Interview

Dan Maraye: «La confidentialité ne doit pas être utilisée pour cacher des transactions douteuses»

Dan Maraye
Vishnu Lutchmeenaraidoo peut faire une demande pour un prêt comme n’importe quel autre client d’une banque. Or, c’est au comité de la SBM de décider d’octroyer ou pas l’emprunt, souligne Dan Maraye. C’est dorénavant le Premier ministre sir Anerood Jugnauth qui s’occupera du portefeuille des Finances alors que Vishnu Lutchmeenaraidoo se chargera du ministère des Affaires étrangères. Quelle est votre réaction à la suite de ces décisions majeures ? La seule bonne chose que je retiens, c’est que le Premier ministre a pris la MBC et l’ICTA sous son contrôle. D’autre part, si l’ancien ministre des Finances a demandé d’être relevé de ses fonctions, dites-vous bien que les Affaires étrangères est un ministère tout aussi lourd. Il y a beaucoup de doutes qui doivent être dissipées. Le fait est que le vers est déjà dans le fruit. Attendons voir ! Malheureusement pour le pays, le flou persiste. Cela aurait été dans l’intérêt du pays de procéder à un remaniement ministériel plus profond. Quel regard jetez-vous sur la polémique autour de Vishnu Lutchmeenaraidoo, son absence ces derniers jours au Conseil des ministres, sa non-présence à son bureau, le prêt qu’il a obtenu auprès de la SBM ? D’abord, au sujet de l’absence de l’ancien ministre des Finances, tout ce qu’on sait c’est qu’il était en congé maladie. En tant que ministre, on doit croire à sa parole puisqu’un ministre de la République a le devoir d’être honnête. S’agissant du prêt, on se pose certaines questions. Il faut, toutefois, savoir qu’en tant que client de la banque, le ministre peut faire une demande pour un prêt comme n’importe quel autre client. Toutefois, en tant que client ‘private banking’ de la banque, très peu de personnes peuvent avoir accès à ses comptes. On se demande aussi qui sont les membres du ‘risk committee’ qui ont évalué la demande du ministre et donné leur approbation. C’est à ces membres qu’il incombe la responsabilité d’octroyer ou pas le prêt. C’est une question de « pure accountability ». Est-ce qu’ils ont pris en considération le mode de repaiement du client en fonction de ses revenus ? Pourquoi un emprunt en euro et pas en roupie mauricienne ? Il faut faire ressortir que le taux de 1,5 % est tout à fait normal pour un emprunt en euro ou en dollar. Si le ministre a pris un prêt en euro et qu’il le convertisse en roupies, il peut y avoir quelque chose qui cloche. D’autre part, nous savons que la valeur de l’euro va dégringoler. Si c’est le cas, le ministre sera doublement gagnant, que ce soit au niveau du taux d’intérêt et du taux d’échange. Autre question : on se demande si l’investissement n’a pas été financé à 100 % par la banque. Espérons que l’investissement n’a pas été financé à 100 % que par le prêt bancaire ! Selon vous, la question fondamentale à se poser est : qui sont les membres du comité de la SBM qui ont approuvé ce prêt. Pourquoi ? Toute institution financière a un comité  pour évaluer des demandes d’emprunts dépendant du montant concerné. Ce comité devrait aussi prendre en considération les sections 28 et 29 de la ‘Banking Act’ de 2004, qui parlent de limitation ‘on advances or credits’  et de limitation ‘on concentration of risk’, donc la responsabilité en grande partie revient aux membres de ce comité qui avalisent les emprunts. [blockquote] « Les banques devraient, à mon avis, nommer les personnes/entités et les montants des prêts qui ont été ‘written off’ quand elles publient leurs bilans financiers. » [/blockquote] Revenons au prêt accordé à Vishnu Lutchmeenaraidoo à un taux de 1,5 % sur une période de deux ans. Est-ce selon vous une transaction tout à fait normale ? Heureusement que personne ne parle de trafic d’influence. Toutefois, je ne peux m’empêcher de me demander si la banque aurait approuvé un tel prêt à une personne de 65 ans qui a des rentes autour de Rs 300 000 et des actifs autour de Rs 40 millions. Si la réponse est oui et si la personne peut bénéficier des mêmes facilités qui ont été accordés au ministre, il n’y a alors aucun problème. Toutefois, ce qui me chiffonne dans cette affaire, ce qu’il paraît que l’hypothèque n’a pas été enregistrée. Justement, que pensez-vous du fait qu’un tel prêt ait été accordé sans que la State Bank n’enregistre l’hypothèque ? Cela nous fait poser plein de questions. Pourquoi pour un emprunt de cette envergure, l’hypothèque n’a pas été enregistrée ? Qu’est-ce qui se passe si la personne dispose de ses biens ? Certains avancent que ce n’est pas requis, car le prêt n’est que pour une période de deux ans. Je ne suis pas d’accord. C’est une question de sécurité pour la banque.  Vishnu Lutchmeenaraidoo affirme qu’il avait donné sa maison comme garantie. Vishnu Lutchmeenaraidoo envisage de poursuivre la SBM pour avoir divulgué les informations sur le prêt qu’il a contracté. Sa démarche est-elle justifiée et dans quelle mesure cette fuite constitue-t-elle une infraction aux lois bancaires ? La question de confidentialité est traitée sous la section 64 de la Banking Act de 2004. Tout client  honnête a le droit de se défendre en se servant de cette section. Tout comme tout directeur ou ‘Senior Officer’ doit prêter serment de confidentialité avant qu’il ait accès aux données d’une banque. Toutefois, la question de confidentialité ne doit pas être utilisée pour cacher des transactions douteuses. Si on parle de transparence, les banques devraient, à mon avis, nommer les personnes/entités et les montants des prêts qui ont été ‘written off’ quand elles publient leurs bilans financiers. La Banque de Maurice compte d’ailleurs ouvrir une enquête pour déterminer d’où vient la fuite… C’est le devoir de la Banque Centrale d’agir ainsi. Mieux vaut tard que jamais ! Cette affaire peut-elle avoir un impact sur la communauté des affaires quand on sait que les banques se montrent souvent très strictes exigeant moult garanties avant d’approuver une demande de prêt aux entrepreneurs ? Tout le problème de ce prêt tourne autour de votre question. Si nous voulons promouvoir les PME ou aider les pauvres à faire un pas un avant pour une vie meilleure, pourquoi on pose tant de questions et on cherche tant de sécurités vis-à-vis des gens honnêtes pour des prêts de moins de Rs 100 000. C’est tout l’aspect social et politique de cette affaire. Il est clair que l’Opposition va exploiter cette affaire, qui est un embarras certain pour le gouvernement. Il faut s’attendre à ce que les Mauriciens perdent confiance en des politiciens. Dans le secteur privé, l’incertitude refait surface avec toute cette affaire. Doit-on craindre que la confiance soit entamée de nouveau ? Depuis que le gouvernement Lepep est au pouvoir, on a eu une première année marquée par l’affaire Ramgoolam, celle de Soornack et de la Mauritius Duty Free Paradise, l’affaire BAI. Il y a eu aussi les gaffes de certains ministres à propos du traité de non-double imposition avec l’Inde sans oublier l’affaire Gooljaury. What’s next ? C’est la question qu’on se pose.
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