembre 2021 dans le PSA ?
Si le Premier ministre veut qu’on le croit, qu’il publie en toute transparence le Price Stabilisation Account à partir de janvier 2016 mensuellement jusqu’à ce jour en expliquant les raisons de la fluctuation des montants.

LPM organise jusqu’à quatre points de presse par semaine. Ne craignez-vous pas que le trop finisse par nuire ?
Cela n’arrive pas toutes les semaines, mais dépendant de l’actualité, voire de nos activités et  s’inscrit dans notre stratégie de communication. À travers la presse, nous nous efforçons d’informer la population de nos activités et de nos analyses, entre autres. Vous avez pu constater que ce ne sont pas les mêmes personnes qui animent nos points de presse. We are gaining momentum. Les associations qui ont des griefs et qui ont l’impression de crier dans le désert comme celles des chauffeurs de taxi, de contract bus, des travailleurs du secteur informel, nous ont rejoints. D’autre part, nous avons constamment des demandes d’adhésion. Nous en recevons une centaine par semaine et sommes en train de lancer des comités de circonscription.

Vous connaissez certes le dicton «Too many cooks spoil the broth». En sus des quatre partis qui constituent son noyau, LPM continue à accueillir d’autres mouvements. N’y a-t-il pas un gros risque de clash des personnalités pouvant résulter à une implosion ?
We don’t have too many cooks. LPM fonctionne avec un leadership collégial. Nous avons une équipe dévouée et disciplinée qui se conforme à la constitution du parti. Nou tou pe travay pou nou vizion, pa roul pei parey. La population a dû constater que contrairement aux partis traditionnels, nous avons des idées nouvelles, voire révolutionnaires, pour sortir le pays du marasme dans lequel il s’engouffre en raison d’une  mauvaise gestion. Nous voulons offrir un avenir prometteur, florissant à la population. Nous voulons léguer un pays prospère aux générations futures. Pour savoir ce que veut la population pour améliorer son quotidien, nous comptons lancer un sondage auprès de 10 000 personnes. 

Votre parti opère sept jours sur sept. Comment financez-vous les activités et les dépenses administratives ?
Toutes les activités sont financées par les membres. D’ailleurs, nous n’avons pas de grosses dépenses. Nous n’offrons pas de briani, des boissons alcoolisées ni de l’argent pour que les gens participent à nos activités. Nou pa fer gaspiyaz parski nou tir kas dan nou pos. Nous avons aussi des sponsors ponctuels pour l’impression des pamphlets et des banderoles. Dites-vous bien que cela ne fait que deux mois que LPM existe et nous sommes loin d’avoir atteint notre vitesse de croisière.

Ce sera pour quand ?
Très probablement lors des prochaines élections municipales que nous attendons avec impatience. Nous comptons briguer les suffrages dans les cinq villes et présenter 120 candidats. 

Ce qui fait que LPM se présentera seul à ces élections ?
Oui. Cette décision a été prise à l’unanimité par notre bureau politique. Contrairement aux partis traditionnels qui contractent des alliances vouées aux mésalliances pour les élections, nous piaffons d’impatience de jauger notre poids électoral. Nou pa per. Nou oule konn nou lafors. Nous sommes confiants que les citadins seront séduits par notre programme pour les villes. Un programme réaliste, action-driven pour redorer le blason des villes. En cas de victoire, nos maires seront des gens compétents dans le domaine de la gestion. 

Votre parti risque d’être une épine dans le pied de l’opposition, n’est-ce pas ?
C’est le cadet de nos soucis. C’est leur problème ! S’ils avaient fait de la politique autrement, nous n’aurions pas existé. Ce sera un Test Case. Si cette opposition traditionnelle est devenue amorphe et ne critique les mauvaises décisions du gouvernement que dans des salons, nous, nous descendons dans la rue pour lui donner du fil à retordre. Si personne ne maintient une pression soutenue sur le gouvernement, they will take us for granted. L’action est dans notre ADN.

 

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