Economie

Consommation : les petits commerces voient l’avenir en berne

C’est la période de l’année où ils espèrent faire leur beurre. Mais d’année en année, les petits commerçants assistent à l’effritement de leur clientèle durant les fêtes de décembre. Les marchands ambulants, eux, ne se portent guère mieux. La principale explication à cette tendance inversée : l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs.

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Le 24 décembre, vers 20 heures, une jeune vendeuse employée dans une parfumerie de la capitale, une fiole d’eau de toilette à la main, est sortie sur le trottoir pour faire la chasse aux clients. « C’est la première fois que je fais ça, raconte-t-elle. L’année dernière (NdlR : décembre 2015), les ventes étaient meilleures. Cette année, les clients ont été rares. Dans le centre commercial où je travaille, c’était pareil : les vendeuses se tournaient les pouces. »

Le consommateur mauricien est devenu frileux à la dépense : son pouvoir d’achat, en berne, lui commande d’être rationnel. « C’est le premier facteur qui entre en ligne de compte, fait ressortir Raj Appadoo, quincailler de profession et président du Front commun des commerçants de l’île Maurice. Le budget éducatif vient en premier dans les dépenses du Mauricien, après qu’il a perçu son bonus de fin d’année et son salaire de décembre, puis il y a l’alimentation, les soins de santé et, si possible, l’épargne. Le consommateur est devenu très prudent, il sent que tout est devenu précaire. »

Il y a dix ans, décembre était encore le mois des folies. Les commerçants passaient de grosses commandes, dont jouets et pétards qu’ils parvenaient à écouler facilement, tant la frénésie d’achat gagnait le consommateur. « On restait ouvert jusqu’à 23 heures pour servir les clients qui n’avaient pu faire leurs achats, explique un marchand de vêtements féminins orientaux aux galeries Evershine, à Rose-Hill. Parfois, il fallait fermer les portes afin de servir ceux qui étaient déjà à l’intérieur. Aujourd’hui, les vendeuses restent les bras croisés. Les clients font un tour puis repartent vers d’autres boutiques pour trouver le meilleur vêtement d’un point de vue qualité-prix. »

Dépenser utile

Dans le passé, fait ressortir Raj Appadoo, dès que les fonctionnaires touchaient leur bonus, ils commençaient à faire leurs premiers achats, qu’ils terminaient vers le 30 et le 31 décembre. « Ces dernières années, le consommateur dépense utile et essaie d’économiser une grande partie de son bonus, en sachant que les dépenses scolaires lui coûteront quelques milliers de roupies. »

Le petit commerçant n’en mène pas large non plus : il est pris entre les frais fixes, que sont le paiement des salaires, le Trade Fee, le loyer ainsi que les factures d’électricité et d’eau, et la contribution au National Pensions Fund. « Rien qu’à Port-Louis, indique Raj Appadoo, certains loyers peuvent atteindre la somme de Rs 50 000, en raison de leur localisation. »

Selon lui, si les petits commerçants n’ont pas pu profiter des fêtes de fin d’année pour combler le manque à gagner durant les mois écoulés, aucune autre occasion d’envergure ne se présentera en 2017. « C’est mauvais signe, cela signifie que des périodes difficiles nous attendent. Certains commerçants seront sans doute confrontés à des licenciements ou à la fermeture. D’autant que nous ne voyons pas comment les projets annoncés par le Premier ministre viendront nous apporter un bol d’oxygène. »

Si Raj Appadoo montre du doigt les libertés accordées à certains marchands ambulants et la bienveillance de la police à leur égard, ces derniers, à en croire Hyder Raman, n’auraient pas tiré partie de cette générosité. « Depuis la relocalisation des marchands ambulants dans quatre zones à Port-Louis, leur chiffre d’affaires a chuté de plus de 50 %. Beaucoup d’entre eux ne savent plus comment faire pour rembourser leurs dettes. Ils pensaient le faire durant les fêtes de décembre en augmentant leurs recettes », affirme le président de la Street Vendors’ Association.

Pour l’instant, la solution à leurs problèmes reste plutôt floue. Le projet de rénovation de la gare Victoria, l’Urban Victoria Bus Terminal, couplé au Metro Express, devrait accommoder quelque 1 200 étals destinés à 1 400 forains. Mais ce projet, qui sera mis en chantier en juillet 2017, ne sera complété qu’en janvier 2020.

Pour Hyder Raman, si Port-Louis a perdu de son attractivité commerciale, c’est largement en raison de la relocalisation des marchands ambulants. « Quand les marchands ambulants étaient dans les rues, ils constituaient une chaîne qui faisait vivre d’autres commerces, dont les magasins, les supermarchés et les marchands de dholl puris, de mines et de briani. Aujourd’hui, plus grand monde ne vient faire ses achats à Port-Louis. »

Raj Appadoo, lui, argue que l’apparition des food-courts dans le centre et le Nord de Maurice attirent des familles entières les jours fériés. « C’est un phénomène qui reflète le développement de nos infrastructures, avec la connexion Internet et les boutiques de marques. Même si peu de Mauriciens achètent ces brand names dans le vestimentaire, ils éprouvent le sentiment d’être dans un autre monde, calqué sur le modèle américain. »

Valoriser le «made in mauritius»

Au Craft Market du Caudan Waterfront, les jours se suivent et se ressemblent. Durant le mois de décembre et les derniers jours de l’année 2016, les artisans n’ont pas vu affluer des touristes en foule. Une jeune vendeuse explique : « Depuis quelques années, dans toutes les localités balnéaires, des boutiques vendent les mêmes produits artisanaux. On en voit même dans des supermarchés. Lorsqu’on sait que les touristes aiment la mer et la plage, on ne les voit pas venir à Port-Louis uniquement pour acheter quelques articles artisanaux. »

Une autre vendeuse ajoute : « Il faut aussi compter avec la politique all-inclusive pratiquée par les hôtels et le rôle des chauffeurs de taxi qui conduisent les touristes jusqu’aux boutiques seulement s’ils obtiennent des commissions. »

France Dit Sylva, président de l’Art and Craft Manufacturing Association of Mauritius, se veut optimiste : « Il existe désormais un marché mauricien qui est en gestation parce que le ‘Made in Mauritius’ est en train d’être valorisé par le gouvernement. Durant les fêtes, les tableaux, les produits en bois et en verre se sont bien vendus. Les promesses d’un marché local existent concrètement, mais il faut investir dans la promotion et le branding ».

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