Interview

Daniel Essoo, Chief Executive Officer de la Mauritius Bankers Association : «Que ce budget vienne consolider notre stabilité bancaire»

Daniel Essoo

Le système bancaire est très règlementé. Sa contribution aux caisses de l’État est conséquente. Le pays reste sous l’influence des manœuvres sur le plan mondial. Une consolidation de nos assises et un équilibre dans le Budget 2019/2020 sont attendus.

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Le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, présente le dernier budget de ce gouvernement. Pouvez-vous situer l’environnement économique et les enjeux ?
Le climat actuel est intéressant. Sur le plan international, nous sommes dans un contexte de faible taux d’intérêt et d’incertitude – avec le Brexit et les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. Pourtant, dans son dernier Economic Outlook en avril 2019, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance moyenne globale de 3,3 % (1,8 % pour les économies développées). Maurice connaît depuis plusieurs années une croissance au-dessus de la moyenne globale. Selon le FMI nous nous dirigeons vers une croissance d’environ 4 % pour les prochaines années. Notre ambition est d’atteindre une expansion annuelle 5 %.

Il s’agira dans ce budget, de trouver un équilibre entre des mesures avec un impact social bénéfique et les mesures favorisant la croissance économique, tout en gérant le niveau de la dette publique.

Quelle est la contribution du secteur bancaire au Produit intérieur brut mauricien ? Le point – si possible – sur son poids dans la vie au quotidien et les services financiers ?
Notre Produit intérieur brut (PIB) est composé de plusieurs industries, sous-divisées en secteurs. L’industrie des services financiers compte pour environ 11,5 % du PIB. Le secteur bancaire, à lui seul, compte pour 7,2 %– presque 8 % si on inclut l’activité leasing. De ce point de vue, le secteur bancaire est le deuxième secteur de l’économie, après le commerce. Les prévisions de croissance pour le secteur sont de 5,5 %, supérieures à la moyenne nationale.

Au-delà les chiffres, le secteur bancaire est au cœur même de l’activité économique du pays. Le taux de bancarisation est de plus de 90 %, de loin le plus élevé d’Afrique. Cela signifie que les banques servent la population dans sa quasi-totalité. Nous avons de la chance, à Maurice, d’avoir un secteur bancaire stable. Les banques mauriciennes sont extrêmement bien capitalisées et gérées de façon prudente. D’ailleurs, durant la crise financière de 2008, les banques mauriciennes n’ont pas connu les difficultés constatées ailleurs.

Cette approche prudente expose parfois les banques à des critiques, notamment pour le financement des petites et moyennes entreprises (PME). Mais les banques sont justement obligées de respecter les règles relatives au risque et de protéger l’argent des déposants – ce qui fait que quelquefois, malgré les meilleures intentions, certains projets ne peuvent être financés. Malgré cela, les banques dépassent chaque année leurs objectifs pour ce qui est du financement des PME, ce qui démontre leur engagement à soutenir les nouvelles entreprises.

La profitabilité des banques est sujette à diverses interprétations. Est-ce que cette profitabilité est taxée de manière différente ? Comment ?
Nous avons de la chance, pour un pays de la taille de Maurice, d’avoir un secteur bancaire solide et profitable. Cette profitabilité envoie un signal fort aux investisseurs et aide à attirer des groupes bancaires de renom. En fait, toute l’économie bénéficie de cette profitabilité - les banques contribueraient environ un quart de l’impôt des sociétés, étant ainsi le principal contribuable du pays. Cette contribution aide à financer nos écoles, nos hôpitaux et nos services publics. Plus les profits sont importants, plus l’État y gagne – c’est une win-win situation.

Le secteur bancaire est le deuxième secteur de l’économie, après le commerce. Les prévisions de croissance pour le secteur sont de 5,5 %, supérieures à la moyenne nationale.»

Les règlementations concernant la fiscalité des banques ont récemment dû être amendées. En 2017, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont un des rôles est de veiller à la stabilité fiscale internationale, a demandé à Maurice de modifier son cadre fiscal pour enlever un élément, le Deemed Foreign Tax Credit. Nous tenons à saluer l’impressionnant travail du ministère des Finances et de la Mauritius Revenue Authority, qui ont rapidement conçu le système de Partial Exemption.

Ce système a été introduit dans le budget précédent. Comme dans beaucoup de pays, il existe maintenant à Maurice un régime fiscal propre aux banques. En plus de la Corporate Income Tax, les banques sont aussi sujettes à une Special Levy. La nouvelle formule conçue par le gouvernement s’assure que l’État ne perd pas en termes de revenus fiscaux des banques – au contraire, l’ardoise fiscale pour les banques en 2019 sera plus élevée que pour 2018.

En tant que colonne vertébrale de l’économie, quelles sont vos attentes de ce présent budget ?
Nous espérons que ce budget viendra consolider la stabilité et la croissance pour notre secteur. Nous attendons la suite de la réforme fiscale entamée l’année dernière. Autrement, une des priorités pour notre secteur concerne les ressources humaines : former et/ou attirer puis retenir les compétences de pointe et des spécialistes. Troisièmement, à la suite publication du Financial Services Blueprint l’année dernière, un important travail de réflexion stratégique a été réalisé par de nombreux comités privé-public sur le développement des services financiers. Nous attendons de voir quelles recommandations le gouvernement a choisi d’adopter – surtout en ce qui concerne notre ouverture sur l’Afrique.

Les frais et commissions sont au cœur des débats quand on parle des banques. Du point de vue bancaire, est-ce que ces critiques sont justifiées ?
C’est une question intéressante. Effectivement, on se plaint souvent des frais bancaires, mais on accepte qu’il y a des frais pour d’autres services – téléphone, Internet, électricité, assurances. Et les frais à Maurice ne sont pas aussi chers que dans beaucoup de pays. Le secteur bancaire est le plus réglementé au monde et maintenir des succursales, des systèmes informatiques complexes, des systèmes de sécurité, la prévention de la criminalité financière, les réserves obligatoires coûtent extrêmement cher. Et c’est ce qui assure la sécurité des dépôts des clients et leur offre un bon service, dont la possibilité de gérer leur argent de manière flexible et efficace. Les nouvelles technologies aident à réduire les coûts.

En même temps, Maurice est desservi par vingt banques. Le client peut comparer les prix en transparence, négocier et choisir. Depuis quelque temps, nous avons un Ombudsperson for Financial Services, qui vient offrir davantage de protection au consommateur.

Maurice ambitionne de se présenter comme un centre financier de référence pour l’Afrique. Est-ce que nous y sommes déjà ? Quels sont les défis auxquels nous faisons face, les écueils à éviter ?
Oui, nous le sommes déjà depuis de nombreuses années ! Il y a une douzaine d’années, je travaillais déjà sur les investissements vers l’Afrique, et le pays était déjà, à l’époque, une des meilleures bases d’opérations régionales pour de nombreux fonds d’investissements et sociétés multinationales.

Aujourd’hui, nous sommes premiers en Afrique pour la gouvernance et la facilitation des affaires. Cependant, il nous reste du chemin à faire. L’Afrique connaît un essor sans précédent, et d’autres centres financiers émergent et se développent à un rythme soutenu. Nous devons travailler très dur pour maintenir notre position.

Dans l’équation Maurice-Afrique, ne négligerait-on pas l’Inde ?
Pas du tout. L’Inde compte pour la majeure partie de notre activité Global Business. De nombreuses sociétés continuent à développer notre activité avec l’Inde. L’essor économique de l’Inde durant ces 30 dernières années a équipé les professionnels mauriciens à participer à l’émergence africaine.

Dans l’ensemble, comment se présente l’avenir ?
Le secteur bancaire est un des fleurons de notre économie et l’un de ses piliers. Avec de la stabilité et une stratégie de croissance claire, nous pouvons grandir davantage et contribuer au développement de la société mauricienne.

 

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