
La démission de Rama Sithanen à la tête de la Banque de Maurice révèle les fragilités d’une institution clé. Conflits internes, nominations politiques et confusion entre sphères privée et publique soulèvent des questions sur l’indépendance et la transparence.
Publicité
Après les soubresauts qui ont secoué la Banque de Maurice (BoM), le départ de Rama Sithanen de la tête de l’institution était attendu. Mais au lieu de se retirer de son propre chef, l’homme a choisi de s’accrocher à son poste jusqu’à ce que le Premier ministre lui demande de se retirer. Dans un entretien accordé à la MBC, Rama Sithanen a déclaré : « Dans l’intérêt supérieur de la Banque centrale, dans l’intérêt supérieur du pays et pour la stabilité et la sérénité de l’institution, je pense que c’est une bonne chose que je me retire. » Il a ainsi « accepté de démissionner », tout en précisant qu’il aura au préalable une rencontre avec le Premier ministre ce lundi 22 septembre.
Amalgame
Dans cet entretien, le futur ex-gouverneur a tenté de clarifier les accusations d’amalgame entre vie privée et fonctions officielles. « Il faut faire la distinction entre Rama Sithanen, le gouverneur de la Banque centrale, et un échange entre deux camarades, entre l’ancien Second Deputy Governor et Tevin Sithanen. Ce sont des échanges basés sur leur amitié développée pendant la campagne électorale », a-t-il expliqué. Selon lui, l’épisode du jour des résultats a provoqué une confusion entre l’activité d’un agent politique et ses fonctions à la Banque centrale.
Cette démission interroge sur l’indépendance et la gouvernance de la BoM. « L’indépendance d’une banque centrale va bien au-delà du cadre technique : elle incarne un véritable pacte de confiance, indispensable à la stabilité économique et sociale », estime l’économiste Manisha Dookhony. Pour elle, cette confiance, fondée sur la transparence et l’absence d’intérêts privés, demeure fragile.
Bonne gouvernance
Citant Talleyrand, elle rappelle que « l’art de la politique est de prévoir les conséquences immédiates et lointaines d’une action et de ne pas être short-sighted ». Elle insiste sur la nécessité d’une vision détachée des enjeux pour préserver la BoM. En cette période de Pitra Paksh, ajoute-t-elle, « nous, hindous, honorons nos ancêtres, ceux qui ont bâti le pays à la sueur de leur front. C’est un appel à l’humilité et à la conscience des responsabilités ».
Pour l’observateur politique et membre de Think Mauritius, Faizal Jeerooburkhan, la première leçon de cette crise est de mettre un terme aux nominations politiques dans les institutions clés. « La nomination du gouverneur et de ses deux adjoints doit être effectuée par un comité technique et professionnel de haut niveau, après un appel à candidatures, des interviews basées sur des critères rigoureux et un système de pointage préétabli », préconise-t-il. Il insiste aussi sur la nécessité de bien départager les responsabilités entre le gouverneur et ses adjoints, et de garantir l’autonomie de la BoM vis-à-vis du ministère des Finances dans la conduite de la politique monétaire, la stabilisation du taux de change et le contrôle de l’inflation.
Pour Manisha Dookhony, les conflits internes révèlent souvent un déficit de culture de gouvernance, où « la sagesse dans la gestion des différends est aussi importante que les règlements ». Selon elle, « une institution forte se mesure à sa capacité à transcender les rivalités pour garder le cap sur son rôle fondamental ». Elle insiste également sur la séparation entre vie privée et responsabilité publique, soulignant que « l’ombre du doute suffit à éroder la confiance ».
Stabilité interne
Même constat du côté de Transparency Mauritius. Laura Jaymangal, Executive Officer, estime que cette démission met en évidence la nécessité d’assurer une véritable indépendance des institutions clés de l’État. « Il faut renforcer les garde-fous institutionnels afin que la BoM puisse fonctionner sans pression politique ni ingérence externe », indique-t-elle. Selon elle, cette exigence de transparence et de mécanismes de responsabilisation doit s’étendre à toutes les institutions publiques. Elle s’interroge aussi sur le rôle du Board et des organes de contrôle qui devraient agir comme remparts face aux dérives.
Faizal Jeerooburkhan rappelle que la BoM joue un rôle crucial dans la stabilité monétaire, le contrôle de l’inflation et la stabilité de la roupie. Pour lui, la crise actuelle révèle de graves failles de gouvernance et de gestion des conflits.
Laura Jaymangul abonde dans le même sens, soulignant que le manque de mécanismes internes de résolution de conflits crée des « zones grises » qui affaiblissent la confiance du public.
Honneur et intégrité
La polémique a aussi été alimentée par l’implication de Tevin Sithanen, fils du gouverneur, dans un prétendu enregistrement et par des échanges privés diffusés sur les réseaux sociaux. Faizal Jeerooburkhan note la « vulgarité inouïe » des messages. « Dans une fonction de haute responsabilité comme celle du gouverneur de la BoM, l’éthique exige d’éviter tout conflit d’intérêts », renchérit Laura Jaymangul.
Pour Faizal Jeerooburkhan, Rama Sithanen aurait pu préserver son honneur et l’intégrité de l’institution en démissionnant sans attendre les directives du Premier ministre. « À Maurice, l’éthique est la moindre des préoccupations de nos intellectuels à la tête des institutions publiques », conclut-il.
Retrait volontaire
Interrogé quelques jours avant la conférence de presse du Premier ministre, le samedi 20 septembre, le Dr Jonathan Ravat, directeur de l’Institut Cardinal Jean Margéot, estimait que Rama Sithanen aurait dû se retirer de lui-même. Un tel geste aurait permis une enquête interne... Au nom de l’indépendance de la Banque de Maurice, il jugeait également inutile une intervention du chef du gouvernement.
Manisha Dookhony abonde dans ce sens tout en soulignant la complexité d’une telle décision. Pour l’économiste, un retrait volontaire est « une démarche délicate, emplie d’ambiguïtés ». Elle considère cependant, comme le Dr Ravat, que le geste de « step aside » est souvent le plus sage.
Sur le plan éthique, Laura Jaymangul, Executive Officer de Transparency Mauritius, estime aussi qu’il aurait été préférable que Rama Sithanen prenne lui-même l’initiative de se retirer afin de préserver la crédibilité de la Banque centrale.
Manisha Dookhony : Le conflit doit céder la place à l’unité
Manisha Dookhony rappelle que sir Seewoosagur Ramgoolam, lui aussi, a dû affronter des crises difficiles et complexes. Selon elle, « le temps du conflit doit céder la place à l’unité et à la reconstruction, nourries par l’esprit des bâtisseurs qui ont façonné la nation mauricienne. »

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !