Dans le village de L’Espérance, à Quartier-Militaire, vivent Deolall et Rajeswary Luchon. Le temps semble s’être arrêté chez ces retraités, épargnés par le rythme effréné de la ville où les travaux d’urbanisation vont bon train. D’ailleurs, cela fait 17 ans que le couple vit sans électricité. Ses conditions de vie sont certes précaires, mais dans cette pénombre, il tente de garder espoir.
Contraste entre le rythme effréné de la modernisation et les conditions de vie de Deolall, 65 ans, et Rajeswary Luchon, 67 ans. Ce couple de personnes âgées de la rue Ledda à L’Espérance, Quartier-Militaire, vit à la lueur de bougies depuis 17 ans. Ils disent ne pas avoir les moyens financiers pour payer les frais d’une connexion au CEB et qu’ils peuvent vivre sans électricité, « kouma letan lontan, nou ti viv avek ti lalamp kinke ».
Leur vieille bicoque sans électricité est simplement éclairée par des chandelles et chauffée par le feu de foyer, comme à l’époque. Sans réfrigérateur ni autres commodités qu'on croit essentiels, Rajeswary Luchon cuisine ses repas lorsqu’il fait jour. Le soir venu, Deolall et elle se mettent à table pour dîner aux chandelles. Cela n’a rien de romantique. C’est tout simplement le triste quotidien du couple Luchon.
Le day-to-day business de ce vieux couple ne se résume qu’à une conversation. Oubliez l’électroménager, le frigo, la machine à laver, le fer à repasser et surtout la télé. Pour toute communication externe, un vieux transistor qui a vu des vertes et des pas mûres. Il roule aux piles. Rien que pour écouter les infos en hindoustani et en bhojpuri. Chez les Luchon, on roule à la cire rouge sur le sol, comme au bon vieux temps. Pour le protéger, du carton tout plein l’espace afin de ne pas salir. Cela brille d’un éclat d’une douceur qui fait jalouser les cartels du nouveau monde de faux riches que nous sommes.
À l’intérieur, le mot rustique est faible, il faut trouver un autre adjectif, mais on sent que cet espace accueille un douillet lit mais qui, pour le protéger des gouttelettes quand il y a des averses, il y a des seaux pour parer au toit qui devient alors passoir. Il y a aussi un bâton qui sert de cale pour laisser entrouverte la porte d’entrée. Cela afin que l’air circule et emporte avec lui, peu à peu, l’odeur de moisissure qui peste.
Ce vieux couple n’attend aucun cadeau, juste un peu de tranquilité.
Dans la pénombre de la chambre annexe qui sert à la fois de salon, de salle à manger et du coin de prière, Rajeswary est assise sur une chaise. Elle acquiesce d’un sourire mais elle ne peut cacher sa triste mine. Elle nous montre sa cuisine faite de quatre feuilles de tôle en mauvais état, fixées à des poutres rongées par des insectes de bois. Vaisselles et casseroles sont éparpillées sur la table et une odeur de nourriture envahit cette pièce lugubre. On retourne au salon qui donne vue sur un ancien lavoir. Et sur un petit jardin arborent des plantes de caripoule, de suran, de songes et de bred sousou en filature… De précieux aliments qui agrémentent, sans doute, les repas quotidiens du couple Luchon.
L’impasse
Deolall ouvre une boîte qui lui sert de placard et retire des documents pour nous les montrer. Il justifie son invalidité : cartes, feuilles de papier et photos, entre autres. « J’ai plusieurs complications de santé. Idem pour ma femme. Je suis fatigué de me battre contre le voisinage », dit-il sans fioritures. Avec parfois la truculence et artifice du conteur voulant captiver son auditoire, il raconte le calvaire que lui fait endurer le voisin vivant derrière sa bicoque. « Zot inn fer enn limpass lor mo terrain bien avan ki mo inn vinn res la. Zot fer kouma dir sime la pou zot akoz zot inn fer koltar li. Mwa mo pas kapave servi li. Mo terrain sa. Mo pas gagn kompran. Loto ek motosyklet ale vini. Kan mo koz ar zot, zot pa kompran. Depi sa pou tou ti zafer zott rod laguer ar mwa. Zot insilte mwa. Mo res trankil. Parfwa mo pas kapav. »
Il a fait plusieurs plaintes mais, à chaque fois, cela s’est retourné contre lui, nous dit-il, stoppé dès la moindre pointe humide dans ses yeux. Il nous somme de sortir voir les câbles de téléphonie et d’électricité du voisin qui traversent sur sa maison. Importuné, il a fait plusieurs plaintes au Central Electricity Board, en vain. « Je veux qu’on les retire de mon terrain. »
À l’entendre, on comprend vite qu’à l’origine de son mécontentement est une histoire de droit de propriété.
Sa femme abonde dans le même sens et raconte craindre pour sa sécurité. La maison n’est jamais laissée seule par peur d’être victime de représailles. Le couple y reste tous les jours mais avoue être très fatigué de la situation, surtout dans leurs vieux jours. Leur regard plein d’espoir se tourne vers nous…
Un homme à terre
Deolall Luchon a fait un ou deux jours à l’école. Après, il a commencé à travailler dans les champs de canne. « Je ramassais de la paille de canne et j’aidais les laboureurs », dit-il. Cela pour ensuite devenir laboureur. En 1976, il rejoint l’usine de thé à Dubreuil et y travaille pour 10 ans. En 1989, il convole en juste noces avec Rajeswary Bhurton. De cette union sont nées deux filles. Le couple Luchon a également trois petits-enfants, qui les rendent visite de temps en temps.
Bien que Deolall Luchon ait reçu un lopin de terre pour cultiver le thé, il perdait courage à faire ce métier. Étant malade, le trajet de Quartier-Militaire à Dubreuil, chaque matin, était de plus en plus pénible. Deolall cesse de travailler et vit de sa pension. Et essaie avec sa femme d’arrondir les fins de mois entre provisions et médicaments coûteux. Souffrant de plusieurs complications de santé, Deolall et Rajeswary se contentent de peu pour survivre. Ils veulent simplement avoir la paix d’esprit.
« Ainsi va la vie », chantait Yves Montand et d’autres encore. Ce vieux couple n’attend aucun cadeau de la vie, sauf un peu de tranquilité et moins de taquinerie du voisinage. Et un peu d’amour des autres, tout un petit peu. Une gouttelette.
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