Législatives 2019

Communication politique durant la campagne électorale - Promesses, surenchères : les limites à ne pas franchir

Communication politique durant la campagne

La campagne électorale est officiellement lancée après la dissolution du Parlement ce dimanche 6 octobre. Certains ont déjà pris l’initiative, notamment le Premier ministre Pravind Jugnauth, qui a déjà tiré la première salve.

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La promesse est de doubler la pension de vieillesse, qui atteindra les Rs 13 500 durant son prochain mandat s’il est élu, soit d’ici 2024. Cet engagement de son gouvernement est sur toutes les lèvres depuis le mardi 1er octobre. C’est le sujet des conversations, dans la rue, dans l’autobus et sur les réseaux sociaux. D’autres en ont profité pour faire de la surenchère politique, le Reform Party de Roshi Badhain a déjà proposé Rs 15 000, alors que d’autres ont mis l’accent sur les difficultés de réaliser une telle promesse.

Rajen Bablee : « Les surenchères prendront le dessus sur la réflexion idéologique »

Rajen Bablee

Rajen Bablee, le directeur exécutif de Transparency Mauritius, suivra de très près le déroulement de cette campagne électorale. Il est d’avis que la surenchère politique prendra le dessus sur les idéologies. Il déplore l’échec du projet de loi sur le financement des partis politique, qui aurait pu apporter une solution à ce phénomène.

La campagne électorale est là. On constate déjà de la surenchère politique et des promesses électorales. Que doit-on attendre de cette campagne ?
D’abord, je dois dire que Transparency Mauritius déplore le fait que le projet de loi sur le financement des partis politiques n’a pas été voté. Ce texte comportait plusieurs éléments susceptibles d’améliorer le paysage démocratique mauricien. L’absence de règlementation engendre une situation propice à la corruption, au blanchiment d’argent et au népotisme. Je pense que les surenchères prendront le dessus sur la réflexion idéologique et politique et c’est dommage. Cependant, à l’heure où l’on se parle, la date des élections générales n’a pas encore été annoncée et on ne sait pas quelle sera la durée de la campagne, qui déterminera sans doute les actions ou réactions des uns et des autres.

Quelle est, selon vous, la limite à ne pas franchir ?
Nous souhaitons que les politiciens fassent une campagne saine, sans exagérations en termes de dépenses. Il serait aussi important qu’ils respectent le principe des élections justes et libres. Encore une fois, nous déplorons que le projet de loi sur le financement des partis politiques n’a pas été voté, d’autant qu’il était prévu de donner des pouvoirs à l’Electoral Supervisory Commission, institution qui aurait pu veiller à ce que tout se passe selon les règles.

L’appel de Transparency Mauritius dans la présente conjoncture ?
Le respect de l’adversaire politique et envers les citoyens devra être le mot d’ordre des politiques. Nous faisons un appel aux politiciens afin qu’ils n’achètent pas les votes, qu’ils ne paient pas (en liquide ou en espèces) pour le soutien des électeurs, qu’ils respectent les limites des dépenses autorisées. Nous demandons aussi à la population de ne pas vendre leurs votes et de ne pas profiter de l’occasion pour demander aux candidats de leur payer leurs factures d’électricité ou d’eau, etc.

Pierre Dinan : « La surenchère est mauvaise, surtout pour l’économie »

Pierre Dinan

Les exagérations des politiciens, quand ils font des promesses surtout pour s’attirer le soutien de l’électorat, n’est pas sans conséquences pour l’économie du pays. C’est l’avis de l’économiste Pierre Dinan. Il explique que l’électorat est suffisamment mature pour se poser des questions sur le financement de ces promesses. « Les politiciens ont le droit de faire des promesses. Mais ils doivent aussi venir expliquer où ils comptent trouver les fonds pour les financer. Surtout quand on parle de montants conséquents. Rien que pour doubler la pension de vieillesse, cela coûtera Rs 40 milliards. L’électorat veut savoir si la taxe augmentera ou si l’âge d’éligibilité à la pension sera repoussé. Surtout avec un budget déficitaire ajouté à la dette publique. La roupie sera-t-elle dévaluée ? Les prix des aliments vont-ils augmenter ? Il est normal que l’homme de la rue se pose ce genre de questions. On a vu ce scénario avec l’Angleterre et le Brexit. »

L’économiste va même plus loin et condamne la surenchère politique. « Les partis qui font de la surenchère politique sont les plus irresponsables. En période de campagne électorale, l’économie tourne généralement au ralenti, car les entreprises et investisseurs sont dans l’incertitude et ne prennent pas de décisions. Ajoutés à cela, des promesses exagérées promettent de donner un cocktail explosif. »
Pierre Dinan est cependant pour une campagne électorale très courte. Des snap elections seront bénéfiques au pays et favorables à l’économie. Car après chaque élection, il y a une nouvelle dynamique ou une continuité, dépendant des résultats.

Christina Chan-Meetoo : « L’électorat est friand de promesses »

Christina

Christina Chan-Meetoo, Senior Lecturer en Social Studies à l’université de Maurice, explique que l’électorat mauricien est friand de promesses. Ce que les Mauriciens détestent, ce sont les changements drastiques dans le système. « Nous avons vu le rejet global de la proposition pour une république présidentielle en 2014. Historiquement parlant, il n’y a pas eu d’électorat ayant une tendance à sanctionner des promesses qui paraissent irréalisables », explique Christina Chan-Meetoo.

Elle mentionne, d’ailleurs, les promesses qui étaient jugées irréalisables par les économistes et autres ‘experts’ : l’éducation gratuite, le transport gratuit aux étudiants et la pension de vieillesse à Rs 5 000. Christina Chan- Meetoo est d’avis que l’électorat mauricien préfère les promesses qui favorisent les personnes les plus démunies, les personnes âgées et la population en général sur d’autres promesses basées sur les secteurs de l’économie.

Qui plus est, ajoute-t-elle, « l’électorat ne sanctionnera pas un parti qui aura failli à tenir ses promesses. Si on fait le bilan, beaucoup de promesses restent en l’air. Les partis politiques en réalisent certains et en oublient d’autres. Pour la campagne électorale de 2019, les partis feront dans la continuité, avec une série de promesses. Ce qui change, c’est principalement la vitesse de transmission des messages. Avec les réseaux sociaux, tout se fait plus rapidement. Il n’y a qu’à voir les événements du vendredi 4 octobre. Une simple rumeur de la dissolution du Parlement et les réseaux sociaux s’enflamment. Les partis politiques utiliseront cette plateforme », soutient la Senior Lecturer. Ils ont déjà commencé à l’utiliser avec des applications et des campagnes sur les réseaux sociaux autour de leurs leaders.

Jean-Claude de l’Estrac : « Il faut s’interroger sur la maturité de l’électorat »

Jean Claude

À la veille des élections, nous avons vu le Premier ministre promettre de doubler la pension de vieillesse d’ici 2024. Est-ce de l’indécence ?
Pravind Jugnauth n’est pas le premier chef de gouvernement à tomber dans la facilité de la démagogie et du clientélisme à la veille d’une élection. Nous pourrions dresser une longue liste de ce type de cadeaux électoraux. Les 21 000 emplois provisoires, le transport gratuit. Le cas le plus connu, et peut être le plus proche, est l’annonce de l’éducation gratuite par le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam. L’annonce avait été tellement précipitée et désespérée que le Premier ministre n’avait même pas eu le temps d’avertir son ministre de l’Éducation, le Dr Régis Chaperon, qui l’apprendra, comme tout le monde, en écoutant le journal télévisé.

Et même notre fameux Metro Express. Qui se souvient encore que l’annonce de l’introduction d’un Light Railway System se trouve dans un discours du trône livré à quelques mois des élections législatives de… 1976 ?
On tombe sur les politiciens, mais peut-être devons-nous nous interroger aussi sur la maturité d’un électorat qui n’a qu’un mot à la bouche face aux politiques lors des campagnes électorales : Be ou, ki ou pou fer pou mwa ?

On voit aussi une campagne intensive sur les réseaux sociaux, des applications, une multitude de vidéos et de photos. Tout cela souffre d’un manque d’authenticité, n’est-ce pas ?
C’est ce qu’on appelle une campagne. Elle exploite désormais ces outils nouveaux. Mais je ne crois pas en leur influence décisive. Ils ont tendance à se neutraliser les uns les autres. Et puis, ils sont conçus pour s’adresser plutôt aux partisans. Je n’ai pas encore vu l’ébauche d’une campagne d’analyse et des propositions qui parleraient à la grande masse d’électeurs ne faisant partie d’aucun camp politique, les indécis.
Là où, sans doute, les vidéos font le plus mal, c’est quand ils éveillent la mémoire des électeurs, dont on dit qu’ils n’ont pas de mémoire. On ne peut plus dire que les paroles s’envolent…

Les Mauriciens sont-ils conscients que les promesses et les mesures populaires comportent des risques pour l’économie ? Savent-ils faire la balance ?
Pas ceux qui sont directement bénéficiaires des largesses gouvernementales. Ceux qui profitent dans l’immédiat ne se posent pas ce genre de questions. Et là encore, les prises de position sont presque toujours partisanes.

Quelles limites à ne pas franchir, en ce qui concerne les promesses électorales ?
Tout simplement celles qu’impose la bonne gouvernance ! Et celles qui sont imposées dans les règles de la démocratie, qui exige une confrontation équilibrée et juste. Dans notre système, ce n’est jamais le cas. La caisse gouvernementale est souvent le trésor de guerre du sortant.

C’est pourquoi je n’ai pas compris le refus du financement public par les partis de l’opposition. Parce que le financement public des campagnes existe déjà, mais profite seulement aux partis au pouvoir. Toutes ces manifestations grandioses organisées par les partis au pouvoir, à la veille des élections, font clairement partie de leur campagne et sont financées avec l’argent public. On ne semble plus s’offusquer de cela aujourd’hui.

Et les réalisations ? êtes-vous surpris par le succès du lancement du Metro Express ?
Mais pas du tout, je l’avais même prévu. Au plus fort des récriminations des Mauriciens au début des travaux, j’avais déclaré, dans une interview au Mauritius Times, que le passage des trains dans nos rues provoquerait des wooahs admiratifs des Mauriciens. J’avais estimé que ce nouveau mode de transport public propulserait le pays dans la modernité et susciterait la fierté du citoyen. Il y a un gros travail d’aménagement paysager et d’embellissement à mener sur le trajet du métro, si vous voulons une expérience encore plus satisfaisante.

Je trouve aussi dommage que le Premier ministre n’ait pas associé, à l’événement, son prédécesseur, qui avait lancé le projet à un moment où lui le contestait. Je suis toujours furieux à l’égard de tous ces gouvernements, ministres et décideurs incapables de rendre justice à ceux qui leur ont défriché le terrain. C’est de la mesquinerie.

 

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