De nombreux Mauriciens se plaignent de l’indisponibilité de certains médicaments, notamment ceux contre l’hypertension ou le diabète ; pour prévenir ou traiter les pathologies cardiovasculaires ou encore des médicaments pédiatriques. Le Défi Quotidien se penche sur cette situation qui inquiète la population. Pharmaciens et importateurs font également part de leur constat de la situation par rapport au manque de certains médicaments sur les étagères des officines.
Présentant des comorbidités, Sanita Beetasur, une habitante de Triolet de 54 ans, est tombée des nues lorsqu’elle est partie se ravitailler en médicaments pour le prochain mois à la pharmacie de sa localité. Elle a été particulièrement interpellée par la pénurie de plusieurs médicaments qu’elle utilise régulièrement pour son traitement.
La quinquagénaire ne cache pas son inquiétude face aux conséquences que ce manque de médicaments pourrait engendrer sur sa santé. « Je suis diabétique, mais je prends également des médicaments tous les jours pour traiter mon cholestérol et mon hypertension, entre autres. Ces médicaments sont essentiels pour contrôler mes comorbidités au quotidien.
Depuis la pandémie, c’est le même refrain : retard dans la livraison. En raison de cette situation, il m’est déjà arrivé de rester 10 jours sans comprimés contre le diabète, sachant que ce déséquilibre dans le traitement peut être dangereux pour le patient. J’ai peur que ça ne se reproduise avec des agitations et un diabète devenu incontrôlable », lâche-t-elle.
Sentiment partagé par Vidyanand Ramchurn, 69 ans de Saint-Paul. Il confie que son traitement pour les maladies cardiovasculaires a été perturbé par l’irrégularité dans la disponibilité du Clopidogrel, qui est un médicament antiplaquettaire utilisé pour réduire le risque de troubles cardiaques et d’accidents vasculaires cérébraux chez les personnes à haut risque. « La prise quotidienne de ce médicament en particulier est très importante.
Auparavant, quand j’allais au rendez-vous au dispensaire, j’en recevais pour six mois. Chaque mois, le médecin me dit qu’ils n’ont pas reçu de nouveau stock. Idem pour l’Astorvastatine utilisé pour traiter le cholestérol. Ce manque de médicaments, surtout lorsqu’il s’agit des traitements liés aux comorbidités s’avère problématique ».
Indira Chand confirme ce manque de certains médicaments dans les pharmacies. Elle fait également part d’un stock limité pour des médicaments comme le Doliprane. « J’étais surprise d’apprendre que des médicaments, comme le Sargenor, n’étaient pas disponibles sur le marché en ce moment. On m’a recommandé des substituts. Cependant, j’étais réticente car je m’étais habituée avec cette marque d’ampoule au fil du temps.
Le Doliprane était également en rupture de stock la semaine dernière. Aujourd’hui, je suis venue me ravitailler, car c’est un indispensable de mon armoire à pharmacie. J’ai aussi appris que le Doliprane était disponible, mais en quantité limitée », ajoute-t-elle.
Premnath Rosunee, président de l’association des pharmaciens : « La situation n’est pas alarmante »
Est-ce que la pénurie de certains médicaments est alarmante ?
Nous avons certes fait face à quelques ruptures momentanées. Il y a certains problèmes au niveau de l’importation. Cependant, c’est un problème que nous avons déjà rencontré, avant la COVID-19. La situation n’est point alarmante, car nous avons des médicaments génériques.
Comment le secteur pharmaceutique sera-t-il affecté par la révision de la marge de profit fixe de 35 % sur plusieurs médicaments ?
Nous serons directement touchés compte tenu du fait que nous travaillons déjà sur une marge de profit très minime. D’une manière ou d’une autre, cela affectera notre secteur, notre gagne-pain avec le risque de mettre la clé sous le paillasson. Cependant, lors des discussions avec le gouvernement, nous avons proposé des avenues où les médicaments pouvaient se vendre à des prix abordables, en promouvant une ouverture aux médicaments génériques.
Il faut éduquer la population sur l’option des médicaments génériques qui coûtent moins cher. Ceux qui veulent avoir recours aux soins dans le public peuvent y avoir droit, sachant que la qualité des médicaments fournis dans le secteur de santé public s’est améliorée au fil des années. Dans le public, c’est gratuit, mais le privé non. Mais ce n’est pas en diminuant la marge de profit que le prix des médicaments connaîtra une baisse.
Que proposez-vous afin d’avoir une win-win situation ?
Pour contrôler le prix des médicaments, il faut absolument que le gouvernement ait un droit de regard sur leur coût à l’origine et, qu’il laisse la place à l’importation parallèle afin de proposer des prix plus compétitifs. On a vu et revu la baisse de la marge de profit, mais cela n’a jamais été efficace lorsqu’il s’agit de la baisse des prix sur les médicaments. Si ce n’est que temporairement. Le droit de regard oblige l’importateur à garder un prix stable d’importation pendant une période spécifique. En sus, il faut encourager des accords bilatéraux où on pourra réguler les prix.
Fervex, Doliprane, Panadol et Voltaren accuseront une baisse de prix
Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, l’avait annoncé, le mardi 26 avril, lors de la Private Notice Question. Le ministère du Commerce et de la Protection des consommateurs travaille sur la compilation d’une liste de médicaments en vente libre qui seront sujets à une révision de la marge de profit fixe de 35 %. Cela, suite à un rapport la Competition Commission publié en juin dernier faisant état des faiblesses de ce mécanisme concernant la marge fixe appliquée, sans prendre en compte la valeur du produit. Cela expliquerait pourquoi des médicaments coûtent plus cher à Maurice.
À savoir que cette marge de profit des importateurs et pharmaciens sera revue à la baisse sur 15 médicaments très demandés. On annonce que le Fervex, le Doliprane, le Panadol et le Voltaren en feront partie. Par ailleurs, le Regressive Mark-up, l’importation parallèle et la promotion des médicaments génériques sont en train d’être étudiés par le gouvernement.
L’importation parallèle et l’usage des produits génériques comme solutions
Face à la pénurie de certains médicaments sur le marché, des « solutions » sont possibles pour atténuer le problème, selon certains pharmaciens. La balle est dans le camp des autorités qui doivent légiférer à ce propos.
Annuler l’International Property Rights (IPR) afin de permettre à d’autres importateurs de faire venir les mêmes médicaments d’un autre pays fournisseur. C’est une des solutions qui peuvent aider à atténuer la pénurie de certains produits sur le marché. Tel est l’avis de plusieurs pharmaciens. « L’élimination de l’IPR va ouvrir la voie à l’importation parallèle. Un importateur pourra ainsi faire venir les produits d’un même laboratoire en provenance d’un autre pays que celui du représentant agréé », dit Ravind Gaya, pharmacien consultant.
Un autre pharmacien et un importateur, qui n’ont pas souhaité être cités, abondent dans le même sens. La libéralisation de l’importation des produits pharmaceutiques va non seulement résoudre le problème de pénurie, mais aussi contribuer à faire baisser les prix, affirme le premier. « Avec l’ouverture des importations, divers importateurs pourront faire venir les mêmes produits de divers marchés où les produits peuvent être moins chers », dit-il. Cette démarche doit cependant avoir l’aval du ministère de la Santé qui a gelé le dossier pour le moment afin de respecter le droit de propriété intellectuelle auquel le pays est signataire.
La solution est aussi dans l’usage de produits génériques, dont certains ne sont pas très friands, selon les intervenants. Ravind Gaya suggère ainsi l’éducation des membres du public afin qu’ils adhèrent à ces produits qui sont aussi efficaces que les médicaments originaux, selon lui. « Il faut un changement de mentalités pour que les médicaments génériques puissent davantage être acceptés. Mais il y a encore des consommateurs qui préfèrent les médicaments auxquels ils sont habitués », soutient-il.
Alors que la pénurie de certains médicaments est devenue récurrente, le pharmacien (qui n’a pas souhaité être cité) souligne qu’il faut faire une analyse de la situation pour en connaître les vraies raisons. « Cela peut être dû au coût du fret, qui freine certains importateurs, mais il y a aussi le fait que certains pays ont des restrictions. Ils ne peuvent exporter certains médicaments et les gardent pour leurs marchés », affirme-t-il. Dans d’autres cas, c’est un manque d’ingrédients actifs qui retarde la fabrication de certains médicaments qui sont, de ce fait, pas ou moins disponibles. Nous avons vainement essayé d’avoir le point de vue du ministère de la Santé. Nos sollicitations n’ont pas abouti.
Entre optimisme et crainte
Pharmaciens et importateurs ne cachent pas qu’il y a des ruptures de stock sporadiques. Si certains se veulent plus rassurants en disant que cette situation ne va pas durer avec des cargaisons qui arrivent petit à petit, d’autres sont inquiets par ces ruptures et par le manque de visibilité dans le secteur.
Siddique Khodabocus, président des petits et moyens importateurs, fait, lui, partie des optimistes. Il explique cette rupture actuelle par le retard dans la livraison de cargaisons. « Récemment, nous avons connu une rupture de stock, surtout d’antibiotiques et de sirops contre la fièvre pour les enfants, mais petit à petit, la situation s’améliore », assure-t-il.
Il ajoute que la dépréciation de la roupie par rapport au dollar contribue aussi à cette perturbation sur le marché pharmaceutique. « Outre la hausse drastique du coût du fret, les cargaisons ne sont pas disponibles des fois. Cela explique les ruptures sporadiques et la hausse des prix de médicaments. Cependant, 90 % des médicaments ont des génériques que nous proposons aux patients dans des cas de pandémie, de rupture ou selon le budget du malade. À notre niveau, nous faisons de notre mieux pour que les patients ne soient pas pénalisés », assure-t-il.
Sanjeev Purmanand, de Pharmacie La Paix, quant à lui, estime que l’évidente rupture de stock des médicaments pédiatriques peut s’avérer problématique. « On a remarqué que les antibiotiques pour enfants sont en manque sur le marché. C’est également le cas dans le public, car on reçoit des parents, qui sortent de l’hôpital et qui viennent dans le privé pour s’en procurer. Cependant, nous n’en avons pas depuis un certain temps. Les pays producteurs ont eux-mêmes des stocks d’exportation limités, car la plupart s’écoulent sur leurs propres marchés dans ce contexte lié à la pandémie. De ce fait, nous recevons un stock limité. La hausse du coût de fret n’arrange pas les choses non plus ».
Et d’ajouter que c’est également le cas pour d’autres médicaments très demandés comme le Maxilase pour les maux de gorge et les sirops contre la toux, entre autres. « Nous avons des génériques pour la plupart des médicaments, ce stock sera vendu en à peine 10 jours. L’Adderall, généralement prescrit par les psychiatres, est en rupture de stock depuis trois mois. À savoir, que c’est un médicament très important pour les troubles psychiatriques. Le manque peut chambouler le traitement d’un patient ».
Nhavy Beeharry, directeur de pharmacie, rejoint les propos de Sanjeev Purmanand : « La Chine est l’un des plus grands fournisseurs de principes actifs pharmaceutiques (API) et les restrictions imposées par la COVID-19 ont entraîné des perturbations dans les usines. Par conséquent, cela affectera la fabrication. Maurice connaît actuellement des temps très difficiles en raison de la dévaluation de la roupie mauricienne. Même si les prix en dollar américain sont restés les mêmes, on constate une augmentation des prix lorsqu’ils sont convertis en roupie. Malgré ces obstacles, les pharmaciens grossistes et leur équipe travaillent sur différentes stratégies, par exemple en passant des commandes des mois à l’avance afin de pouvoir répondre aux demandes », fait-il ressortir.
Cependant, il doit être souligné qu’avec l’énorme demande de certains produits pharmaceutiques dans le monde, les besoins de notre marché local peuvent à peine être satisfaits. « En ce qui concerne les pharmaciens d’officine, la gestion des stocks est un casse-tête, car de nombreux produits ne sont pas disponibles pour les raisons mentionnées, avec l’augmentation des prix, il faut davantage de capital et la baisse des ventes rend les choses encore plus compliquées. Cependant, en tant que pharmaciens, nous faisons toujours tous des efforts pour trouver une solution et avec la collaboration des médecins et des patients, une solution peut toujours être trouvée. »
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