Si Maurice est à plus de 7 900 kilomètres de la Chine, il n’empêche que le pays est tout aussi concerné par le coronavirus. D’ores et déjà, nous ressentons les effets directs et indirects de cette épidémie.
…Des agences de voyages
Depuis la semaine dernière, plusieurs agences de voyages reçoivent des appels de clients qui annulent leur voyage, non seulement vers la Chine, mais aussi sur l’Asie. « Les Mauriciens évitent actuellement de voyager sur l’Asie. D’ailleurs, nous leur conseillons de ne pas y aller », indique Patrice Leung, Sales and Marketing Manager chez Cathay Tours.
« Pour l’instant, nous n’avons pas eu d’annulation sur les pays alentours, mais nous craignons que ce soit le cas par la suite. Cette épidémie aura une incidence sur les voyages, plus particulièrement sur les pays voisins de la Chine », renchérit Jennifer Kwo On Yuen, Agency Manager chez Itineris.
Du coup, souligne Patrice Leung, les Mauriciens qui avaient prévu d’aller en Asie se tournent maintenant vers l’Europe et l’Afrique du Sud. « Nous leur proposons des alternatives, soit des destinations plus sûres comme les croisières en Afrique du Sud à titre d’exemple », ajoute Jennifer Kwo On Yuen.
Malgré tout, le secteur sera affecté. Les agences de voyages en sont pleinement conscientes. « Si certains clients changent de destination, d’autres ne veulent pas voyager et nous nous attendons à d’autres annulations », avance Patrice Leung. Jennifer Kwo On Yuen craint, quant à elle, une baisse dans le segment des ‘business travellers’. « Ceux qui sont en vacances aiment partir à l’étranger. Ils vont donc continuer à voyager quoiqu’ils opteront pour d’autres destinations. Par contre, le coronavirus risque d’avoir une plus grande influence sur les ‘business travellers’. Au lieu de se déplacer, ils miseront pour d’autres moyens, comme les vidéo-conférences. Nous prévoyons un déclin sur ce type de clientèle », explique notre interlocutrice.
« Nous sommes là pour appliquer ce que nous disent les lignes aériennes et les clients. S’il y a des annulations de vols de la part des lignes aériennes, nous avertirons les voyageurs. Et si le client souhaite annuler son voyage, nous irons dans cette direction. Pour l’heure, nous ne pouvons que suivre la situation au jour le jour », conclut, pour sa part, Marlys Ithier, Manager Travel Department chez Concorde.
Des hôteliers
42 740 Chinois étaient venus à Maurice l’an dernier. Les opérateurs avaient prévu d’en accueillir davantage cette année. Une espérance qui tombe à l’eau avec la suspension des voyages en groupe en Chine et l’annulation des vols d’Air Mauritius vers Shanghai. « Le premier impact du coronavirus, c’est bien évidemment la baisse des arrivées des touristes chinois. Mais, on se pose aussi beaucoup de questions à savoir si les Français et les Anglais vont vouloir voyager avec le risque de se mêler aux grosses foules dans les aéroports », appréhende Jean-Michel Pitot, le président de l’Association des Hôteliers et des Restaurateurs de l’île Maurice.
Les petits et moyens hôteliers sont tout autant inquiets. « Si les petits et moyens hôtels ne seront pas vraiment affectés par le déclin des arrivées chinoises (Ndlr : la majorité des touristes chinois qui viennent à Maurice séjournent dans des grands hôtels), nous craignons de subir les effets collatéraux », avance Ajay Jhurry, ancien directeur de l’Association of Tourists Operators. Les grands hôtels, poursuit-il, vont revoir leur stratégie en ciblant d’autres marchés et en révisant leurs prix. « Il y aura alors une lutte acharnée sur les prix. Donc, nous serons affectés indirectement », fait-il ressortir.
Toutefois, pour certains opérateurs, le coronavirus peut jouer « en notre faveur ». « Les Indiens qui prévoyaient d’aller en Chine, en Thaïlande, en Malaisie et dans d’autres pays d’Asie vont opter pour Maurice s’il n’y a pas de cas qui est détecté dans l’île. Nous aurons ainsi davantage de touristes indiens », prévoit Shakeel Nundlall, directeur de l’hôtel Le Grand Bleu. Une situation qu’on a déjà connue dans le passé. « Quand il y avait une autre épidémie en Chine la dernière fois, nous avons accueilli non seulement beaucoup de touristes indiens, mais aussi des producteurs de film qui sont venus tourner à Maurice », relate-t-il.
Les opérateurs insistent pour que la vigilance soit de mise. « Il faut augmenter la vigilance sur toutes les arrivées touristiques. Nous devons être intransigeants là-dessus. Un seul cas chez nous sera un cas de trop pour l’industrie touristique et le pays en général », conclut Ajay Jhurry.
42 740 chinois à Maurice en 2019 | |
Années | Nombre de Chinois en visite à Maurice |
2018 | 65 736 |
2019 | 42 740 |
Source : Statistics Mauritius. |
Alimentation : Maurice n’importe pas ses principaux produits de base de la Chine
Poissons, fruits de mer, champignons, pistaches, thé, poivre, fruits secs, épices, conserves, vermicelles et nouilles, biscuits, confiture, beurre de pistache, sauce de soja, ketchup, vinaigre, sel… Ce sont quelques-uns des produits que le pays importe de la Chine. Avec le coronavirus qui prend de l’ampleur chaque jour, doit-on craindre un impact sur nos importations ? Non, indique Ignace Lam, le PDG d’Intermart. « Le pays n’importe aucun de ses principaux produits de base de la Chine. Même pas le riz. Nous avons certes certains produits alimentaires, tels que les conserves à titre d’exemple, mais cela n’aura pas vraiment d’impact », explique notre interlocuteur.
Des produits totalisant Rs 24 milliards importés de Chine | |
Années | Valeur totale des produits que Maurice a importés de Chine |
2017 | Rs 29,6 milliards |
2018 | Rs 31,8 milliards |
2019 (janvier à septembre) | Rs 24 milliards |
Source : Statistics Mauritius. |
Le saviez-vous?
Peut-on contracter le coronavirus en touchant un objet importé de la Chine ? La réponse est non. Le virus ne survit que « quelques heures sur des surfaces inertes et sèches » et, compte tenu des temps et conditions de transport avec la Chine, le risque d’être infecté est considéré comme « extrêmement faible ».
…Des économistes
Pas plus tard que cette semaine, Kristalina Georgieva, la patronne du Fonds Monétaire International (FMI), a déclaré que le coronavirus aura des « conséquences négatives » sur l’économie mondiale au « premier trimestre de l’année ». Il faudra donc s’attendre à une baisse de la croissance mondiale.
« La Banque mondiale a prévu une croissance de 2,5 % pour l’économie mondiale cette année. Il se peut qu’elle descende à 2 % », appréhende l’économiste Ganessen Chinnapen. N’oublions pas, souligne-t-il, que la Chine est un acteur important sur l’échiquier mondial. « Par ailleurs, plusieurs pays risquent de ne plus importer de la Chine. La psychose et la méfiance autour de la provenance de ce virus peuvent déstabiliser le marché de l’alimentation », craint notre interlocuteur.
Maurice ne sera pas épargné par une telle conjoncture. « Même si nous n’avons détecté aucun cas de coronavirus à Maurice, nous sommes concernés. Si les gens décident de ne pas voyager, cela aura un impact sur notre économie, plus particulièrement sur le tourisme. Cet événement nous démontre à quel point nous sommes vulnérables à tout ce qui se passe à l’étranger », fait ressortir l’économiste Azad Jeetun. Ganessen Chinnapen appréhende aussi que la Chine réduise les fonds et les financements qu’elle accorde habituellement à divers pays, dont Maurice.
Prix du pétrole : une baisse qui ne va pas durer
Les prix du pétrole sont en baisse depuis que la propagation du coronavirus s’est intensifiée en Chine. Le Brent valait un peu plus de 58 dollars vendredi matin. Pour cause, les producteurs craignent les conséquences de l’épidémie sur la demande intérieure de la Chine, qui est le premier importateur mondial d’hydrocarbure.
Cette baisse va-t-elle durer et impacter sur les prix du carburant à Maurice ? « Actuellement, plusieurs observateurs craignent un ralentissement économique en raison de cette épidémie. Ils appréhendent un impact sur la demande en énergie. Donc, si la demande baisse, les prix aussi. Mais, cela ne va pas durer », prévient l’observateur Swaley Kasenally. Les prix, poursuit-il, fluctuent et font du yo-yo en fonction de l’actualité. « Quand il y a eu l’épisode de l’Iran, les prix avaient grimpé pendant trois/quatre jours avant de retomber », ajoute Swaley Kasenally.
Le Dr Khalill Elahee, expert en matière d’énergie, est du même avis. « Il suffit qu’il se passe quelque chose sur la scène mondiale pour qu’il y ait une réaction sur le vif sur le marché du pétrole. Les prix peuvent baisser sur le court terme, mais ils finiront par remonter. Ils remontent toujours. Le monde a toujours fonctionné ainsi », fait-il ressortir.
Pour le Dr Khalill Elahee, le pays doit planifier sur la durée et le long terme. « Outre le coronavirus, nous ne sommes pas à l’abri d’un cyclone ou d’une rupture énergétique. Nous devons garantir une qualité en termes d’énergie propre », recommande-t-il. Quant à Swaley Kasenally, il estime que le « réel souci » du pays pour le moment est de « trouver une source d’approvisionnement fiable, de préférence un producteur de renom qui fournira exactement les produits demandés ».
Importation de la main-d’œuvre chinoise : pas de réel impact
Dans un communiqué en date du 28 janvier, le ministère du Travail indique qu’aucun nouveau permis de travail ne sera délivré aux travailleurs venant de Chine. Toutefois, les demandes pour renouveler les permis seront maintenues, mais à condition que les détenteurs de ces permis n’ont pas voyagé en Chine durant les quinze derniers jours.
Quelle sera l’incidence de cette décision sur certains secteurs, tels que la construction ou encore le textile où on enregistre le plus de main-d’œuvre étrangère ? « Nous n’avons pas vraiment de compagnies mauriciennes qui importent de la main-d’œuvre de la Chine. Elles recrutent notamment des Bangladais et des Indiens. Ce sont surtout les compagnies chinoises qui recrutent des Chinois », explique Vikash Nuckcheddy, directeur commercial de Building & Civil Engineering Co Ltd. Dans le textile, c’est plus ou moins le même scénario. « Les travailleurs chinois étaient très nombreux dans le secteur dans le passé, mais maintenant on en compte presque plus », indique Arif Currimjee, vice-président de la Mauritius Export Association.
En chiffres 1 680
C’est le nombre de travailleurs chinois enregistré à Maurice, révèle le ministère du Travail dans son bulletin mensuel publié le 22 janvier dernier. Parmi, on compte 1 068 hommes et 612 femmes.
….Des commerçants
Muslim Mungralie, gérant d’un magasin d’accessoires de portables à Port-Louis, se rend en Chine trois ou quatre fois l’an pour s’approvisionner. « J’ai annulé mon vol en voyant la vitesse à laquelle le virus se propage. D’ailleurs, une fois en Chine, je n’aurais pas pu me rendre à l’endroit où je comptais faire mes achats », relate le commerçant. Khemraj Bhollah, un habitant de Nouvelle-France qui vend du prêt-à-porter dans les foires, est dans le même bateau. Il devait se rendre en Chine en février– il y va deux fois l’an – mais a annulé son voyage la semaine dernière. « Je devais m’y rendre pour constituer mon stock de vêtements d’hiver », explique-t-il.
Depuis, cette situation donne le stress. « Je ne dispose d’un stock que pour les mois de février et mars. J’envisage d’aller en Inde ou à Dubaï pour m’approvisionner. J’attends, toutefois, de voir comment la situation va évoluer avant de bouger », explique Muslim Mungralie. Pour Khemraj Bhollah, les choses sont un peu plus compliquées. « Je comptais acheter mes marchandises dans un autre pays de l’Asie, mais plusieurs de ces pays sont eux aussi touchés par le coronavirus », explique-t-il.
Que prévoit-il de faire ? « Pour l’instant, je ne sais pas encore. Tout ce que je sais, c’est que je n’ai pas de vêtements d’hiver à proposer à ma clientèle », se désole Khemraj Bhollah qui espère trouver une solution au plus vite.
En chiffres 1 671 Mauriciens sont partis en Chine
Entre janvier et septembre 2019, 1 671 Mauriciens sont partis en Chine contre 2 280 départs enregistrés durant la même période en 2018, indique Statistics Mauritius dans son dernier rapport sur les voyages.
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