De l’abandon à l’adoption : des bébés abandonnés à Rose-Hill révèlent une détresse silencieuse
À Stanley, un bébé a été découvert en août dans un sac accroché à un portail. La semaine dernière, un autre nourrisson a été trouvé devant une église de Rose-Hill. Ces abandons successifs, survenus dans la même ville, révèlent une détresse silencieuse et appellent à une réflexion nationale sur l’accompagnement des familles vulnérables et la prévention de nouvelles tragédies.
La découverte de deux bébés abandonnés à Rose-Hill en l’espace de quelques mois a profondément bouleversé l’opinion publique. En août, un nourrisson avec son cordon ombilical a été trouvé dans un sac suspendu au portail d’une maison à Stanley. En décembre, un autre bébé a été découvert devant une église de la même ville. Il était aussi dans un sac. Ces abandons relevés dans un périmètre restreint relancent le débat sur la protection de l’enfance.
Au-delà de l’émotion, ces abandons interrogent sur les causes profondes : détresse psychologique, isolement social, précarité économique, absence de structures d’accueil adaptées pour les mères en difficulté. Les autorités promettent de renforcer les mécanismes de soutien.
La responsabilité des familles d’accueil est salutaire pour offrir un cadre sécurisant à ces enfants. Leur rôle est crucial : assurer une prise en charge immédiate, garantir un environnement affectif stable et collaborer avec les services sociaux pour préparer l’avenir de ces nourrissons.
Le ministère de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille supervise actuellement 127 enfants dans 100 foyers d’accueil. Derrière ce chiffre se cache un processus rigoureux, destiné à offrir à des mineurs abandonnés, négligés ou maltraités un environnement stable et bienveillant.
« Beaucoup de personnes souhaitent accueillir un enfant, mais elles ne connaissent pas la procédure ni vers quel organisme se tourner », explique Sadhvi Subrun, Family Welfare and Protection Officer. Le public peut s’adresser à la Foster Care Division, sous l’égide du ministère, pour obtenir des informations.
Le foster care est défini comme un placement temporaire d’un enfant au sein d’une famille d’accueil. Ces enfants ont souvent vécu des situations difficiles : abandon, négligence, maltraitance, violence ou abus. Ils ont donc besoin d’un environnement stable et bienveillant. « Il est essentiel que la famille d’accueil soit consciente de la réalité des enfants et qu’elle soit prête à offrir un encadrement adapté à leurs besoins », indique un assistant social.
Pour devenir une famille d’accueil, les candidats doivent être financièrement stables, capables de subvenir aux besoins de l’enfant sur le plan émotionnel, éducatif et sanitaire, et disposer d’un espace dédié dans leur maison.
Le processus commence par l’examen des formulaires par le Foster Care Advisory Committee (FCAC). Si les critères de base sont respectés, une home study est réalisée, suivie d’une évaluation psychologique. Le dossier est ensuite soumis au FCAC pour approbation. En cas de validation, un certificate of validation est remis aux parents, qui deviennent alors éligibles à accueillir un enfant.
Le ministère collabore avec les shelters pour identifier les enfants pouvant être placés. La procédure est longue : le comité siège une fois par mois et certains parents attendent plusieurs mois.
Une fois le certificat délivré, le ministère veille à associer au mieux la demande des parents et les besoins des enfants, en évitant autant que possible de séparer des frères et des sœurs. Certaines familles accueillent même des jumeaux/jumelles.
Le suivi consiste à observer l’adaptation réciproque du parent et de l’enfant. Pour les bébés, l’intégration est généralement plus facile, mais pour les enfants plus grands, un assistant social et un psychologue accompagnent le processus.
Le placement est ensuite validé par la Children’s Court, qui peut ordonner une durée de six mois ou plus. Le suivi est mensuel, puis trimestriel si l’adaptation est jugée satisfaisante.
À ce jour, 100 foster homes accueillent environ 127 enfants. Chaque famille reçoit une allocation de Rs 12 000 par mois, portée à Rs 15 000 pour les enfants à besoins spéciaux. Le ministère effectue des visites régulières et parfois surprises à l’école ou au domicile, afin de s’assurer que l’argent est utilisé pour l’enfant et que son bien-être est garanti.
En cas de difficultés d’adaptation, un accompagnement est proposé. Si la situation ne s’améliore pas, l’enfant peut être retiré du foyer et placé ailleurs ou retourné au shelter.
Les parents biologiques peuvent demander à reprendre leur enfant, mais cette démarche est encadrée par une enquête sociale approfondie et une évaluation psychologique. L’avis de l’enfant est pris en compte lorsqu’il est en âge de comprendre la situation. Certains refusent de rencontrer leurs parents biologiques, notamment lorsqu’ils ressentent un sentiment d’abandon.
« Les enfants qui se trouvent dans les abris méritent de connaître ce qu’est un vrai sentiment familial », insiste Sadhvi Subrun. Elle lance un appel à toute personne souhaitant accueillir un enfant : il suffit de contacter la hotline 187 (ouverte de 9 heures à 16 heures), d’appeler au 489 3081, ou de se rendre directement au bureau du ministère à Phoenix pour rencontrer les assistants sociaux et pour poser des questions.
Un second cas d’abandon de bébé a été signalé. Quelles mesures votre ministère prévoit-il pour renforcer la prévention de tels abandons ?
Il faut d’abord distinguer les deux cas d’abandon. Dans le premier, la mère biologique n’a pas été identifiée, alors que dans le second, elle l’a été. Une enquête policière est en cours, et nos services mènent également une investigation pour comprendre le contexte familial. Si les parents biologiques ne sont pas en mesure de garder l’enfant, nous cherchons d’abord un proche dans leur entourage. Si cela n’aboutit pas, la Cour confie le bébé à une famille d’accueil.
Actuellement, quatre bébés se trouvent à l’hôpital Victoria, Candos. Leurs mères n’ont pas suivi de traitement anténatal et, dans certains cas, présentent des antécédents de toxicomanie. Le personnel hospitalier a préféré ne pas les confier immédiatement aux parents, en attendant des examens médicaux approfondis. Un rapport toxicologique de la mère est nécessaire pour déterminer si elle est apte à s’occuper de l’enfant. Nos services interviennent après cette étape. Nous constatons également que certaines mères refusent de se soumettre aux tests ; dans ce cas, l’enfant reste à l’hôpital sous la supervision des Social Medical Workers.
Existe-t-il des dispositifs d’accompagnement pour les mères en détresse ?
Oui, certainement. Le gouvernement, à travers le Social Register Mauritius et les prestations de la sécurité sociale, vient en aide aux familles dans le besoin. Les mères en détresse doivent s’enregistrer pour en bénéficier.
Au niveau de mon ministère, l’aide n’est pas financière mais prend la forme d’accompagnement et de soutien juridique.
Nous avons également notre programme Parental Circle, qui accompagne les familles en mettant en lumière leurs difficultés et en les aidant à trouver ensemble des solutions. Ce programme favorise une meilleure compréhension entre parents et enfants. L’une des activités consiste à permettre à l’enfant de s’exprimer et de partager ses rêves, afin que le parent puisse mieux l’accompagner vers ses objectifs. Ce programme a rencontré un franc succès dans plusieurs régions, notamment Olivia, Goodlands, Cité-La-Cure et Richelieu.
Comment votre ministère coordonne-t-il ses actions avec les hôpitaux, les ONG et autres institutions ?
Nous ne travaillons pas en silos. Nous collaborons étroitement avec des ONG telles que Passerelle, Gender Links et SOS Femmes. Nous sommes à l’écoute et apportons notre aide là où elle est sollicitée. Nous les soutenons également dans leur plaidoyer. Par exemple, concernant les femmes sans abri, nous préparons un projet commun avec des bailleurs de fonds internationaux.
Notre objectif est le bien-être de la famille. Nous avons une politique de porte ouverte : toutes les propositions sont les bienvenues. Nous invitons ceux qui souhaitent contribuer à améliorer le sort des femmes et des enfants à venir discuter avec nous.
Envisagez-vous une révision du cadre légal afin de mieux protéger les enfants et soutenir les familles vulnérables ?
Cela fait des années que l’on parle de l’Adoption Bill. Certaines familles dépensent des sommes considérables en traitements à l’étranger pour concevoir, souvent sans succès. L’adoption devient alors une option. Aujourd’hui, les adoptions d’enfants mauriciens par des étrangers passent par mon ministère.
Nous avons presque finalisé l’Adoption Bill, qui prévoit la création d’une autorité dédiée à toutes les adoptions à Maurice. Ce sera une avancée majeure pour le pays. Le projet de loi a bien progressé avec le State Law Office. Il reste quelques concertations à mener avec le Bar Council et la Law Society. Nous avons également pris en compte les avis exprimés lors de notre Assise de la famille.
Mon collègue, l’Attorney General, met tout en œuvre pour que l’Adoption Bill soit présenté à l’Assemblée nationale au début de la prochaine session parlementaire, en 2026. Je sais que de nombreuses familles attendent cette législation et je suis convaincue qu’elle changera le cours des choses pour beaucoup d’enfants, en leur offrant une famille aimante et en garantissant leur épanouissement.
Deux cas d’abandon d’enfant en quelques mois. Aneeta Ghoorah, l’Ombudsperson for Children tire la sonnette d’alarme.
« L’abandon d’enfant ne doit jamais être considéré comme un phénomène normal. Un cas est un cas de trop, et voilà qu’un deuxième vient d’être rapporté », note l’Ombudsperson for Children. Elle rappelle que cet acte est punissable par la loi, comme le stipule l’article 15 de la Children’s Act 2020. Pour elle, cette réalité doit interpeller chaque citoyen mauricien. « Comment avons-nous pu en arriver là ? La dérive de notre société nous conduit à abandonner un bébé, un innocent qui vient de naître. »
Aneeta Ghoorah insiste sur la responsabilité collective. « Les jeunes filles qui sont sexuellement actives doivent se protéger. Les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant peuvent se tourner vers la Mauritius Family Planning Association, qui offre des conseils et un accompagnement pour éviter une grossesse non désirée. »
Mais au-delà de la prévention individuelle, elle met en avant la nécessité d’une sensibilisation massive. « L’éducation à la sexualité doit être renforcée dans les collèges, les organismes et par les ONG. » Le bureau de l’Ombudsperson for Children organise déjà des sessions dans les Citizen Advice Bureau, où la grossesse précoce et la sexualité figurent parmi les thèmes prioritaires.
Elle souligne également qu’il faut comprendre les difficultés des mères qui commettent cet acte. « Il y a beaucoup de problèmes autour. Plusieurs organismes doivent intervenir pour aider ces mères, leur expliquer comment obtenir du soutien.
Dr Anjali Boyramboli :
« Personne ne porte un bébé neuf mois pour ensuite s’en séparer par plaisir »
La spécialiste en psychologie, Dr Anjali Boyramboli, avance que derrière chaque abandon d’un enfant, il existe une réalité plus complexe, faite de solitude, de détresse psychologique et de failles sociales. Elle soutient qu’à Maurice, certaines grossesses surviennent dans la peur ou l’ignorance. Des femmes jeunes ignorent encore qu’un stérilet au cuivre peut prévenir une grossesse. Que le ministère de la Santé offre gratuitement contraception et accompagnement psychologique, et qu’une grossesse non désirée peut être anticipée ou évitée. Pour elles, la sexualité n’est pas un choix, mais une contrainte.
Dr Anjali Boyramboli avance que psychologiquement, certaines femmes portent un enfant sans s’y attacher. « Quand la grossesse est vécue comme honte sociale, menace économique, danger familial ou traumatisme, viol, inceste, rejet, l’esprit se protège par une dissociation émotionnelle. Le corps poursuit la gestation, mais le lien ne se crée pas. La maternité devient alors une épreuve silencieuse », explique-t-elle.
Elle ajoute qu’après l’accouchement, parfois tout bascule. Le baby blues, qui touche jusqu’à 70 % des nouvelles mères, provoque pleurs, angoisse et confusion. Plus grave, la dépression post-partum entraîne des idées de fuite, de rejet, d'incapacité à ressentir de l’amour malgré la culpabilité. « L’abandon devient alors un acte de survie, non de cruauté. Il n’est pas toujours un rejet de l’enfant, mais peut-être une tentative désespérée de se sauver. Une femme peut aimer en potentiel, mais être psychiquement incapable de le faire réellement », explique la psychologue. Elle fait ressortir que quand la société ne parle pas assez de contraception, ne détecte pas la détresse mentale postnatale et ne crée pas d’espaces sûrs pour les femmes, l’abandon devient le symptôme visible d’un mal invisible. Selon la psychologue, l’éducation sexuelle doit être accessible à tous les âges, la contraception débarrassée de la honte, la santé mentale maternelle dépistée activement. Informer, avance-t-elle, n’est pas encourager l’irresponsabilité : c’est prévenir la tragédie.
« Un bébé abandonné ne naît jamais d’un seul abandon, mais d’un silence collectif. Ces drames sont des échecs systémiques ; la réponse doit être institutionnelle, familiale et collective. Le ministère de la Santé doit agir en amont, avec dépistage de la détresse mentale, évaluation post-accouchement obligatoire et suivi discret. »
Dr Anjali Boyramboli invite à une politique humaine offrant des points officiels où un bébé peut être confié en sécurité, sans humiliation, avec accompagnement psychologique immédiat. Il peut s'agir d'hôpitaux, de centres de santé, de postes de police formés. « Beaucoup de couples souhaitent adopter, mais beaucoup de femmes ignorent que c’est une option légale. Aucune ne devrait atteindre l’extrême sans avoir vu une porte ouverte. »
Pour elle, protéger les enfants commence toujours par protéger les femmes. « Personne ne porte un enfant neuf mois pour ensuite s’en séparer par plaisir. L’abandon n’est jamais instinctif : il est le produit d’un conflit interne profond, nourri par des pressions extérieures et des traumatismes personnels », ajoute-t-elle.
Martine et Marc (noms d’emprunt) sont parents d’accueil depuis 2017. Leur vie a basculé le 4 décembre de cette année-là, le jour où un petit garçon de deux ans est entré dans leur foyer. Quelques jours plus tard, le 29 décembre 2017, il célébrait son anniversaire, déjà entouré de ceux qui allaient devenir sa famille.
Avant cette rencontre, l’enfant vivait dans un shelter. C’est à la suite d’une campagne d’information et de sensibilisation menée en 2016 pour encourager les familles à devenir parents d’accueil que le couple a décidé de se manifester. Les démarches ont débuté au début de l’année 2017. En juin, le couple rencontre le bébé. Puis a lieu une deuxième visite.
Le 4 décembre, ils l’accueillent au lendemain de leur passage en Cour, sans hésitation, comme une évidence.
À l’époque, l’enfant ne marchait pas encore et ne parlait pas. Le seul mot qu’il prononçait était « aïe ». Un mot de douleur, peut-être, mais aussi le point de départ d’un long chemin. Aujourd’hui, ce petit garçon est devenu un enfant plein de vie, souriant et heureux.
Le choix de Martine et Marc est intimement lié à leur histoire. Après cinq années de vie commune, le couple ne pouvait pas avoir d’enfant. « Nous avions besoin d’avoir un enfant », disent-ils avec sincérité. L’accueil familial devient alors une réponse du cœur.
Très affectueux, le petit aime les câlins et les gestes rassurants. Sa toute première nuit dans son nouveau foyer se passe étonnamment bien. Il s’endort à 21 heures et dort paisiblement jusqu’à 6 h 30, comme s’il se sentait déjà en sécurité.
L’enfant présente un petit handicap, mais pour les parents, cela n’a pas d’importance. Il est aujourd’hui scolarisé dans une école spécialisée et intégrera le Grade 2 en 2026. Bien qu’il approche bientôt de ses dix ans, son âge mental est estimé à cinq ans. Les pédiatres se veulent rassurants : il se développera bien physiquement. Et les progrès sont là. Il parle, se fait comprendre et comprend ce qu’on lui dit. Le garçonnet fréquente un club de scouts et participe aux activités sans difficulté, trouvant sa place parmi les autres enfants. Sa passion du moment, c’est la musique et le chant, qui l’aident à s’exprimer.
Portés par cette expérience, Martine et Marc ont entamé les démarches pour accueillir un deuxième enfant. Ils souhaitent offrir un foyer à un enfant de deux à trois ans plus jeune que celui qui partage aujourd’hui leur quotidien.
Depuis son arrivée, leur maison a changé de rythme et de couleur. Elle est habitée par les rires, les défis du quotidien, mais surtout par une joie profonde. « C’est une expérience formidable à vivre. C’est une joie immense de l’entendre nous appeler maman et papa », confient-ils, la voix chargée d’émotion.
Aujourd’hui, Martine encourage les couples qui ne peuvent pas avoir d’enfant, mais qui souhaitent apporter du bonheur dans la vie d’un enfant, à se faire connaître auprès du ministère. « C’est un changement de vie, une joie qu’on ne peut pas décrire », conclut-elle.
Pour Robin et son épouse, l’arrivée d’une petite fille d’un an a bouleversé leur vie. Entre gratitude et émerveillement, ils partagent une histoire d’amour et de partage. Leur voix résonne aussi comme celle de nombreux parents qui aspirent à offrir un foyer chaleureux à des enfants en attente d’adoption.
Robin, nom d’emprunt, tient à préserver son anonymat afin de protéger également l’identité de la fillette que le couple accueille depuis bientôt un an. « Nous sommes mariés depuis une vingtaine d’années et avons suivi scrupuleusement toutes les étapes imposées. Les démarches ont commencé il y a cinq à six ans auprès du ministère, avant que nous puissions enfin accueillir notre petite fille. Ce n’est qu’au début de 2025 que nous avons reçu le bébé », raconte-t-il.
Il confie que le bébé avait un an : « Son arrivée à la maison a créé une atmosphère chaleureuse. Pour nous, c’est une véritable bénédiction. Elle est désormais un membre à part entière de la famille. La joie que mon épouse et moi ressentons est indescriptible. C’est une bénédiction au quotidien que nous vivons. »
Depuis qu’elle est là, la vie de Robin, de son épouse et de leurs proches a changé pour le meilleur. La petite est devenue la source d’un bonheur partagé, non seulement au sein du foyer, mais aussi chez les grands-parents et auprès de tous ceux qui côtoient la famille.
En tant que parent d’accueil, Robin souhaite que les autorités se penchent sérieusement sur la loi qui encadre l’adoption à Maurice. « Beaucoup de parents ne savent pas vers qui se tourner. Il est temps de simplifier les procédures. Il existe des personnes sincères, prêtes à offrir de l’amour aux enfants qu’elles accueillent… »