Dans un monde où chacun est en quête de sens et de réconfort, la religion s’érige souvent en refuge pour les âmes tourmentées. Mais au croisement de la foi et de l’argent, les promesses de guérison divine s’accompagnent parfois de cruelles désillusions. Si certains religieux, qui se font appeler « guérisseurs », prétendent ne pas accepter d’argent, d’autres, en revanche, en réclament, voire en exigent. Enquête sur un phénomène qui prend de l'ampleur.
Verdun, 7 heures du matin. Le temps est glacial. Une file indienne composée d’une dizaine de personnes est déjà devant le Kali Mata Mandir de la région. Ces gens attendent impatiemment le « guruji ». Cet homme, de son vrai nom Madhookar Ramnarain, est une véritable célébrité sur TikTok. Il est celui qui officiera la session de prière, qui débute peu après 8 heures et qui dure une heure et trente minutes, jusqu’à environ 10 heures. Ce n’est qu’après cette session que commencera l’apposition des mains.
« C’est la première fois que je viens ici. Je suis venu au nom de ma belle-sœur qui est malade. Je tente ma chance. Les médecins ne savent pas ce qu’elle a. Les examens sanguins sont pourtant excellents. Ils ignorent ce qu'elle a. Elle est aux soins intensifs à la clinique », explique un homme souhaitant rester anonyme. Êtes-vous convaincu de la guérison de votre belle-sœur ? « Tout dépendra de Dieu », rétorque-t-il. Il confie toutefois avoir découvert le yogi Madhookar Ramnarain grâce à TikTok.
Nous rencontrons ensuite une habitante de l’Ouest, venue pour la première fois, accompagnée de ses parents. « Ils m’ont demandé de les amener. Ma mère a une grosseur dans son ventre. Elle veut tenter de se faire guérir ici avant d’aller à l’hôpital. Nous sommes venus voir ce qu’il en est », explique-t-elle.
Quid du montant réclamé par le « guruji » pour cette session de guérison ? « Je vous assure. La session est gratuite. Qui plus est, la prière se déroule dans un temple. Après, nous croyons en Mama Kali. Guruji a dit de ne rien amener, juste de venir avec notre foi. C’est Mama Kali qui guérit », ajoute-t-elle. Selon la mère de famille, la clinique aurait réclamé Rs 350 000 pour l’opération, une somme que la famille ne possède pas.
Jean-Noël est, lui aussi, venu au temple de Verdun dans un but précis : sauver sa fille Christina, âgée de 15 ans, qu’il dit possédée. « Je ne dors plus et je ne trouve pas le sommeil depuis deux ou trois jours. On dirait qu’un esprit est en elle. Elle peut voir des gens sous les arbres. On ne sait pas ce qui a pu arriver. Nous pensons que quelqu’un lui a jeté un sort », avance le père de famille.
Possession
Ma fille, avoue-t-il, était très studieuse au collège et ramenait de bons résultats à la maison. « Mais un jour, tout a basculé. Elle peut dire des mots qu’elle ne devrait pas. Elle ne dort pas la nuit. Elle dit que des gens la regardent de l’extérieur. Quand on regarde, on ne voit rien. Je ne sais plus quoi faire », ajoute Jean-Noël.
Le Défi Plus patientera jusqu’à la fin de la session de prière pour assister à la séance de guérison du jour. Celle-ci gravite aujourd’hui autour de l’apposition des mains… Les fidèles, alignés en file indienne, attendent leur tour avec une ferveur désespérée, espérant un miracle. Et cela depuis très tôt le matin.
Un à un, ils s’avancent vers le « guruji », les yeux pleins de supplications muettes. Lorsqu’il pose ses mains sur eux, certains s’effondrent, comme libérés d’un poids insoutenable, tandis que d’autres repartent en silence, le visage marqué par une lueur d’espoir ou de désillusion.
« C’est la cinquième fois que je viens ici », explique Raymonde, une habitante de Tranquebar juste après que le « guruji » a posé ses mains sur elle. « Je me sens bien. J’ai toujours été en proie à des vertiges et à des pertes de connaissance. Je ne suis pas en bonne santé, certes, mais je me sens bien après mes sessions de prière avec le ‘guruji’. ‘Ti bizin pran medsinn pou al dormi’. Je pensais à toutes sortes de choses. Mais maintenant, je me sens bien. C’est la raison pour laquelle je reviendrai voir le ‘guruji’ à nouveau. C’est une certitude », confie-t-elle.
Le yogi Madhookar Ramnarain : « J’ai eu un don de Dieu »
Le Défi Plus a sollicité le yogi Madhookar Ramnarain pour une déclaration. Ce dernier, qui est âgé de 68 ans, fait comprendre que ses sessions de guérison sont gratuites. « Tout est gratuit. Mo pa pran enn sou ar dimounn », avance-t-il. Mais comment faites-vous pour vivre ? « Mo ena mo bann resours ki mo gagne. Mo viv ek mo pansion », répond-il.
Le yogi raconte qu’il fréquente le Kali Mata Mandir de Verdun depuis l’âge de sept ans. « Toulezour mo isi ek toulezour mo alim sa dife la… », explique-t-il. Il ajoute que c’est pour cela qu’il a eu ce don de dieu. Il précise que c’est avant tout une question d’étapes, soulignant avoir traité un bon nombre de cas.
« ‘Ena dimounn pa marse inn marse’. Cela démontre clairement que mes pouvoirs n’ont pas de limites. ‘Mo geri dimounn a traver lemond. Guadeloupe, Trinidad, Amérique ek partou dan Canada… Mo zis gete koumsa la, dimounn la angourdi ek sa nam la angourdi’ », indique-t-il.
Mais que répond-il face aux critiques de certaines personnes sur ses méthodes de guérison plutôt « particulières » ? « ‘Dimounn inn ne pou fer kritik. Mo aksepte kritik. Pli kritik zot pou fer, pli mo pou gagn pwisans. Kouma monn deza dir. Ena dimounn inn mor isi. Ek apre 45 minit monn redonn li so lavi. Lontan mo poz lame lor latet apre mo desannn ziska lor pous lipie. Apre sa mo pran mo lame ziska latet mo tous ziska zenou. Fini zenou, mo fer ziska zepol. Fini zepol, mo trap zis latet. Aster la mo zis gete ou tonbe. Sertin nam violan tonbe’. Je guéris entre 25 et 30 personnes quotidiennement », explique Madhookar Ramnarain. Il se dit « invincible » et affirme qu’il n’est nullement atteint par les négativités.
Démêlés avec la police à la suite d’une bande sonore
Souvenez-vous. En 2014, Madhookar Ramnarain avait eu des démêlés avec la police à la suite de la diffusion d’une bande sonore sur le net. Cette bande-son, diffusée à la veille des élections de 2014, comporte une conversation survenue à la résidence de feu sir Anerood Jugnauth.
La presse avait également rapporté que l’épouse du yogi, une dénommée Yam Youne, avait également été arrêtée dans le sillage de cette affaire. « Se pa mwa. Ou finn met enn akizasion kont mwa me zame lazistis finn kondann mwa. Ou pe konpran mwa la ? Ou kapav dir seki ou anvi parey kouma zot pe kritik mwa. Me aksion la. Si mo ti enn move dimounn, azordi mo pa ti pou gagn enn don koumsa », dit-il.
Quid des rumeurs sur une présumée proximité entre lui et le gouvernement ? « Monn fini lav lame avek politik. Mo deza okipe », soutient-il.
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