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Décroissance démographique : des conséquences majeures à l’horizon 

Manisha Dookhony Kevin Teeroovengadum etTakesh Luckho

Dans les années à venir, Maurice sera confronté à une décroissance de sa population. Les deux facteurs qui y contribuent sont le faible taux de naissance et le vieillissement de la population. Bien que cette baisse semble bénigne, elle est en réalité significative et non pas sans conséquences majeures, en particulier pour l’economie.

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Croissance économique lente

L’économiste Manisha Dookhony souligne que la baisse de la population est le résultat du vieillissement de la population. Ce qui ne sera pas sans conséquences au fil des années. « Une population en déclin signifie une croissance économique plus lente ou même une baisse de la production. Il est possible aussi que cela ralentit la croissance par habitant avec la production globale qui diminue.  Et à mesure que la population disparaîtrait, le niveau de vie risque de stagner », explique-t-elle. 

Faible fécondité

Pour notre interlocutrice, « l’autre spectre est que cette décroissance démographique engendra un cercle vicieux dans lequel une faible fécondité d'une génération entraîne une faible fécondité de la suivante, entraînant une spirale descendante de la population ». 

Récession

Cependant, Manisha Dookhony précise que « cette baisse provoquera aussi une diminution de la demande des prêts immobiliers et sans doute cela va s’accompagner d’une baisse du taux d'intérêt.  Cela risque aussi par contre de créer une bulle immobilière avec une baisse de la demande.  A Maurice, avec la poussée immobilière, l'offre croissante de logements entraînera une baisse des prix. Avec le déclin de la demande ainsi qu’une baisse de la production, cela peut conduire à une récession permanente ainsi que le déclin des services de base et des infrastructures. Cela entrainera une pression fiscale croissante pour payer les retraites et les soins de santé », avance cette dernière en citant l’exemple du Japon comme exemple « où la quasi-totalité de la croissance récente des revenus des personnes en âge de travailler a été absorbée par les hausses d'impôts et les primes d'assurance sociale. »

Fardeau

Face à cette baisse démographique, elle énonce également le changement de la consommation. Manisha Dookhony prévoit aussi une pression sur le système de retraite en sus d’une dépendance. « Ce sera un fardeau supplémentaire pour les femmes (enfants et parents) et sans doute plus de femmes ne pourront plus participer à la vie active.  Sans de soutien aux femmes, cela sera très difficile d’atteindre l’égalité des genres », dit-elle. 

Pression sociale 

Afin de palier au problème de décroissance, une des solutions serait d’encourager l’immigration tels que les nouveaux systèmes de visa à long terme.  « Cela aidera à l’augmentation des avoirs étrangers nets par rapport au PIB. Cependant, une augmentation significative du nombre d'étrangers entraînera inévitablement une pression sociale croissante dans le pays en particulier, vue la fragilité de notre tissu social.  Mais peut être aussi qu’il y aura une montée du nationalisme », pense-t-elle.

Pension 

L’économiste Kevin Teeroovengadum estime que la baisse démographique et le vieillissement de la population mettront encore plus de pression sur l’État. « Ce sera un fardeau de continuer à payer la pension. Cela deviendra de plus en plus problématique qu’il ne l’est en ce moment », est-il d’avis. 

Diminution du marché 

Il pense aussi que moins de jeunes sur le marché du travail signifie qu’il n’y aura pas de création de la richesse. « En ce moment, on compte quelque 1,3 millions de personne. Ce nombre va diminuer et atteindra un million dans les années à venir. Ce qui impactera sur la production et la consommation, faisant que le marché diminue. La taille du gâteau sera plus petite », souligne Kevin Teeroovengadum. 

Migration 

Selon lui, il est impératif que le chiffre de 1, 3 millions de personne soit stabilisé. « Pour s’assurer qu’on ne tombe pas en dessous de ce chiffre, il faudra attirer la diaspora mauricienne mais aussi des étrangers à venir à Maurice. Si on n’arrive pas à maintenir le chiffre, ce sera une perte en termes de revenu », prévient-il. 

Takesh Luckho, lui-aussi économiste, abonde dans le même sens. « Au niveau de la ‘working force’, s’il y a un resserrement de cette catégorie, on n’aura pas assez d’employés. Il va falloir avoir recours aux étrangers à travers la migration », affirme-t-il. 

Hausse du ‘dependancy ratio’

Une baisse du nombre de personnes actives veut dire une hausse du ‘dependancy ratio’. Outre la pression sur le système de pension qui n’est pas soutenable selon des experts financiers, cela aura également un coût sur le gouvernement qui manquera de fonds pour l’état providence. « Avoir plus de personnes âgées nécessitera un budget plus important pour les soins de santé. Bien que je sois pour l’état providence qui est un acquis, je pense qu’il faut une réforme pour le rendre plus soutenable avec le vieillissement de la population », ajoute Takesh Luckho.


Main-d’œuvre étrangère : solution envisageable ?

Cette semaine, le ministre des SME, Sunil Bholah a affirmé que 2 000 emplois sont à pourvoir d’urgence dans des entreprises d’exportation. D’ores et déjà, Maurice fait face à la décroissance de la population mais aussi au manque de main-d’œuvre locale dans divers secteurs car des Mauriciens ne veulent pas de certains emplois ou encore n’ont pas de compétences dans le domaine en question. Face à ces problématiques, est-ce que la main-d’œuvre étrangère est la solution ? 

Le syndicaliste, Ashok Subron est sceptique. « Il n’y a pas un problème de main-d’œuvre locale. C’est juste que des Mauriciens cherchent des conditions de travail humaines et décentes et non qui frôlent l’esclavagisme. C’est un faux débat de dire que c’est une solution car on sait dans quelles conditions travaillent des Bangladeshis et autres », dit-il, mettant l’accent sur le fait que les Mauriciens ne refusent pas de travailler mais sont contre la « surexploitation ».

S’agissant de la baisse de natalité, Ashok Subron estime que cela est dû au fait que l’avenir s’annonce incertain. « Les jeunes hésitent à avoir des enfants car l’avenir est flou », dit-il. 

Pour sa part, le syndicaliste Radhakrishna Sadien estime que le faible taux de naissance est « le succès du family planning ». « Toute solution amène un nouveau problème dans son sillage. Il nous faut vraiment avoir un débat dépassionné au-delà de la politique partisane. Maurice dépend beaucoup de la main d’œuvre étrangère. Sans parler du problème de mismatch. Il nous faut valoriser les métiers pour que nos jeunes s’intéressent aux secteurs porteurs d’emplois. Solliciter la main-d’œuvre étrangère doit être en dernier lieu sinon cela risque de tuer la main-d’œuvre locale mais aussi pour éviter l’exode de nos talents locaux », avance notre interlocuteur. Il pense aussi qu’il faut donner des « incentives » aux jeunes afin de les encourager à avoir des enfants. 


En chiffres

Selon le ​​Population and Vital Statistics, au 1er juillet 2021, la population de la République de Maurice était de 1,266,334 avec une hausse de 320 (+0.03).  Pour ce qui est des naissances, si en 2020, on avait enregistré 13 465 naissances pour l’ensemble de l’année, pour 2021 on prévoit 13 030 naissances.

Iles  Les deux sexes Différence (entre juillet 2020 et juillet 2021) Hommes Femmes 
Maurice 1 221 844 -77 personnes 604 371 617 473
Rodrigues  44 216 + 397 personnes  21 632  22 584 
Agalega et St Brandon 274 0 174 100
*Chiffres au 1er juillet 2021.

 

Ibrahim Koodoruth : « Il faut éduquer sur le remplacement de la population »

Le sociologue Ibrahim Koodoruth explique que la Chine qui prônait une politique d’un enfant par couple a revu sa stratégie à trois enfants par couple. Ce qui lui a été bénéfique. Il pense qu’à Maurice, on doit aussi encourager les couples à avoir des enfants. « Ce ne sont pas des mesures comme l’éducation gratuite qui inciteront les gens à avoir des enfants. Il faut éduquer les gens sur le remplacement de la population face au vieillissement démographique », croit-il. Ibrahim Koodoruth précise que les effets de cette décroissance démographique se feront sentir même au niveau social.  Selon lui, même au niveau infrastructurel, des changements auront lieu. Il pense qu’il faudra plus à l’aspect gériatrique. « Il faudra plus de facilités pour adresser des problèmes de sénilité, de perte de mémoire et autres maux associés à la vieillesse », pense-t-il.

 

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