
Le Conseil des ministres spécial de ce lundi 16 juin 2025 s’annonce comme un moment de vérité politique pour le gouvernement. Ce rendez-vous ne porte pas seulement sur des ajustements budgétaires. Il porte, en filigrane, sur une reconnexion nécessaire entre l’État et son peuple, dans un contexte où la réforme des pensions a provoqué une onde de choc sociale d’une intensité rare.
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Le gouvernement doit arbitrer entre austérité et empathie, entre équilibre budgétaire et justice humaine, entre cohérence politique et pressions populaires. Il n’est plus seulement question de chiffres. Il s’agit d’un test de lucidité et d’humilité, à l’heure où l’image d’un gouvernement froid et déconnecté menace de s’installer durablement. L’équipe de Navin Ramgoolam semble aujourd’hui en quête d’un atterrissage politique plus doux, voire d’une réparation sociale.
Une dose de ciblage social
Officiellement, le Conseil des ministres est convoqué pour examiner des ajustements budgétaires. Officieusement, c’est pour désamorcer une crise sociale et politique déclenchée par la suppression graduelle de la pension universelle entre 60 et 64 ans.
Plus d’un s’attendent à une copie révisée du Budget 2025-26. Une version amendée, tempérée et réajustée, où pourrait enfin apparaître ce qui manquait cruellement au texte initial : une dose de ciblage social. Notamment pour ces milliers de Mauriciens âgés de 60 à 64 ans brutalement exclus de la pension universelle… même si c’est progressivement !
Depuis cette annonce, le mécontentement a pris une ampleur rare : des syndicats mobilisés, des collectifs citoyens en éveil, des ONG solidaires, une bonne partie de la population en colère et, plus inédit encore, deux députés de la majorité, Khushal Lobine et Ehsan Juman, sortant du rang pour dénoncer une réforme « brutale et déconnectée des réalités sociales ». Ce qui devait incarner une mesure de redressement s’est transformée en symbole d’aveuglement technocratique.
Certaines décisions coûtent cher politiquement, mais encore plus si elles sont différées. Le report de l’âge de la pension universelle à 65 ans, annoncé dans le Budget 2025-26, appartient à cette catégorie de réformes douloureuses, mais devenues inévitables.
Le gouvernement a tranché : fini la pension universelle à 60 ans, place à une nouvelle norme : 65 ans pour tous. Et ce, dans une société où l’espérance de vie atteint désormais 75 ans et où plus de 240 000 Mauriciens sont âgés de plus de 60 ans. Un chiffre appelé à franchir la barre des 300 000 d’ici 2030, selon les projections de Statistics Mauritius.
Réformer oui, brutalement non
Mais il y a réforme… et réforme. Ce que la population retient aujourd’hui, ce n’est pas tant le fond que la forme d’un désengagement brutal, sans filet de sécurité, ni explication humaine. Car si l’universalité des pensions entre 60 et 64 ans est supprimée, que propose-t-on à ces dizaines de milliers de Mauriciens trop âgés pour être recrutés, mais trop jeunes pour toucher leur pension ? À ceux qui ont trimé toute leur vie dans la poussière, la mer ou les machines, mais qui se retrouveront sans revenus, sans reconnaissance, sans recours ?
Le ciblage n’est pas un mot honteux. Il peut, au contraire, devenir l’expression la plus aboutie d’une solidarité intelligente, si – et seulement si – il est fait avec discernement, humanité et précision. Car tout le monde ne vieillit pas pareil à 60 ans.
Il y a ceux qui ont usé leur corps dans des carrières physiques, ceux qui ont peu cotisé en raison de l’économie informelle, les femmes qui se sont sacrifiées pour leur foyer, les personnes en situation de handicap, les isolés sans soutien familial et les travailleurs indépendants invisibles aux radars fiscaux. C’est pour eux qu’un ciblage social bien pensé devient une obligation morale.
Le vrai risque : le vide social
Ne rien faire pour ces 60 à 64 ans dans la précarité, c’est préparer un choc social, une poussée de mendicité déguisée, une démobilisation du travail informel, voire un ressentiment politique profond. Le report de l’âge de la pension n’est pas un mal en soi. Ce qui est insupportable, c’est qu’il soit mis en œuvre sans filet social structuré.
Il ne suffit pas de compter les milliards économisés. Il faut aussi compter les vies fragilisées, les frustrations provoquées, les déséquilibres engendrés. Un gouvernement responsable ne choisit pas entre justice sociale et équilibre budgétaire. Il cherche le juste équilibre.
La réforme des pensions peut devenir une réussite si elle se transforme en un projet national de justice intergénérationnelle. Sinon, elle restera dans les mémoires comme l’année où la solidarité a été repoussée à 65 ans, et l’indifférence avancée à 60.
Ce lundi 16 juin, le gouvernement a une chance : celle de reprendre la main, non par autorité, mais par lucidité et humilité. En reconnaissant que gouverner, ce n’est pas simplement équilibrer des chiffres. C’est arbitrer avec justice, dans la contrainte, et surtout réaffirmer que l’État n’abandonne jamais les siens.
Car c’est bien cela qui est en jeu : l’avenir d’un pacte social mauricien fondé sur la solidarité, l’équité et la décence commune. Et ce pacte-là ne se chiffre pas. Il se mérite.

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