Le « Full Bench » de la Cour suprême a mis son jugement en délibéré après avoir entendu les débats entourant la plainte du Commissaire de police (CP) contre le Directeur des poursuites publiques (DPP). Une guerre des territoires constitutionnels est au cœur du litige.
Le conflit opposant le Commissaire de police (CP) au Directeur des poursuites publiques (DPP) se poursuit. Les débats autour de la plainte déposée par Anil Kumar Dip CP contre Me Rashid Ahmine se sont déroulés le mardi 19 mars 2024 devant la Cour suprême. Deux King’s Counsels britanniques ont fait le déplacement à l’occasion. Il s’agit de Me Paul Ozin, l’avocat du CP et de Me Mark Rainsford, l’avocat de l’Independent Commission against Corruption (Icac).
Anil Kumar Dip était présent à l’audience, mais pas le DPP. Sir Geoffrey Cox, King’s Counsel, dont les services ont été retenues par le DPP, n’était pas non plus présent à l’audience. Dans cette affaire, le CP reproche au DPP d’usurper ses pouvoirs dans plusieurs affaires en cours, affirmant que les positions contraires adoptées par ce dernier et ses officiers ont des « répercussions négatives » sur ces enquêtes.
Anil Kumar Dip cite les décisions ayant abouti à la libération sous caution de l’avocat Akil Bissessur et de sa compagne Doomila Devi Moheeputh, ainsi que de son frère Avinash Bissessur. Il évoque aussi le cas de l’activiste Bruneau Laurette, de l’ancien Chief Executive Officer de Mauritius Telecom, Sherry Singh et de son épouse Varsha, ainsi que le cas de Chavan Dabeedin, ancien cadre du Central Electricity Board.
Mardi, le Full Bench, composé de la Cheffe juge Bibi Rehana Mungly-Gulbul, de la Senior Puisne Judge (SPJ) Nirmala Devat et de la juge Sulakshna Beekarry-Sunassee, a réservé sa décision à l’issue des débats.
Me Sanjay Bhuckory, SC : « Un État démocratique et non un État policier »
« Un cas sans précédent. » C’est en ces termes que Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel (SC) et avocat du DPP, a qualifié la plainte du CP, le mardi 19 mars 2024. L’avocat estime que le chef de la police cherche à évincer le DPP du processus préalable à l’instruction d’un procès (pre-trial process). « Le CP déclare qu’il est le seul maître à bord de ce processus. »
Or, soutient Me Sanjay Bhuckory, la plainte du CP est « frivole » et il n’a pas pu démontrer en quoi le DPP aurait enfreint les pouvoirs que lui confère la Constitution. L’avocat a fait valoir que la démarche du CP est un « abus de procédure ». Il a mis en exergue le fait que le père de la Constitution a fait que le pays « est un État démocratique et non un État policier ».
Le Senior Counsel estime que le CP a échoué à montrer un cas défendable devant une cour de justice. Toujours selon lui, la plainte a été présentée tardivement, soit trois mois après « the alleged right of action ». Me Sanjay Bhuckory a tenu à réfuter les arguments à l’effet que le DPP aurait outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de l’article 72 de la Constitution.
Me Paul Ozin, KC : « Ce sera utile pour tout le monde d’avoir une déclaration de la Cour suprême »
Durant son intervention, Me Paul Ozin, KC, l’avocat du CP, a réfuté la thèse selon laquelle la plainte aurait été déposée en dehors du délai statutaire. Selon lui, il serait judicieux de mettre les choses en perspective. À cet égard, il a cité un extrait de la plainte.
L’avocat britannique a expliqué que le concept d’accusation provisoire et de remise en liberté sous caution intervient généralement lorsque les investigations policières sont toujours en cours. Citant la Police Act et l’article 71 de la Constitution sur les pouvoirs du CP, le King’s Counsel a ajouté que les enquêtes de police tombent « exclusivement sous l’autorité du Commissaire de police et non du domaine du DPP ».
Sans citer les cas de Bruneau Laurette et autres, Me Paul Ozin a déclaré qu’il y a un « schéma qui se dégage de ces affaires » tout en soulignant la nécessité « d’apporter une directive claire ». Le Britannique a souligné que le patron des Casernes centrales a affirmé dans sa plainte que le DPP a « délibérément contredit » sa position en relation à des enquêtes de police complexes, voire des affaires de drogue.
La plainte revêt une importance constitutionnelle, selon lui. Il a précisé qu’il serait « utile pour tout le monde d’avoir une déclaration de la Cour suprême visant à définir, une fois pour toutes, ce qui constitue, aux yeux de la loi, les termes ‘procédures criminelles’. Aussi, si le DPP a empiété sur des affaires qui ne le concernent pas ».
Me Mark Rainsford, KC : « Le DPP empiète sur les pouvoirs constitutionnels du CP »
L’avocat de l’Icac, Me Mark Rainsford, KC, a, pour sa part, expliqué que la plainte du CP est « clairement un cas valable ». Il s’est attardé sur les pouvoirs du DPP. Pour l’avocat britannique, l’article 72 de la Constitution confère à ce dernier le pouvoir d’engager des poursuites au pénal devant les tribunaux ou encore d’y mettre fin.
Ce droit de poursuivre, selon lui, commence avec l’instruction d’une accusation formelle et non une accusation provisoire. « Il n’y a aucune ambigüité. Les pouvoirs du DPP sont engagés lorsqu’une accusation formelle est sur le point d’être déposée en Cour », a soutenu l’avocat de l’Icac, avant d’ajouter que « le DPP empiète sur les pouvoirs constitutionnels du CP ».
Me Mark Rainsford, KC, estime que le CP doit pouvoir faire entendre son objection en Cour lorsqu’il s’agit de procédures préalables à l’institution d’un procès au pénal devant la Cour. Il y va, selon le King’s Counsel, du principe de « séparation de pouvoirs ». Il a fait ressortir que la police doit pouvoir objecter à la remise en liberté sous caution d’un prévenu, surtout si elle pense que cela risque de « mettre en péril l’enquête policière en cours ».
L’avocat a déclaré que la violation invoquée par le CP, par rapport à ses pouvoirs, n’est pas « un incident isolé ». L’homme de loi a avancé qu’il y a suffisamment de raisons pour rejeter les points de droits soulevés par le DPP.
Le président de la République dit se plier à la décision de la Cour suprême
Le président de la République, Prithvirajsing Roopun, cité comme « interested party » dans cette affaire était représenté par Me Rajkumar Baungally, Assistant Solicitor-General. Ce dernier a informé le Full Bench que son client se plierait à la décision de la Cour suprême. L’Attorney General, cité comme codéfendeur et représenté par Me Dinay Reetoo, Assistant Parliamentary Counsel, a fait une brève intervention pour dire qu’il serait bon d’avoir un éclairage de la Cour suprême sur le point du conflit.
Les avocats dans la bataille juridique
Outre le King’s Counsel Paul Ozin, le CP est représenté par les Senior Counsels Désiré Basset et Ravind Chetty ainsi que par l’avouée Shamila Sonah-Ori. Le DPP est, lui, défendu par deux Senior Counsels, Mes Sanjay Bhuckory et Narghis Bundhun. Il a aussi retenu les services de Sir Geoffrey Cox, KC. Mes Vimalen Reddi, Sanjana Bhuckory et Amira Peeroo font aussi partie du panel d’avocats du DPP. L’Icac est représentée par Mes Mark Rainsford, KC, et Atish Roopchand.
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