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Compensation salariale 2026 : les syndicats réclament jusqu’à Rs 1 000, les employeurs plaident pour la modération

Face à l’inflation, les syndicats et les employeurs s’opposent sur le montant de la compensation salariale à Maurice. Si les travailleurs revendiquent jusqu’à Rs 1 000, les patrons et PME plaident pour un chiffre plus modéré afin de protéger la compétitivité, l’emploi et la stabilité financière des entreprises.

Le dossier de la compensation salariale a été déposé au Conseil des ministres vendredi dernier. Cette première étape vise à établir le calendrier des consultations tripartites qui permettront de fixer le montant de la compensation attribuée aux travailleurs pour l’année à venir. Alors que le coût de la vie continue de peser lourdement sur les ménages, les différentes instances syndicales expriment déjà des positions divergentes, mais convergent sur un point : l’urgence de soulager le pouvoir d’achat des salariés.

Pour Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress, la situation s’est nettement dégradée ces derniers mois. Selon lui, les travailleurs sont aujourd’hui confrontés à une pression financière accrue, bien au-delà de ce que révèlent les chiffres officiels. « Nous ne nous basons pas sur le chiffre d’inflation de Statistics Mauritius pour déterminer le montant de la compensation salariale. Nous ne sommes pas d’accord avec ces chiffres. Les prix pratiqués dans les grandes surfaces ne reflètent pas le coût réel de la vie », affirme-t-il. 

Il estime que la compensation salariale ne devrait pas être en dessous de Rs 1 000. De plus, il remet en question la méthodologie utilisée pour calculer le taux d’inflation. Selon lui, les statistiques intégreraient trop souvent les prix promotionnels pratiqués en fin de mois dans les supermarchés. « En réalité, beaucoup de Mauriciens ne font pas leurs achats pendant ces promotions. Les chiffres sont donc erronés », soutient-il. 

Le dossier de la compensation salariale a été déposé au Conseil des ministres vendredi dernier. Cette première étape vise à établir le calendrier des consultations tripartites qui permettront de fixer le montant de la compensation attribuée aux travailleurs pour l’année à venir».


Il ajoute que les hausses généralisées des prix des denrées alimentaires et des médicaments aggravent la situation. De ce fait, il insiste pour que tous les travailleurs, y compris les pensionnaires, bénéficient de la compensation.

Basée sur le nouveau salaire minimum

À la Confédération des Travailleurs des Secteurs Public et Privé (CTSP), une approche différente est avancée. La porte-parole, Jane Ragoo propose une compensation basée sur le nouveau salaire minimum, conduisant à un montant de Rs 855. « Nous proposons que l’ajustement compensatoire soit déterminé selon le nouveau salaire minimum, ce qui donne un montant de Rs 855 », explique-t-elle. 

Selon la CTSP, les travailleurs à bas revenus demeurent les plus vulnérables face à l’inflation persistante. Elle insiste également sur la nécessité de préserver l’intégralité des allocations sociales. « Le montant proposé ne doit pas être déduit ni compensé contre l’allocation CSG ou tout autre bénéfice social », fait-elle ressortir. À ses yeux, toute tentative de compenser une allocation par une autre reviendrait à maintenir une « discrimination systémique » qui aurait déjà engendré une « perte cumulée de Rs 1 555 de pouvoir d’achat pour les travailleurs à faible revenu depuis janvier 2024 ».

Pour sa part, Reeaz Chuttoo, également porte-parole de la CTSP, met l’accent sur les perspectives difficiles pour l’année 2026. Il rappelle que les conditions climatiques extrêmes, de plus en plus fréquentes, auront des répercussions directes sur les prix des produits frais. « Comme chaque année, Maurice fera face à une inflation élevée, aggravée par les pluies torrentielles et les cyclones », avertit-il. À son avis, ces éléments contribuent à l’érosion continue du pouvoir d’achat. Ils risquent de créer des tensions sociales si aucune mesure significative n’est prise.

Du côté de la General Workers Federation (GWF), le négociateur syndical, Ashvin Gudday va plus loin en affirmant que la compensation salariale doit impérativement dépasser Rs 1 000. « Il est clair qu’aujourd’hui la population peine à joindre les deux bouts avec la cherté de la vie et une perte croissante du pouvoir d’achat », dit-il. 

Il souligne également l’impact de la suppression progressive de l’allocation CSG, qui, selon lui, soulageait beaucoup de familles mauriciennes. Par ailleurs, il estime que les Rs 2 milliards injectés récemment dans l’économie « ont été engloutis et n’ont pas eu l’effet escompté ». Ashvin Gudday attire également l’attention sur l’augmentation continue des prix des médicaments. 

Il rappelle que de nombreux citoyens attendaient la mise en place de la gratuité des médicaments annoncée en période électorale, une mesure qui demeure, selon lui, lettre morte. Pour les familles, la situation s’annonce encore plus difficile à l’approche de la rentrée scolaire, dans un contexte où, contrairement à l’année précédente, aucun 14e mois ne sera versé. « Les travailleurs espèrent une compensation qui saura soutenir le panier ménager », affirme-t-il.

Au-delà de la compensation salariale, Ashvin Gudday plaide pour une refonte de la politique économique nationale. Selon lui, un gouvernement responsable doit s’efforcer de stabiliser la roupie, de réduire la dépendance du pays aux importations aujourd’hui estimée à 75 % et de promouvoir une production locale renforcée afin d’assurer la souveraineté alimentaire du pays. « Une politique économique holistique, avec plus de créativité, est nécessaire », souligne-t-il.

Employeurs : entre l’équilibre et la prudence 

Les employeurs appellent à la prudence. S’ils reconnaissent l’impact de l’inflation sur les salariés, ils estiment qu’un montant trop élevé pourrait fragiliser les entreprises. Ils soulignent la nécessité de trouver un équilibre entre rémunération et performance.

Pradeep Dursun, COO de Business Mauritius : « La compensation salariale doit être déterminée selon une formule transparente »

« La position de Business Mauritius a toujours été consistante : la compensation salariale doit être déterminée selon une formule transparente et fondée sur des données objectives », explique Pradeep Dursun, COO de Business Mauritius. 

Plus largement, il nous paraît essentiel que les processus de détermination des salaires s’appuient sur un cadre robuste, prévisible et équitable. Ce cadre doit protéger à la fois le pouvoir d’achat des salariés et la viabilité économique des entreprises, en particulier des PME 

« Les éléments qui guideront notre position demeurent l’inflation, l’évolution de la productivité et les performances sectorielles, des paramètres indispensables pour parvenir à une décision juste, soutenable et dénuée de considérations conjoncturelles », conclut-il.

Les PME alertent sur un risque de survie

Les petites et moyennes entreprises (PME) du secteur textile se préparent à un défi financier avec le paiement imminent de la compensation salariale.

Ajay Beedassy, président de la SME Chambers, souligne que cette compensation s’inscrit dans un cadre légal, mais que son montant reste un sujet de débat. Selon lui, Maurice se distingue parmi les pays où le salaire dans le secteur manufacturier textile est relativement élevé, dépassant celui de pays comme l’Inde. Pour lui, il serait prudent que le montant de la compensation soit maintenu au niveau le plus bas possible afin de ne pas mettre en péril la survie des PME.

Les propositions des syndicats, variant entre Rs 855 et Rs 1 000, ne trouvent pas d’écho auprès des représentants des PME. « Les syndicats ne peuvent agir de manière à ce qu’il n’y ait plus d’usines à Maurice », affirme Ajay Beedassy. Il rappelle que les PME du textile ne sont pas profitables et que toute pression financière supplémentaire compliquerait leur situation. 

Le secteur privé reste un acteur clé du développement économique, mais il ne peut assumer des charges additionnelles sans assistance gouvernementale. Les séquelles du 14e mois sont encore présentes, et les PME soulignent qu’elles ne pourront assurer le paiement de la compensation salariale sans soutien. La question reste ouverte quant à l’équilibre entre les droits des salariés et la viabilité des entreprises locales.

Nitish Rama, directeur de V Formula, entreprise spécialisée dans le textile, explique que les propositions avancées par les syndicats reflètent une préoccupation légitime face à l’augmentation du coût de la vie. « Il est essentiel de soutenir le pouvoir d’achat des employés. Toutefois, la compensation salariale doit également tenir compte de la capacité réelle des entreprises à absorber une telle hausse, dans un contexte économique encore fragile », fait-il comprendre. 

À ce stade, il estime qu’une approche équilibrée, fondée sur les données économiques disponibles, est nécessaire afin de protéger les travailleurs sans fragiliser les entreprises. Pour lui, une augmentation trop élevée de la compensation salariale pourrait avoir des répercussions importantes sur la compétitivité des entreprises. 

« Les PME, déjà soumises à une hausse généralisée des coûts, sont particulièrement vulnérables. Une compensation mal calibrée risque de réduire les marges, limiter les investissements, ralentir la création d’emplois et entraîner des fermetures ou restructurations », souligne Nitish Rama. Il avance ainsi qu’il est essentiel de trouver un compromis qui préserve à la fois l’emploi, la stabilité financière des entreprises et la dynamique économique nationale.

Le directeur de V Formula estime qu’il est également important de rappeler que de nombreuses entreprises doivent pouvoir investir dans des technologies, des outils numériques et des solutions d’automatisation. Ces investissements leur permettraient d’améliorer leur productivité et de compenser la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs.

Pour que ces investissements soient possibles, dit-il, les entreprises ont besoin d’un environnement financier stable et d’une marge de manœuvre suffisante. « Une augmentation trop forte des charges salariales pourrait freiner cette transition technologique pourtant nécessaire pour maintenir la compétitivité du pays à long terme », soutient-il.

Dans un souci de responsabilité économique, Nitish Rama estime qu’une compensation située entre Rs 600 et Rs 800 serait plus soutenable. « Cette fourchette aide les employés à mieux faire face au coût de la vie, reste gérable pour les PME et préserve la capacité des entreprises à investir dans l’innovation et la modernisation », dit-il. Par ailleurs, il avance que des mesures différenciées selon la taille des entreprises pourraient être envisagées. Des dispositifs d’accompagnement spécifiques permettraient également de réduire l’impact sur les structures les plus vulnérables.

De Rs 135 à Rs 170 

Quand Padayachy critiquait les anciennes compensations salariales

Au Parlement, lors du « summing up » du budget 2024-25, l’ancien ministre des Finances Renganaden Padayachy avait critiqué les compensations salariales accordées sous le gouvernement Ramgoolam. Il a rappelé qu’entre 2006 et 2014, de nombreux employés percevaient moins de Rs 1 500 par mois, sans salaire minimum ni dispositifs de soutien.

Selon lui, les ajustements décidés à l’époque – Rs 170 en 2006 avec une inflation de 8,9 %, puis Rs 135 en 2007 pour une inflation de 8,8 % – ne permettaient pas de faire face à la hausse du coût de la vie. Il a évoqué une inflation cumulée de plus de 62 % sur cette période, soulignant que 216 000 ménages vivaient en 2014 avec moins de Rs 25 000 mensuelles et avaient reçu Rs 300 de compensation.

Il avait en revanche défendu les mesures sous le régime de Pravind Jugnauth, mettant en avant une compensation située entre Rs 1 500 et Rs 2 000 pour 2024.

Suren Surat, CEO de SKC Surat : «Un montant d’environ Rs 500 pourrait être approprié»

Un montant variant entre Rs 855 et Rs 1 000 pourrait être trop élevé. Cela aura une incidence sur la masse salariale de notre entreprise dès l’année prochaine. Dans un scénario où le montant de la compensation salariale est de Rs 1 000. Nous avons 400 employés. Le montant mensuel équivaudrait à Rs 400 000 et sur une année incluant le 13e mois sera d’environ Rs 6 millions.

Plusieurs mesures ont été prises durant les deux dernières années notamment eu égard des salaires. Les coûts ont augmenté. Certes, la population n’est pas épargnée par l’augmentation des prix dans les supermarchés. Toutefois, il est important de trouver le juste équilibre afin que l’impact ne soit pas plus sévère pour les entreprises. De ce fait, un montant d’environ Rs 500 de compensation salariale pourrait être approprié.

Soyons honnêtes, toute compagnie souhaite que le montant ne soit pas trop élevé. C’est une réaction assez normale. Nous sommes favorables à ce qu’on coupe la poire en deux et reconnaissons que les entreprises doivent faire l’effort. 

François de Grivel, industriel et chef d’entreprise : «Il faut être prudent dans toute augmentation qui sera proposée»

François de Grivel, industriel et chef d’entreprise, plaide pour une approche mesurée. « Il faut être prudent dans toute augmentation qui sera proposée », insiste-t-il. Pour lui, les entreprises ont déjà été confrontées à des hausses significatives ces dernières années, notamment le paiement du 14e mois en 2024. « Les années précédentes ont connu de fortes augmentations salariales, difficiles à supporter pour les entreprises », rappelle-t-il. 

La proposition de certains syndicats, estime-t-il, dépasse le taux d’inflation par rapport au salaire de base. « La proposition de ces deux syndicats est de ce fait un peu élevée », précise-t-il, soulignant la nécessité de modérer les demandes. L’industriel insiste sur le lien entre rémunération et performance. « Toute hausse de salaire doit être ajustée à l’augmentation de la productivité », note-t-il. 

Il ajoute que la compensation salariale ne doit pas se limiter à un simple chiffre, mais s’inscrire dans un dialogue constructif entre employeurs et travailleurs. « La compensation salariale doit être raisonnable sachant que l’inflation a toujours existé. Il faut être prudent dans toute augmentation qui sera proposée », dit François de Grivel.

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