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Desh Ladkoo, peintre et sculpteur : «L’art se meurt lentement, mais sûrement à Maurice»

Selon Desh Ladkoo, « les Mauriciens, dans leur grande majorité, aiment la nature et les paysages et les aquarelles… ». Chez Desh Ladkoo, un coin aménagé aux tonalités et reliefs indiens.

Où en est l’intérêt des Mauriciens pour les arts et en particulier les jeunes et comment œuvrer à la mise en place d’un marché des arts ? Ce sont des questions que se pose Desh Ladkoo, enseignant en Art & Design et peintre/sculpteur. Selon lui, vu que le système éducatif local marginalise le talent, l’art est voué à une mort lente.

À Vacoas, où il est domicilié, tout respire la création artistique, les espaces étant mis en valeur à l’aide de tableaux ou de motifs sculptés.  « J’ai voulu créer des conditions de manière à donner libre cours à mes intuitions créatives », explique Desh Ladkoo, titulaire d’une maitrise en beaux-arts du Mahatma Gandhi Institute (MGI). Très influencé par les grands maitres de la peinture classique et certains impressionnistes, mais aussi par l’insularité de Maurice, il s’en inspire pour composer ses créations. « Je suis davantage dans une composition picturale propre à notre île, à la fois réaliste et impressionniste, plutôt que dans la reproduction mécaniste », indique-t-il.

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Notre interlocuteur justifie son choix par cette profusion de tons caractéristiques de Maurice, à la manière d’un Malcolm de Chazal, Vaco Baissac, Kishan Beejadhur, Ashley Juggoo ou encore Riaz Auladeen. « Si ces derniers sont moins connus, Vaco Baissac, de son vivant, a été bien médiatisé. Ainsi, à ce titre, il est un excellent exemple d’initiation à la peinture pour les apprenants, c’est un bon coloriste. Toutefois, après lui, il faut apprendre aux élèves à passer à une étape supérieure », précise-t-il. 

« À mon sens », poursuit-il, « l’exemple d’une étape supérieure est bien incarné dans la démarche d’un Krishna Luchoomun qui a su bâtir sur sa formation classique en Union soviétique pour se trouver une voie originale et tenté de disséminer à travers le collectiv pARTage ». Malheureusement,  d’après lui, là où les choses se compliquent, il n’existe aucune perspective de développement à Maurice pour un jeune qui souhaite se faire un nom dans le domaine des arts. 

Expos à la Galerie Max Boullé

L’ancien pensionnaire du collège New Eton se souvient encore des expos que la mairie des Villes-Sœurs organisait à la galerie Max Boullé dans le passé. « Bien entendu, c’était déjà très difficile aux peintres locaux de vendre leurs travaux, mais la galerie leur offrait une visibilité. Aujourd’hui, alors que notre pays croule sous les espaces libres et que l’État et le secteur privé disposent de gros moyens, il n’y a pas une authentique politique en matière artistique. Il y a effectivement quelques initiatives de l'Economic Development Board, mais elles sont jugées insuffisantes, ce qui se traduit par l'absence actuelle d'une véritable culture artistique à Maurice », se désole-t-il.

Pour Desh Ladkoo, le pays est en train de rater des occasions de se faire valoir comme un lieu de rencontre des cultures venues d’Orient, d’Afrique et d’Europe. « Nous avons une industrie touristique de prestige, mais nous n’en profitons pas pour mettre en contact les visiteurs avec les créateurs mauriciens. Il y a un marché potentiel, on pourrait organiser des expos-ventes, ateliers de travail et conférences… », propose-t-il. Cependant, pour y arriver, il faudrait passer par une initiation précoce, donc par les écoles. « C’est aussi par les parents que cette sensibilité doit être développée, mais ces derniers n’y voient aucun intérêt aux études des arts, car ils sont convaincus, non sans raison, que celles-ci ne permettent pas de décrocher un emploi. Mes parents eux-mêmes étaient un peu comme ça. Et plus on avance, plus les perspectives se réduisent. La profession elle-même a atteint un niveau de saturation, où de nombreux jeunes diplômés en beaux-arts ont du mal à obtenir un poste d'enseignant », note-t-il. 
Heureusement, sur le plan personnel, l’espoir est loin d’être perdu. Ainsi, grâce aux réseaux sociaux, les peintres et autres plasticiens peuvent se faire valoir, à l’instar de Desh Ladkoo lui-même.
« … visible et se faire connaitre. »

« Le web est devenu l’espace idéal pour se rendre visible et se faire connaitre. Et pour peu qu’on maitrise la communication, on peut aussi expliquer notre démarche picturale pour bien montrer notre sérieux », indique notre interlocuteur. Ce dernier est membre de l’association Cool A l’ile Maurice, créée en 2023 et qui compte une cinquantaine d’artistes connus et moins connus. « Avec ma page web, je me suis fait connaitre des galeristes et des particuliers. Les galeries passent des commandes thématiques et moi, je me mets au travail avec ma touche personnelle. Les particuliers, eux, recherchent souvent des portraits. Les recettes de vente me permettent d’arrondir les fins de mois et d’acheter les matériaux pour mes travaux », précise-t-il, indiquant que les Mauriciens, dans leur grande majorité, préfèrent les peintres et sculpteurs classiques. 

« L’abstraction leur semble plutôt individuelle, complexe et inaccessible, car la démarche des peintres et des sculpteurs de cette école exprime davantage leur interprétation du monde et des choses et semblent exclure le regard extérieur. Comme beaucoup de populations insulaires, les Mauriciens aiment la nature et les paysages et les aquarelles, mais il faut se garder de céder au simplisme et au mimétisme. C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis pas partisan de l’hyperréalisme », fait-il observer, avant de préciser : « Je suis resté attaché au classicisme en arts, que ce soit en peinture, en sculpture et dans mes choix musicaux. Lorsque je suis dans mon petit atelier, c’est soit Ravi Shanker ou Beethoven qui servent de fond musical. Dans ces moments-là, j’aime le calme, la solitude, mais en dehors, je suis un grand bavard, j’aime la compagnie des gens », confie-t-il dans un grand sourire.

 

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