Il appartient à ce petit carré de seniors dont la passion fait encore battre le palpitant. Coomar Goburdhun, dit Creshan, 72 ans au compteur, est plus connu comme virtuose aux claviers que l’enseignant qu’il a été dans le primaire. Dépositaire du nom du groupe Kamal Band, dont il entretient encore le flambeau, il s’est reconverti avec bonheur dans le karaoké depuis plus d’une dizaine d’années.
Son local installé, dans sa maison à Trèfles, laisse peu de place pour se déambuler : des dizaines de mallettes pour les matériels de musique et de toutes les dimensions sont empilées les unes sur les autres, voisinant avec des guitares, micros, fils électriques et autres trépieds. Mais, Creshan ne risque pas de s’y perdre, d’autant que l’endroitsert aussi de répétitions aux musiciens de Kamal Band chaque semaine.
Ce mercredi matin, tel un gosse découvrant ses cadeaux de Noël, Creshan ne cesse de pianoter son orgue Yamaha PSR S975, un petit bijou qu’il s’est fait livrer deux jours auparavant pour la coquette somme de Rs 60 000. « Je n’arrête pas de découvrir les secrets de cette orgue, dit-il. Les possibilités sont énormes, les sons existent à l’infini, il faut vraiment être un génie pour créer des sons aussi parfaites », s’émerveille-t-il. Mais, il tient aussitôt à nuancer : « Il faut tout de même avoir une bonne oreille musicale et de sons pour mettre à profit un tel instrument. »
Dans ce pays, il y a pour tous les goûts»
Ces qualités-là, le sexagénaire ne cesse de les cultiver depuis son adolescence aux cotés d’un père Rooplall, chanteur de ‘gamaat’.
«…soirées de ‘gamaat’»
« Pendant que je poursuivais mes études, j’allais avec lui durant les soirées de ‘gamaat’ », se souvient l’ex-pensionnaire du collège New-Eton. à 15 ans, il part chanter pour le groupe Kamal Band, dont le répertoire est composé de morceaux de sega, bhojpuri et de chansons de films indiens. Bien parti pour devenir chanteur de ‘gamaat’, il est ‘détourné’ par les frères Kokil, qui dirigent Kamal Band et qui lui proposent d’intégrer leur combo pluridisciplinaire. Comme il alterne la batterie, les percussions, la guitare et le chant, sa place est vite trouvée. Mais, il veut progresser, aussi part-il se perfectionner les vocales chez le grand Iswardeo Nundlall et s’initier à l’accordéon chez la famille Cartier. « Je voulais apprendre le solfège, faire la musique selon la méthodologie et jouer la musique orientale et occidentale », explique-t-il.
En 1971, alors qu’il a déjà intégré l’éducation nationale, il se voit confier la direction du Kamal Band. Il prend le job avec de l’assurance, d’autant qu’il a commence à jouer du clavioline, instrument qu’il a acheté avec ses économies et qui offre une multitude de combinaisons de timbres musicaux et permettant de reproduire avec une véritable fidélité des instruments comme le violoncelle, le violon ou le saxophone.
Pour le jeune homme, c’est un pur bonheur, car il est un des rares musiciens à pouvoir intégrer cet instrument au groupe.
Mariages les samedis et dimanches
À cette époque, les chanteurs de ‘gamaat’ et les formations musicales sont très prisés pour animer les mariages, les samedis et les dimanches. Chez les premiers, des noms comme Pokhun, Jeewan Dawaking, Sanskrit, Freeman Lagare, Sachidanand tiennent le pavé haut tandis que le Rivoli Bank ne connait pas de concurrent. Notre interlocuteur le reconnait : « Le groupe avait beaucoup de moyens, ce qui lui permettait de recruter à sa guise, il avait acquis un véritable rayonnement national. »
Vers le milieu des années 80, le Kamal Band connait un split qui verra la plupart de ses membres partir former leur groupe. « Ils avaient emporté les instruments qui m’appartenaient, mais c’est moi qui avait le nom du groupe. Deux chanteurs sont restés avec moi », se souvient Creshan. Sans rendre les armes, il décide alors de recruter d’autres musiciens en passant une annonce dans la presse. « J’étais plutôt bien connu et je promettais de payer ‘réglo’ aussi, je n’ai eu aucune peine à reformer le groupe. » Sans les anciens membres qui habitaient dans la localité, il conçoit alors un plan de travail différent afin de simplifier le travail avec la nouvelle équipe.
« Je leur demandais de travailler un morceau chez eux, puis chez moi, on le peaufinait et à ma manière. Et ça a bien marché, ils avaient le niveau puisqu’ils exerçaient aussi dans les hôtels », explique-t-il.
Initié au karaoké
En 2000, alors qu’il s’est déjà initié au karaoké, il obtient quelques commandes du Senior Citizens Council, qui lui permettent de performer devant des audiences mixtes. « C’est là où mes connaissances, dans les registres du séga, hindi-bhojpuri et européens, m’ont servies. Puis, je me suis rendu compte que certains morceaux étaient appréciées de toutes les générations en raison de leur qualité mélodique », fait-il observer. Durant d’autres prestations, il va aussi s’initier aux rudiments de la langue tamoule, chinoise ou marathie pour satisfaire les spectateurs de ces communautés. Au fil des années, il va mener de pair les activités au sein du Kamal Band et avec une petite formation pour les prestations au karaoké, sans jamais céder à la qualité pour l’un aux dépens de l’autre.
Aussi, lorsqu’il en vient au karaoké, il n’hésite pas d'égratigner certains prestataires qui achètent des CD de karaoké déjà composés en Inde. « Dans ce pays, il y a pour tous les goûts, c’est le prix qui fait la différence, fait-il ressortir. Comme certains Mauriciens veulent réaliser de gros bénéfices en négligeant la qualité, ils achètent des CD de karaoké souvent médiocres. Souvent, c’est lorsqu’ils écoutent les morceaux à Maurice qu’ils se rendent compte que certains sont impossibles à jouer. »
Aujourd’hui, même s’il tient encore sur ses jambes et peut pianoter les yeux fermés, il a choisi de confier l’activité karaoké à ses deux fils Kabir et Zaheer. « Comme l’informatique et la musique sont étroitement liées, ils sont mieux placés que moi à exploiter le créneau karaoké, où l’ordinateur occupe une place centrale. Mais, je veille encore à ce que la mélodie et les attentes du public soient respectées », précise-t-il.
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