À au moins trois reprises, Ameenah Gurib-Fakim a invité à déjeuner à la State House l’Acting CEO de la Financial Services Commission et le CEO du Planet Earth Institute (PEI), accompagnés de Dass Appadu, son secrétaire. Des rencontres qui ont permis au patron du PEI de s’enquérir de sa demande pour des permis de banque d’investissements.
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Le déballage de Dass Appadu, ancien secrétaire à la présidence, s’est poursuivi jeudi après-midi devant la Commission Caunhye. Il a accusé l’ex-présidente, Ameenah Gurib-Fakim, de n’avoir pas pris ses conseils en considération à plusieurs reprises mais a surtout révélé que l’ancienne chef de l’État a organisé au moins trois déjeuners auxquels l’acting CEO de la Financial Services Commission (FSC), Padassery Kuriachen, et Mauricio Fernandes, CEO de Planet Earth Institute et bras droit d’Alvaro Sobrinho, étaient les seuls invités.
Durant ces déjeuners, la question des différents permis des sociétés offshore de l’Angolais a été abordée durant ces déjeuners. Voici la retranscription verbatim de la séance questions-réponses entre le président de la Commission et Dass Appadu.
Asraf Caunhye : Pour quelles raisons appeliez-vous M. Kuriachen ?
Dass Appadu : Je l’ai fait à la demande de la présidente pour savoir où en étaient les choses concernant les demandes de permis. Elle m’a dit qu’elle savait que je le connaissais.
Vous l’avez appelé combien de fois et à quelle fréquence ?
Une demi-douzaine de fois chaque quinzaine.
Les choses prenaient-elles du retard ?
C’est l’impression qu’avait la compagnie de M. Sobrinho.
Il vous répondait quoi ?
Que les choses avançaient.
Combien de fois M. Kuriachen a-t-il été invité par la présidente à déjeuner ?
Trois fois ou plus.
Comment avez-vous pris connaissance de ces invitations ?
La présidente m’a informé qu’elle recevrait M. Kuriachen à déjeuner.
Qui étaient présents à ces déjeuners ?
Moi-même, M. Fernandes et la présidente.
Ils duraient combien de temps en moyenne ?
45 minutes tout au plus.
La question des permis était-elle souvent évoquée durant ces déjeuners ?
Pas tout le temps. Je me rappelle que M. Fernandes avait soulevé la question.
Mais la question était-elle abordée à chaque déjeuner ?
Oui.
Par qui ?
Par M. Fernandes.
Qu’est-ce qu’il demandait au juste ?
Il demandait quand est-ce qu’ils obtiendraient leurs permis.
C’est comme cela que la question était formulée ?
Oui, il demandait pourquoi cela prenait autant de temps.
Êtes-vous intervenu durant ces déjeuners ?
Non.
Vous étiez passif ?
Oui.
Vous étiez au courant du but de ces déjeuners ?
Pas la première fois. La question a été soulevée lors du premier déjeuner.
N’avez-vous pas trouvé cela anormal ?
Pas sur l’instant.
Pourquoi ?
Je n’ai pas réalisé que ce n’était pas normal. Avec le recul, peut-être.
Pourquoi avez-vous aussi appelé M. Ken Poonoosamy (Ndlr : alors directeur du Board of Investment) ?
On m’avait dit qu’ils avaient fait une demande pour acheter des terrains à Ébène auprès du BOI.
Qui vous a dit cela ?
La présidente. Ils s’étaient plaints auprès d’elle. Après les questions du président de la Commission, Me Hervé Duval Jr, avocat d’Ameenah Gurib-Fakim, a pris le relais, tentant de démontrer que Dass Appadu était également impliqué dans les décisions prises à l’époque.
Me Hervé Duval Jr : Vous n’aviez rien à voir avec l’organisation de ces déjeuners ?
Je n’interviens que pour les déjeuners d’État, pas les déjeuners privés.
Estimez-vous que vous avez rempli votre rôle de secrétaire de manière compétente et diligente ?
Oui.
Les règlements disent que vous êtes responsable de tous les arrangements concernant les invités du président.
Il y a une distinction entre les invités officiels, les chefs d’État étrangers et les invités privés.
Vous voulez nous faire croire que tout ce que vous savez à propos du Planet Earth Institute, vous le saviez à travers la présidente ?
Je n’ai jamais dit cela.
Sous votre supervision, les invitations officielles étaient-elles dirigées vers le Registry ?
Toutes les lettres ne viennent pas à moi directement.
Je vous demande si c’est vous en personne qui avez porté à la connaissance de la présidente l’invitation du Planet Earth Institute pour qu’elle prononce le discours liminaire à une fonction à Londres ?
Cela date de juin 2015…
Vous n’avez aucun mal à vous rappeler vos conversations de l’époque avec la présidente…
Je ne suis pas une machine. Je ne peux me souvenir de tout.
Vous rappelez-vous lui avoir apporté l’invitation?
Non.
N’est-ce pas votre travail de conseiller la présidente sur les invitations qu’elle devrait accepter ?
Je me rappelle qu’on avait prévenu la présidente qu’il y avait des complaintes du gouvernement qu’elle voyageait trop souvent. Toriden Chellapermal, qui était son conseiller, et moi-même avions demandé à la présidente de nous laisser faire le tri de ses invitations. Quand l’invitation du PEI est arrivée, elle a ouvert un tiroir.
Avez-vous fait une vérification sur l’invitation?
Non.
Avez-vous conseillé à la présidente de ne pas accepter l’invitation ?
Je n’avais aucune raison de le lui conseiller.
Gurib-Fakim connaissait les limites de ses pouvoirs présidentiels, selon l’ancien secrétaire à la Présidence
Après avoir répondu aux questions du juge Caunhye, Dass Appadu a fait une déclaration pour éclaircir un point : selon lui, l’ex-présidente, Ameenah Gurib-Fakim, savait pertinemment qu’elle n’avait pas le pouvoir de nommer une Commission d’enquête de son propre chef. C’est justement sa tentative pour faire toute la lumière sur l’affaire Sobrinho qui lui a coûté son poste au sommet de l’État. Selon Dass Appadu, quand l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, a décidé de nommer une Commission d’enquête sur la drogue en 2015, il en a profité pour briefer Ameenah Gurib-Fakim sur les limites de ses pouvoirs.
« Il y a un dossier rouge à la State House sur les pouvoirs de la présidence », a-t-il expliqué. Ce dossier mentionne le cas des inondations meurtrières de mars 2013. Il y avait à l’époque une demande publique pour que le président d’alors, Kaylash Purryag, mette sur pied une Commission d’enquête. La Présidence avait alors émis un communiqué pour préciser qu’elle n’en avait pas le pouvoir sans passer par le Conseil des ministres. « Le dossier contient quelques exemples de demandes similaires à l'époque où Cassam Uteem était président », a ajouté Dass Appadu.
Dass Appadu : « La présidente s’est dite dégoûtée d’elle-même »
Dass Appadu a obtenu l’autorisation de lire devant la commission un affidavit qu’il a juré mercredi. L’un des faits saillants, c’est qu’il allègue que la présidente lui parlait quotidiennement, même après son transfert à une autre affectation vers fin 2016 et exprimait des regrets par rapport à Alvaro Sobrinho quand l’affaire a éclaté. « Elle me parlait au téléphone quotidiennement, a-t-il expliqué, elle disait regretter la tournure des événements, qu’elle avait commis une grave erreur en acceptant le poste de vice-présidente du Planet Earth Institute et en s’associant à Alvaro Sobrinho. Elle s’est dite dégoutée d’elle-même et elle n’osait pas se présenter devant son père. »
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