Ce jeudi 6 décembre 2018 se tiendra la grande réunion tripartite annuelle présidée par le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth. Patronat, gouvernement et représentants des travailleurs seront à la même table pour déterminer le quantum de la compensation salariale à être payé dès janvier 2019. Mais la compensation annuelle compense-t-elle vraiment la perte du pouvoir d’achat des travailleurs ?
La première réunion sur la compensation salariale s’est tenue, le jeudi 22 novembre, sous la présidence du ministre du Travail, Soodesh Callichurn. Le comité tripartite se rencontre à nouveau demain. Entre-temps, les spéculations vont bon train et les propositions syndicales pleuvent. Au niveau de Statistics Mauritius, l’on prévoit un taux d’inflation de 3,3 % pour l’année 2018, alors que le taux de croissance est estimé à 3,9 %. L’année dernière, à pareille époque, l’actualité était dominée par l’introduction du salaire minimum. Cette fois-ci, même si un ‘mood’ pré-électoral prévaut avec le gouvernement en place abordant sa dernière année du présent mandat, d’aucun pense que la rigidité économique primera sur la partisanerie électorale. Donc, ceux qui s’attendent à une compensation « Père Noël » doivent repasser.
À noter que la dette publique a déjà frôlé la barre de Rs 307 milliards, en septembre dernier. Les chiffres officiels de la Banque de Maurice indiquent, eux, que les banques ont prêté, au 31 octobre dernier, environ Rs 360 milliards au secteur privé.
Chaque année, il y a une réunion tripartite, à laquelle sont conviés les représentants du patronat, les syndicalistes et le gouvernement. Les syndicats font leurs propositions, le patronat exprime ses craintes quant à la capacité de payer et le gouvernement conclut le montant final. Mais est-ce que la compensation salariale annuelle compense-t-elle vraiment la perte du pouvoir d’achat des travailleurs ? Y a-t-il un autre moyen pour déterminer la compensation ou des formes compensatoires alternatives ? Le syndicaliste Rashid Imrith explique que le comité tripartite est un mécanisme politique et non pas administratif et il est important. Il n’y a pas d’autre alternatif. Pour l’économiste Pierre Dinan, c’est une question assez compliquée. Cet exercice est une tradition bien établie. « La compensation est déterminée en fonction du taux d’inflation. Dans le passé, j’avais dit qu’il faut aussi considérer la productivité comme un des facteurs », dit l’économiste. Il explique qu’il y a des gens qui peuvent faire face à une perte du pouvoir d’achat, mais les autres, comme ceux au bas de l’échelle, méritent une bonne compensation. Cependant, il trouve qu’un montant fixe est mieux qu’un pourcentage, car avec un montant fixe, ceux au bas de l’échelle obtiennent mieux. « Cela ne me dérange pas si on tient compte de l’inflation pour compenser les gens dans le besoin, comme les petits salariés et ceux qui touchent une pension ou une aide sociale, mais pour le reste, il faut prendre en compte la productivité aussi. » Il ajoute que la productivité ne concerne pas que la main-d’œuvre, mais le capital également.
La compensation est déterminée en fonction du taux d'inflation.
Le syndicaliste Faisal Ally Beegun, de la ‘Textile Manufacturing and Allied Workers Union’, explique que la réunion tripartite est devenue une routine annuelle où, il a l’impression que le gouvernement joue avec les syndicats. « Chaque année nous proposons nos chiffres et le gouvernement vient lui avec un chiffre final dérisoire. Or, ce n’est que lorsqu’on nous sommes à la veille des élections que le gouvernement vient avec un chiffre mirobolant. Je pense que les politiciens doivent cesser de jouer avec les syndicalistes », dit Faisal Ally Beegun. Il explique que la compensation salariale ne compense pas vraiment, parce qu’en parallèle, les prix commencent déjà à augmenter. « Déjà l’on nous a annoncé une hausse probable du tarif d’électricité. Et en janvier, je prévois une cascade d’augmentations. Alors de quelle compensation parle-t-on ? » Il propose que le salaire minimum doit pouvoir arriver jusqu’à Rs 15 000, car une famille mauricienne moyenne ne peut pas vivre décemment avec Rs 9 000 par mois. « Imaginez quelqu’un qui doit payer un loyer, des leçons particulières, comment peut-il vivre avec Rs 9 000 ? Beaucoup de travailleurs sont obligés d’exercer un second boulot, comme le font les travailleurs étrangers durant le week-end. En passant, ayons une pensée spéciale pour les travailleurs étrangers qui, eux-aussi, méritent une bonne compensation. »
Darmen Appadoo, travailleur social, indique que, chaque année, il propose que le gouvernement baisse le taux de la TVA. « C’est la meilleure façon d’augmenter le pouvoir d’achat. Si le secteur privé n’a pas la capacité de payer une compensation généreuse, alors que le gouvernement baisse la TVA, ce qui provoquera une baisse de prix. »
Radhakrishna Sadien : «Contrôler les prix pour protéger le pouvoir d’achat»
Le président de la Government Services Employees Association, Radhakrishna Sadien, met cette année l’emphase sur le contrôle des prix comme un prélude à la compensation salariale. Pour le syndicaliste, le pays fait face à un gros problème d’augmentation de prix des produits de consommation et il semble qu’il n’y a aucun contrôle. « L’objectif de la compensation salariale est de compenser, la perte du pouvoir d’achat des travailleurs, mais comment peut-on les compenser quand il n’y a aucun contrôle de prix ? » se demande le syndicaliste, qui veut lancer un appel au gouvernement pour considérer l’ampleur de ce problème. « L’affichage de prix fait toujours défaut. Dans certains cas, le prix se décide en fonction de la tête ou du porte-monnaie du client. Le consommateur est l’éternel tondu », dit Radhakrishna Sadien. Il dénonce aussi des pratiques malveillantes, par exemple facturer à un prix exorbitant un sac en papier à l’achat du pain ou la vente du poisson décongelé comme frais.
Deuxièmement, il pense qu’il doit, aussi, avoir un meilleur contrôle sur la qualité des produits mis en vente. « Le client est toujours à la recherche du prix le plus bas, mais des commerçants sans scrupules profitent de la situation pour proposer des produits de qualité médiocre et c’est le client qui souffre. »
Troisièmement, il est d’avis qu’il faut davantage réduire l’écart entre ceux au bas de l’échelle et ceux au sommet de la hiérarchie. « On ne peut avoir un salaire de Rs 10 000 d’un côté et d’un million de l’autre côté. » Le syndicaliste trouve que les salariés de la classe moyenne sont les plus pénalisés, car leur niveau de salaire ne leur confère pas l’éligibilité aux diverses programmes d’aide de l’État, mais ils sont ceux qui paient le plus de taxe, alors que beaucoup de gens aisés, comme les commerçants, les professionnels ‘self employed’, etc. peuvent éviter le fisc. Pour en revenir à la compensation, le syndicaliste dit n’avoir pas travaillé un chiffre à proposer, mais il estime que le travailleur mérite jusqu’à cinq pour cent. Il est d’avis que le salaire minimum n’est pas suffisant pour vivre décemment et le CPI ne reflète plus la réalité car les produits de base ont changé. « Par exemple, à certaines heures, le pain maison se fait rare et le consommateur est obligé d’acheter le pain dit de luxe dont le prix n’est pas contrôlé. Tout comme l’eau embouteillée est devenue une nécessité, car les gens doutent de la qualité de l’eau du robinet. » Radhakrishna Sadien conclut que le Pay Research Bureau n’a pas encore réajusté le salaire dans le secteur public par rapport au salaire minimum.
Inflation et compensation 2007-2018
Année | Taux de croissance % | Taux d’inflation % | Compensation salariale |
---|---|---|---|
2007 | 5,7 | 8,8 | Rs 135 |
2008 | 5,5 | 9,7 | Rs 400 |
2009 | 3,1 | 2,5 | Rs 400 |
2010 | 4,2 | 2,9 | Rs 420 |
2011 | 3,6 | 6,5 | Rs 175 à Rs 190 |
2012 | 3,4 | 3,9 | Rs 330 à Rs 460 |
2013 | 3,2 | 3,5 | Rs 300 à Rs 345 |
2014 | 3,5 | 3,2 | Rs 300 à 740 |
2015 | 3,5 | 1,3 | Rs 600 |
2016 | 3,8 | 1,0 | Rs 150 |
2017 | 3,8 | 3,5 | Rs 200/Rs 125 |
2018 | *3,9 | *3,3 | Rs 360 |
Observations et diagnostics économiques.
Zohra Gunglee : «Il est temps de repenser les méthodes de compensation»
Zohra Gunglee, économiste et chargée de cours à la UCLan Mauritius, pense que les débats autour de la compensation salariale et les réunions tripartites se ressemblent d’année en année, mais n’attaquent pas vraiment le fond du problème. Elle estime aussi que la compensation salariale n’est pas le seul moyen qui consiste à compenser la perte du pouvoir d’achat. « Contrairement à beaucoup de pays, à Maurice nous avons le transport gratuit, les subsides sur le riz, la farine et le gaz ménager. Les consommateurs ne payent pas l’eau pour les six premières unités consommées. Il y a, également, plusieurs plans d’aide, des programmes d’éradication de la pauvreté, des schemes, etc., pour alléger le fardeau de la classe ouvrière. Indirectement, ce sont des compensations. Si on ajoute le coût de tout cela, on peut bien dire que la famille mauricienne moyenne bénéficie d’un montant de compensation assez conséquent », explique l’économiste. Ainsi, elle est d’avis que, comparativement, la compensation mensuelle fait pale figure par rapport à toutes ces subventions. Zohra Gunglee pense qu’au lieu de dépenser des milliards pour donner une petite compensation à chaque travailleur, on aurait pu investir le montant global dans des vastes projets de société, afin que la population bénéficie mieux. « Par exemple, on achète une cinquantaine d’ambulances additionnelles, ou davantage de camions-citernes pour la CWA, ou encore investir dans l’énergie solaire à grande échelle pour faire baisser le tarif d’électricité », propose-t-elle. Elle conclut que la compensation salariale ne devrait pas être un simple exercice de calcul qui se fait une fois l’an, mais elle devrait plutôt être un exercice continu tout le long de l’année pour voir comment vraiment compenser les travailleurs, pas nécessairement en termes monétaires, mais sous différentes formes innovantes.
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