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L’accident survenu récemment à D’Épinay met en lumière un problème de plus en plus alarmant : la conduite sous l'effet de drogues. Avec l'augmentation du nombre de conducteurs testés positifs aux stupéfiants, cette menace s’ajoute à celle de l’alcool au volant parmi les préoccupations majeures en matière de sécurité routière. Face à ce phénomène inquiétant, la question se pose : nos dispositifs de contrôle et nos patrouilles sont-ils suffisants pour lutter contre ce fléau ?
Une vidéo circulant sur les réseaux sociaux montre l'accident survenu à d'Épinay, où cinq personnes ont été blessées, dont une grièvement, alors qu'elles distribuaient des repas aux pèlerins de Grand-Bassin. Le conducteur, roulant à vive allure, semblait sous l’emprise de drogues. Lors de la fouille du véhicule, une cigarette artisanale partiellement consommée a été retrouvée, suspectée de contenir des substances illicites. De plus, un sac bleu dans le coffre a révélé cinq boîtes scellées, supposées contenir des drogues, et quatre autres boîtes non scellées avec des paquets rouges contenant une poudre suspecte.
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Tendance à la hausse
Cette affaire met en lumière un fléau inquiétant : la conduite sous l’influence de drogues. Selon le président de Prévention Routière Avant Tout (PRAT), les statistiques confirment cette tendance. « En 2023, 823 conducteurs et motocyclistes ont été testés positifs à la drogue. En 2024, ce chiffre a grimpé à 1 082, soit une augmentation de 25 % », souligne-t-il.
D’après lui, les dernières données sur la conduite sous l’effet de drogues révèlent une progression constante des infractions enregistrées. « Officiellement, nous avons une moyenne annuelle de 4 754 cas sur les six dernières années, mais ces chiffres ne représentent que la partie visible de l'iceberg », précise-t-il.
Accès facile aux véhicules
Alain Jeannot, souligne un autre fait préoccupant. « Chaque année, le nombre de véhicules augmente de 4 % à Maurice. Dans presque chaque famille, il y a au moins deux véhicules motorisés. Cette démocratisation de l’accès aux véhicules augmente le risque de voir des conducteurs sous l’influence de produits illicites sur nos routes », fait ressortir notre interlocuteur.
Drogues et les risques associés aux véhicules à deux roues
Il remarque que l'augmentation de la consommation de drogues, notamment chez les jeunes, est alimentée par la facilité d'accès aux drogues de synthèse, qui sont peu coûteuses et largement disponibles. « Beaucoup de jeunes optent pour des véhicules à deux roues, qui sont très risqués », soutient-il. Il souligne également que des chauffeurs de bus, responsables de la sécurité de centaines de passagers, ont été pris sous l’effet de drogues, ce qui montre l’ampleur du phénomène.
Introduction des test kits
Le président de PRAT rappelle que Maurice a introduit en 2023 une loi permettant de tester les conducteurs sur la présence de drogues. Cependant, il estime que « la loi sur la saisie de véhicules de conducteurs sous l’effet de drogues pourrait être un véritable moyen de dissuasion ».
Il ajoute que ces mesures doivent être accompagnées d’une sensibilisation accrue. « Il est essentiel de sensibiliser non seulement les conducteurs, mais aussi les autres usagers de la route. Ils doivent réagir en cas de comportement à risque, comme un conducteur zigzaguant ou ayant les yeux rouges », précise-t-il.
Réaction rapide
Alain Jeannot insiste sur la nécessité d'un système de dénonciation pour ceux qui conduisent sous l’effet de drogues ou d’alcool. « Il doit y avoir une hotline où des personnes peuvent dénoncer. La police doit intervenir rapidement, et un système de dénonciation efficace est essentiel pour combattre ce fléau », pense-t-il.
Il appelle de plus à des sanctions plus sévères et immédiates. « Le système judiciaire doit être plus rapide, et les sanctions doivent être systématiques. Si un conducteur sous influence attend un an, voire deux, pour être jugé, cela met en danger la vie des autres usagers », précise-t-il. Il souligne le décalage entre la médiatisation des cas et l’application des sanctions.
Défis à relever
Notre interlocuteur constate par ailleurs que le système actuel est à la traîne face aux évolutions du trafic et des méthodes des trafiquants de drogue. « Les réseaux de drogue se développent de manière systématique, et nous restons en retard. Nous devons constamment adapter notre système pour faire face aux nouvelles drogues, qui peuvent être indétectables avec les tests actuels », explique-t-il. Il appelle à une collaboration renforcée avec les pays voisins comme La Réunion et l’Afrique du Sud pour lutter contre le trafic de drogue.
Combinaison de drogue et d’alcool
D’autre part, Alain Jeannot souligne que la combinaison de drogues et d’alcool multiplie par quatorze le risque d’accidents fatals. Selon lui, la lutte contre la conduite sous l'influence de substances illicites devrait commencer dès l'école mais aussi avec des programmes de sensibilisation ciblant les jeunes conducteurs.
Pour le président de PRAT, « la lutte contre la drogue au volant doit être continue et doit s’adapter aux nouvelles menaces ». Le pays doit développer des systèmes de détection plus avancés et garantir une mise en œuvre rapide des lois. « La saisie de véhicules et le renforcement des contrôles doivent être assurés pour que ceux qui mettent en danger la vie des autres soient sanctionnés sans délai », conclut-il.
L’expert en sécurité routière, Barlen Munusami, pense aussi que ce phénomène est « grave, mais que ce n’est pas un problème nouveau ». « La situation a pris une tournure inquiétante ces dernières années, avec une augmentation des accidents de la route liés à la consommation de drogues. L’introduction récente de kits permettant de détecter la drogue dans la salive des conducteurs a permis de mettre en lumière ce phénomène qui passait auparavant inaperçu », souligne notre interlocuteur.
Approche tolérance zéro
Il estime que la mise en place de tests de détection envoie un message clair. « Il n’y a plus de place pour la tolérance dans ces cas. Conduire sous l'influence de drogues est passible de sanctions sévères. Les substances comme le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et le LSD sont soumises à une tolérance zéro. Toutefois, la procédure n’est pas encore assez rapide, ce qui limite son efficacité », déplore ce dernier.
Morphine et médicaments prescrits
L’expert précise, d’autre part, qu’un débat persiste concernant certains médicaments comme la morphine, utilisés pour traiter la douleur. « La morphine, si administrée correctement, ne constitue pas un danger immédiat pour la sécurité routière. Cependant, lorsqu’elle est consommée à fortes doses, elle devient un facteur de risque », explique Barlen Munusami.
Nécessité de sanctions renforcées
Comme Alain Jeannot, il revient aussi sur la nécessité d'une réforme législative plus stricte. « Les sanctions doivent être plus sévères et être appliquées plus rapidement. Actuellement, même après un test positif, les sanctions sont à la discrétion des magistrats, ce qui entraîne des incohérences dans leur application », souligne ce dernier.
Refus de se soumettre à un test d'alcoolémie ou de drogue
Le refus de se soumettre à un test de détection constitue un problème. « Quand un conducteur refuse un test, il doit être sanctionné. La loi actuelle permet un refus dans certaines situations, mais cela doit changer pour assurer la sécurité routière », est-il d’avis.
Efficacité des tests et la recherche scientifique
Il ajoute que les tests salivaires sont efficaces pour une détection préliminaire, mais ils ne sont pas toujours suffisants. « Un test salivaire positif doit être confirmé par un test sanguin pour prouver la présence de drogues », explique notre interlocuteur qui préconise une collaboration internationale pour améliorer la recherche sur les comportements des conducteurs sous influence de drogues.
Pour Barlen Munusami, il est crucial que le gouvernement modifie rapidement la législation pour inclure des sanctions immédiates et inévitables pour toute personne conduite sous l'influence de drogues.
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A savoir
De plus, si un conducteur est testé positif après un accident, son assurance ne couvrira pas les dommages causés qui seront alors à la charge exclusive du conducteur. Il risque également de se retrouver par la suite sans compagnie d’assurance qui couvrira son véhicule à un tarif raisonnable.
Les mesures proposées
Contrôles inopinés :
- Intensifier les contrôles routiers de manière aléatoire, y compris la nuit et dans les zones à risque.
- Mener davantage d’opérations « coup de poing » pour créer un effet dissuasif.
Loi plus stricte et « Fast track » judiciaire :
- Accélérer le traitement des cas liés à la conduite sous influence de stupéfiants pour que les sanctions soient appliquées immédiatement, afin d’avoir un effet dissuasif.
- Introduire la saisie des véhicules comme mesure pour les conducteurs sous l’effet de drogues, pour protéger la vie des autres usagers de la route
Sensibilisation et éducation :
- Intégrer des programmes de prévention dès le jeune âge, notamment sur les dangers de la drogue et l'alcool au volant.
- Renforcer la sensibilisation auprès des conducteurs, mais aussi des autres usagers de la route, pour qu’ils réagissent en cas de comportement à risque.
Réformes législatives :
- Faire évoluer la législation pour imposer des sanctions immédiates et inévitables pour toute personne sous l’influence de substances illicites.
- Adapter les lois en fonction des contextes d’utilisation des médicaments comme la morphine, tout en distinguant les substances dangereuses en fonction de leur seuil d’utilisation.
Dissémination de kits de détection améliorés :
- Introduire des tests de détection plus précis, notamment pour confirmer les tests salivaires par des analyses sanguines.
Collaboration internationale :
- Renforcer les partenariats avec des pays voisins comme La Réunion et l’Afrique du Sud pour lutter contre le trafic de drogues.
Zoom sur des cas récents
Accident à Sainte-Croix : Un chauffeur de camion testé positif à la drogue
Le 10 janvier dernier, un chauffeur de camion de voirie, sous l’effet de la drogue, a été impliqué dans un accident à Sainte-Croix était. Il s’agit d’un ressortissant malgache résidant à Grande-Rivière-Nord-Ouest.
L’accident a eu lieu sur la route Cocoterie, où le camion a percuté un motocycliste, un mur d’enclos et une motocyclette en stationnement, avant de finir sa course contre un mur d’un commerce. Les policiers de la brigade d’Abercrombie ont trouvé le conducteur à moitié hors de la cabine. Il a été arrêté pour « conduite dangereuse ayant causé des blessures ». Le motocycliste blessé a été soigné à l’hôpital Dr. A.G. Jeetoo avant de rentrer chez lui.
Accident à Quartier-Militaire : Un conducteur de 25 ans, sous l’influence de la drogue, tue une sexagénaire
Ameena Suhobooa, âgée de 68 ans, est décédée le dimanche 9 février dernier, après un accident survenu la veille à Quartier-Militaire. Elle était passagère d’une fourgonnette percutée par une voiture conduite par Kevin Anthonee, 25 ans, de Mahébourg.
L’accident a eu lieu sur la route principale à Belle-Rive. Suite à cette collision entre les deux véhicules, les quatre occupants de la fourgonnette, blessés, ont été transportés à l’hôpital Jawaharlal Nehru. Le chauffeur et deux passagers ont reçu des soins avant d’être autorisés à rentrer chez eux, mais Ameena Suhobooa n’a pas survécu.
Le conducteur de la voiture, Kevin Anthonee, a été arrêté et un test de dépistage de drogue a révélé qu’il était sous l’effet de stupéfiants. Il fait face à des accusations pour conduite sous influence de drogue et homicide involontaire.
Comment marchent les ‘drug test kits’ ?
Les drug test kits peuvent déceler la présence de THC (tétrahydrocannabinol) et d’autres drogues dans l’urine.
Comme le cannabis peut rester dans l’urine pendant un mois, les conducteurs qui se droguent risquent gros.
Comment ça marche ? Il y a tout d’abord l’analyse des échantillons de la salive ou de l’urine. L’urine des conducteurs qui sont soupçonnés d’avoir pris de la drogue est récupérée dans un petit récipient en plastique qui contient des réactifs au THC, la principale molécule active du cannabis. Ce résultat positif devra ensuite être confirmé par un test sanguin, qui va préciser la quantité exacte de THC dans le sang. Le conducteur devra se rendre à l’hôpital le plus proche pour effectuer un prélèvement sanguin. L’échantillon sera envoyé au Forensic Science Laboratory pour des analyses. Si les résultats sont positifs, le conducteur répondra de conduite après avoir pris un produit illicite.
Limites des médicaments sur prescription
- Clonazépam : Pas plus de 50 microgrammes par litre de sang.
- Flunitrazépam : Pas plus de 300 milligrammes par litre de sang.
- Diazépam : Pas plus de 550 microgrammes par litre de sang.
- Lorazépam : Pas plus de 100 microgrammes par litre de sang.
- Méthadone : Pas plus de 500 microgrammes par litre de sang.
- Morphine : Pas plus de 80 microgrammes par litre de sang.
- Oxazépam : Pas plus de 300 microgrammes par litre de sang.
Ce que prévoit la loi
Me Nabiil Kaufid (photo) indique que la Road Traffic (Amendment) Act 2019 prévoit des sanctions sévères pour toute personne qui conduit après avoir pris de la drogue ou un produit illicite. « Selon cette loi, une telle conduite constitue une infraction et elle est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à Rs 75 000, ainsi que d’une peine d’emprisonnement d’un an ou plus », explique l’avocat.
Il met en lumière que la section 123 (E) (3) (a) de cette loi stipule que les contrevenants encourent une amende variant de Rs 20 000 à Rs 50 000, en plus d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. « En cas de récidive ou de condamnation ultérieure, l’amende est augmentée, oscillant de Rs 50 000 à Rs 75 000. Et la peine d’emprisonnement est d’une durée « d’au moins douze mois et ne dépasse pas huit ans », indique notre interlocuteur.
Sanctions renforcées
Il y aura des sanctions plus sévères pour les automobilistes qui conduisent en état d’ébriété ou après avoir pris de la drogue. Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a annoncé un durcissement de la législation en la matière, insistant sur la confiscation des véhicules des contrevenants. « Nou pou pran bann mesures très sévères », a-t-il indiqué. Il a souhaité que le véhicule de toute personne prise en flagrant délit de conduite en état d’ébriété ou après avoir pris de la drogue soit saisi. Il a ajouté que les lois seront revues. « Bizin sanz la loi. Pa kapav aksepte sa. »
Ces déclarations interviennent au lendemain d’un accident à D’Épinay, le mardi 25 février. Un conducteur a percuté cinq volontaires qui distribuaient des repas aux pèlerins revenant de Grand-Bassin. Navin Ramgoolam a confirmé la réintroduction prochaine du permis à points lors d'une intervention lors des célébrations du Maha Shivaratri.
Quelques chiffres
Juin à décembre 2022
- 47 automobilistes ont été testés positifs à la drogue et deux ont refusé de passer le test.
2023
- 657 condamnations pour conduite après avoir pris des stupéfiants.
- De janvier à septembre 2023, 553 automobilistes ont été testés positifs à la drogue et neuf ont refusé de passer le test.
Janvier et février 2024
- 219 conducteurs ont été arrêtés pour conduite après avoir pris de la drogue.
Janvier à juin 2024
- 892 cas de conduite après avoir pris de la drogue ont été enregistrés par la police.
Incidents durant les dernières 48 heures
- Quinze conducteurs ont été arrêtés pour conduite en état d’ébriété ou après avoir pris de la drogue.
20 et 21 janvier 2025
- Le lundi 20 janvier, sept conducteurs ont été arrêtés pour conduite en état d'ébriété et un conducteur pour conduite après avoir pris de la drogue.
- Le mardi 21 janvier, quatre autres automobilistes ont été arrêtés pour conduite en état d’ébriété et trois pour conduite après avoir pris de la drogue. Ils ont tous été placés en cellule de dégrisement.
Vigilance accrue des autorités
Selon nos recoupements, au niveau de la Traffic Branch, les contrôles pour lutter contre la conduite sous influence de drogues ont été intensifiés. « Ces derniers temps, nous avons constaté une recrudescence des cas, impliquant même des chauffeurs de bus », confie une source policière.
Face à cette situation préoccupante, une brigade spécifique effectue des descentes régulières dans les gares routières, tandis que la Road Safety Unit a reçu pour directive d’organiser des contrôles inopinés. « Nous faisons beaucoup de contrôles, notamment à Grand-Baie et Flic-en-Flac, pour détecter à la fois l’alcool et les drogues », précise notre source.
Selon notre interlocuteur, les chiffres témoignent de l’ampleur du phénomène. « L’année dernière, nous avons enregistré entre 900 et 1 000 cas. Cette année, au rythme actuel, nous avons dépassé largement les 200 cas durant ces deux premiers mois de l’année », indique-t-il.
Motif valabe
Il explique que depuis 2022, un nouveau règlement impose aux conducteurs de véhicules de se soumettre à des tests de dépistage de drogue. « Nous vérifions la présence de drogues dures et des médicaments prescrits. Même si le test salivaire est négatif, en cas de doute sur une drogue synthétique, un prélèvement sanguin est effectué », précise notre interlocuteur.
Les forces de l’ordre ont déjà rencontré des cas où le test salivaire ne révélait rien, alors que le comportement du conducteur laissait présager une influence de substances illicites. « Si un policier a des doutes, nous procédons à une analyse sanguine. Ensuite, c’est le laboratoire médico-légal qui confirme la présence de substances », fait comprendre notre source.
Toutefois, certains conducteurs refusent de se soumettre aux tests. « La loi prévoit que seul un motif valable peut justifier un refus. En l’absence de raison légitime, nous procédons à une arrestation et le conducteur est poursuivi pour refus de test. L’amende s’élève alors à Rs 20 000, et il risque également des poursuites pour conduite sous influence », avertit-on.
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