Que ressent-on quand, après avoir consacré la moitié de sa vie à une entreprise qui a rapporté, on se retrouve sur le pavé, forcé à tout recommencer à zéro ? Jaimungalsingh, 50 ans, était directeur et manager de l’entreprise familiale. On l’a démis de ses fonctions, sans lui donner un sou. Récit.
C’est en Form III que Jaimungalsingh M., surnommé Jai, abandonne ses études au Nelson College de Saint-Pierre. Il rejoint son père, Keshore Parsad M., dans son garage de mécanicien à Le Hochet, Terre-Rouge. Il travaillera aux côtés de son paternel durant une quinzaine d’années jusqu’au décès de celui-ci en 1992.
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De son vivant, le père avait acheté un bus. Les passagers voyageant sur la ligne 21 (Port-Louis – Goodlands), se souviendront peut-être du véhicule immatriculé CK 906.
Après la disparition de son père, Jaimungalsingh, son fidèle bras droit, décide d’agrandir le business familial en achetant un bus neuf, un Isuzu immatriculé 5122 Nov 00. Toutefois, ce n’est pas lui qui tient les cordons de la bourse.
« Mon père me manquait beaucoup. Je compensais cela en me dévouant corps et âme à l’entreprise familiale. Je prenais soin de son héritage. Je partageais équitablement les bénéfices entre sa veuve, ma maman, et les quatre héritiers dont j’étais l’aîné. Je m’occupais de l’entretien des véhicules, je me faisais à l’occasion chauffeur ou receveur de bus, quand un employé s’absentait. À la fin de la journée, toutes les recettes étaient versées dans une caisse que je ne contrôlais pas », relate Jai.
En 1996, Jai quitte Moka, son lieu de naissance, pour s’installer à Bonair Road, Morcellement Saint-André, où l’un de ses frères, le cadet, possède une maison. En 1998, il se marie avec Vimmie. Le couple aura deux enfants, un fils âgé de 20 ans et une fille âgée de 14 ans aujourd’hui.
Disputes financières
Tout marche bien jusqu’à ce que des disputes éclatent entre les frères, concernant les finances du business. Si Jai s’occupe de l’entretien du bus, collecte la recette de la journée et s’occupe de la paye des employés, il ne contrôle absolument pas les profits.
Les disputes deviennent fréquentes entre Jai et le frère qui contrôle les finances. La situation s’envenime. Il y a un an et demi, un huissier vient servir une notice qui mettra Jai sur le pavé. « La mise en demeure me signifiait que je n’étais plus directeur et manager de l’entreprise familiale. On m’a chassé du business, du bus et même de la maison que j’occupais avec ma famille. Il ne me restait plus rien », raconte Jai.
Licenciement brutal
Après plus de vingt ans de bons et loyaux services, Jai est licencié. Il ne reçoit pas un sou de compensation. Il rapporte le cas au Bureau du travail et l’affaire est logée en cour industrielle. Une troisième audience a lieu le jeudi 28 février. L’affaire a été renvoyée au 15 mars prochain.
L’épouse de Jai ne cache pas sa peine en voyant ce qui arrive à son mari. « Il s’est donné corps et âme pour que l’entreprise familiale fonctionne correctement. Quand il y avait un problème mécanique, il passait des heures sous le bus pour réparer la faute. J’étais son assistante, je me glissais à ses côtés pour lui passer les outils. Parfois, nous terminions très tard. Plusieurs fois, nous étions si exténués que nous partions nous coucher sans dîner correctement », raconte Vimmie.
« Quand il fallait nettoyer et laver le bus, ce sont mon mari et moi qui le faisions. Personne ne nous donnait un coup de main pour cette tâche ingrate. On ne passait que pour recueillir la recette de la journée », ajoute-t-elle. « Aujourd’hui, est-ce là la récompense donnée à mon mari pour tout son dévouement ? » s’insurge-t-elle.
Le couple ne comprend pas comment l’autre titulaire a pu retirer tout l’argent sur le compte bancaire.
L’épouse raconte aussi comment un jour son mari a risqué sa vie, le 28 juin 2015. « Une vive altercation a éclaté entre Jai et le chauffeur. Ce dernier lui a assené un coup de sabre. Jai s’est protégé en présentant son bras gauche. Voyez donc la grosse cicatrice qu’il porte depuis. Au lieu de compatir à son malheur, ses frères lui ont dit qu’il aurait mieux fait de mourir », ajoute Vimmie.
Aujourd’hui, pour subvenir aux besoins de sa famille, Jai a pris de l’emploi comme gardien de sécurité. Il loue une maison qu’il devra malheureusement quitter en mai. Le loyer est de Rs 7 000, somme qu’il peine à trouver chaque mois.
Drôle de compte
Sa femme ne peut cacher son inquiétude. Elle veut acheter une maison pour ne pas devoir déménager régulièrement. Mais où trouver l’argent nécessaire ? À moins d’obtenir un emprunt…
« Outre d’avoir tout perdu, l’autre grand choc pour mon mari et moi, c’est de découvrir qu’il ne restait que… Rs 68 sur son compte. Tous les revenus qu’il touchait étaient versés sur ce compte commun depuis des années. Après avoir été démis de ses fonctions, il est parti à la banque pour récupérer sa part d’économie. Ce fut comme un tremblement de terre : il ne restait plus rien ! », fulmine Vimmie, en larmes. Aujourd’hui, le couple ne comprend pas comment l’autre titulaire a pu retirer tout cet argent sans la signature de Jai…
« Quand je vois aujourd’hui le bus familial traverser, j’ai des larmes aux yeux, confie Vimmie. C’est grâce au dévouement, aux sacrifices, de mon mari que l’entreprise et ses proches ont gagné des millions. Mon mari, lui, n’a pas le moindre sou ». Jai rappelle que le deuxième bus acheté par la famille avait coûté Rs 1 380 000. Cette somme a été remboursé dans les cinq ans. « Ce business représentait l’héritage de mon père. J’ai tenu à le faire prospérer. Soudain, je suis devenu le canard boîteux et on m’a chassé… », conclut-il.
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