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Courtiers maritimes «marron» : les dessous de leur mode opératoire

Navin Kistnah, qui prétend être un courtier maritime, est soupçonné par la police d’être le commanditaire de l’importation de 135 kilos d’héroïne, colis évalué à plus de Rs 2 milliards. Or, dans le milieu portuaire, on affirme qu’il serait un « courtier marron ». Qui sont-ils ? Quel est leur mode d’opération ? Eléments de réponse…

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Notre enquête menée auprès des courtiers agréés démontre que ce serait une « faille » dans le système actuel qui favorise la prolifération des courtiers dits « marron ». Pour bien comprendre le système, il faut savoir qu’il existe deux catégories de « courtier marron ». Il s’agit d’abord d’une personne qui ne détient aucune licence, tant pour le « freight forwarding » que le « Custom House Brokers ». Se faisant toutefois passer pour un courtier maritime, cette personne utilise en fait le « front end » électronique mis à la disposition d’un courtier agréé (Custom House Broker) par la Mauritius Revenue Authority (MRA) pour effectuer des déclarations douanières. Cette tâche relève cependant de la seule prérogative d’un Custom Broker.

Ensuite, il y a des Freight Forwarders qui, en obtenant un permis de « Freight Forwarding », obtiennent automatiquement un accès à ce « front end » électronique. « Bien que ce ‘front end’ leur donne l’opportunité de faire des déclarations douanières, en tant que Freight Forwarder, ils ne sont pas autorisés à le faire. Au cas contraire, cela devient une déclaration illégale », explique un courtier maritime comptant une vingtaine d’années d’expérience.

Une « faille » qui aurait pu être résolue, selon notre interlocuteur, avec l’implémentation de la section 19 des « Customs Regulations ». Celle-ci stipule que toute déclaration faite à l’intention d’une tierce personne (importateur, exportateur, individuelle, etc.) doit se faire à travers le « front end » dûment enregistré, au nom d’un courtier maritime agréé. Or, les autorités concernées tarderaient à implémenter cette mesure. « Des lobbies font pression pour justement retarder cette implémentation, car à ce moment-là, ces « courtiers marron » ne pourront plus exercer », allègue notre interlocuteur. D’ailleurs, un courriel de la Custom House Brokers Association (CHBA) a été adressé en ce sens au Financial Secretary en début d’année. Dans son courriel, le secrétaire général de la CHBA, Swaley Duman, demande l’implémentation immédiate de ce nouveau règlement.

«Ils peuvent proposer jusqu’à la moitié du tarif d’un courtier agrée. Ils leur offrent des facilités de paiement, jusqu’à plusieurs mois de crédit»

« The Managing Committee of the Customs House Brokers’ Association kindly requests you to immediately implement the regulation as some are unduly taking advantage of the system », dit-il. Swaley Duman souligne également qu’un Freight Forwarder ne peut agir comme un Custom House Broker. « May we point out that licensing of Customs House Brokers and Freight Forwarders falls under different requirements. A licensed Freight Forwarder does not meet the requirements to act as Customs House Broker ». Cette requête qui date du 20 janvier 2017 serait toutefois tombée dans l’oreille d’un sourd.

Des importateurs véreux

Selon nos informations, il existerait au moins trois catégories d’importateurs qualifiés de « véreux » dans le milieu portuaire. Ils choisissent délibérément de faire appel à des « courtiers marron ». Primo, il y a les importateurs qui cherchent à sous-évaluer leurs marchandises. Ces « courtiers marron », tout en exploitant les failles du système actuel, les aident à manipuler volontairement des documents et des factures, afin qu’ils paient moins au fisc. Secundo, il y a des importateurs qui ne souhaitent pas que leurs noms figurent dans les déclarations douanières.

Pour que ces importateurs puissent bénéficier/profiter d’une évasion fiscale, ces « courtiers marron » utilisent des prête-noms, généralement ceux d’autres importateurs, pour retirer les marchandises du véritable importateur. « Ils prennent soin de bien répartir les marchandises sous différents noms, pour que les prête-noms utilisés ne s’en rendent pas compte. Ils savent que la douane a tendance à accorder plus d’attention aux gros importateurs qu’aux petits et ils en profitent », affirme un douanier sous couvert de l’anonymat.

Tertio, il y a les importateurs qui font venir des produits prohibés, des « highly dutable goods » ou des objets de marques déposées. « Pour cela, ces « courtiers marron » ont recours au ‘conteneur de groupage’, soit en regroupant les marchandises de 10, voire 15 importateurs dans un seul conteneur. Ils savent que les douaniers sont moins enclins à inspecter ce type de conteneur, car cela requiert du temps, plus de personnel et de l’espace », poursuit ce douanier chevronné.

Et pour dénicher autant de « petits » importateurs, notre interlocuteur indique que ces courtiers vont jusqu’à brader leurs tarifs. « Ils peuvent proposer jusqu’à la moitié du tarif d’un courtier agrée. Ils leur offrent des facilités de paiement, jusqu’à plusieurs mois de crédit », ajoute-t-il. Autre astuce utilisée par ces courtiers : attendre le tout dernier moment pour révéler les noms des divers importateurs d’un conteneur de groupage. « Là encore, ils vont utiliser des prête-noms et des sociétés qui ne sont pas dans le viseur des autorités douanières, afin que celles-ci ne procèdent pas à l’inspection du conteneur. Il leur suffit pour cela de présenter la carte d’identité d’une personne ‘clean’ et de présenter cette dernière comme l’importateur, et le tour est joué », soutient notre interlocuteur.

Afzal Delbar : «Les importateurs prennent de grands risques»

Sollicité pour une réaction, le président du Custom House Brokers Association (CHBA) - regroupant les courtiers maritimes - indique que les importateurs qui font appel aux services des courtiers « marron » s’exposent à de grands risques. « Même si vous avez pris possession de vos marchandises, la MRA peut à tout moment faire un ‘post-audit control’. Si la MRA constate que vous avez sous-évalué votre marchandise, vous risquez une amende avec intérêts, alors que le courtier marron ou le Freight Forwarder qui n’est pas attaché à un courtier agréé s’en sortira indemne », dit-il.

De plus, notre interlocuteur indique que les importateurs « mal avisés » risquent de se faire « plumer ». « Le courtier marron peut vous réclamer des frais en plus, soit Rs 10 000, parce que soi-disant les douaniers ont bloqué les marchandises. Ce qui est généralement faux. C’est le courtier lui-même qui empoche l’argent. Ainsi, en pensant faire une bonne affaire en recourant à ce type de ‘courtier’, l’importateur peut au final le payer cher », ajoute-t-il.

 

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