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Commission d’enquête - Ameenah Gurib-Fakim : «J’aurais agi autrement si…»

L’ex-présidente de la République a comparu pour la seconde fois devant la commission d’enquête. L’ex-présidente de la République a comparu pour la seconde fois devant la commission d’enquête.
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Interrogée par le juge Ashraf Caunhye et ses assesseurs pendant une heure et demie, l’ex-présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, a détaillé les événements qui ont mené à sa démission le 23 mars dernier. Dans le déballage, plusieurs révélations inconnues jusqu’ici du public.

« J’ai demandé pourquoi je devrais démissionner car je n’ai rien fait de mal. »

Pour sa seconde comparution devant la commission d’enquête sur les circonstances qui ont mené à la mise sur pied de cette commission sur l’affaire Alvaro Sobrinho à la mi-mars, Ameenah Gurib-Fakim a révélé les péripéties qui ont conduit à sa démission de la présidence de la République. Elle sera une nouvelle fois entendue ce jeudi.

Ashraf Caunhye : Comment avez-vous réagi aux fuites de documents bancaires dans la presse le 28 février 2017 ?

  • Ameenah Gurib-Fakim : Tout a démarré par un mail que j’ai reçu la veille à 21 heures. Il y avait une série de questions auxquelles j’étais supposée répondre par rapport à ces documents bancaires.

AC : Trois questions y figuraient. Qui vous a donné les fonds de la Platinum Card ? Était-ce une rémunération et y a-t-il autre chose que vous voudriez éclaircir ?

  • AGF : Je ne pouvais y répondre pour des raisons évidentes. J’ai été très surprise quand j’ai vu des articles dans la presse le lendemain matin. J’appelle alors l’Attorney General pour lui demander de venir à la State House pour me donner un conseil légal, mais il n’avait pas le temps. J’ai donc appelé le Premier ministre pour lui demander de dire à l’Attorney General de venir. Dans l’après-midi, l’Attorney General m’informe qu’avec l’immunité dont jouit un président de la République, il n’y a pas beaucoup que nous puissions faire. Le 1er mars, j’en parle au Premier ministre lors de notre rencontre hebdomadaire. J’explique le contexte de la Platinum Card et je l’informe que j’ai annulé la carte et tout remboursé depuis longtemps.

AC : Êtes-vous entrée dans les détails ?

  • AGF : Non, mais je lui ai certifié qu’à mars 2017, j’avais déjà tout rendu. Dans l’après-midi, je sollicite Ivan Collendavelloo. Pas comme Deputy Prime minister, mais comme conseil légal. Il m’avait déjà défendue devant l’Equal Opportunities Commission en 2013/2014. Il me dit de mettre en cause l’authenticité des documents publiés et de demander à l’express de répondre dans les 24 heures. Le 3 mars, je croise sir Anerood Jugnauth, le ministre mentor, aux Défi Media Awards. Il me questionne sur l’affaire Platinum Card et je lui explique que j’ai tout remboursé. Le 5 mars, Ivan Collendavelloo me demande de lui donner les détails des cartes bancaires. À 11 heures, je lui donne les détails pour la période allant de septembre 2016 à février 2017.

AC : Quand avez-vous remboursé ?

  • AGF : En mars 2017, j’ai appelé personnellement ma banque pour lui demander de tout régler.

AC : Pourquoi mars 2017 ?

  • AGF : C’était au moment de ma démission de Planet Earth Institute. Le 6 mars 2018, à 11 h 30, Ivan Collendavelloo me demande de le recevoir en compagnie du Premier ministre. Il me rappelle vers 15 heures pour me dire qu’ils vont venir me voir avant l’ouverture officielle des célébrations du 50e anniversaire de l’Indépendance. Ivan Collendavelloo me dit qu’ils vont me demander de démissionner. Je demande pourquoi le devrais-je, car je n’ai rien fait de mal. Dans un SMS, je lui précise que je ne démissionnerai jamais et de procéder à la mise en place d’un tribunal. Dans un second SMS, je lui dis qu’il ferait mieux de commencer à me défendre, car je n’ai rien fait de mal. A 16 h 30, ils viennent et la rencontre dure une vingtaine de minutes. Le Premier ministre me demande de fournir une date pour ma démission. Je lui indique que je ne vais pas le faire, car je n’ai pas fauté. Le 7 mars, aucun membre du gouvernement, excepté Ivan Collendavelloo, ne vient à une fonction à la State House. Le lendemain, le Premier ministre boude notre rencontre hebdomadaire, sans m’en informer au préalable. Dans l’après-midi, le ministre mentor vient et m’informe qu’une réunion spéciale du Cabinet a décidé durant la matinée que je dois partir. Je lui dis que je n’ai pas l’intention de le faire et de constituer un tribunal. Il me conseille de ne pas suivre cette voie. Le 9 mars, l’Associate Professor de l’Université de Maurice, Roubina Juwaheer, qui est une amie proche, me parle de l’avoué Gilbert Noël, que je ne connaissais pas. Ce dernier me contacte et on parle des fuites de documents bancaires dans la presse. Il m’informe que cela va à l’encontre de la Banking Act et de la Data Protection Act et me conseille de servir une mise en demeure.

AC : Une mise en demeure pour faire quoi et contre qui ?

  • AGF : Je ne sais pas.

AC : Pourquoi une mise en demeure ?

  • AGF : Pour chercher réparation, je suppose.

AC : Quel genre de réparation ?

  • AGF : Je ne sais pas.

AC : Continuez votre narration, s’il vous plaît.

  • AGF : Le même jour, le Premier ministre me suggère de quitter la Présidence le 15 mars. Je lui dis que je n’ai pas l’intention de le faire, car je ne vois pas pour quelle raison, et que ma priorité des priorités est de laver mon honneur.

AC : Est-ce qu’il a expliqué pourquoi le gouvernement veut que vous partiez ?

  • AGF : Non. J’imagine que cela avait trait à la Platinum Card. Lors d’une conférence de presse, ce jour-là, le 9 mars, il annonce que je suis d’accord pour partir le 15 mars et qu’il a d’autres choses à révéler sur moi. Un communiqué est émis par le Government Information Service pour annoncer au monde entier que je démissionne dans le sillage d’un scandale financier. Le soir, j’envoie deux tweets sur ma page Twitter pour indiquer que je ne pars pas.

AC : Lors de votre rencontre avec Me Gilbert Noël, aviez-vous discuté d’autres choses que de la mise en demeure ?

  • AGF : Non. Le samedi 10, je déjeune chez une amie et Gilbert Noël est présent. Il dira que la Présidence a le pouvoir de mettre sur pied une commission d’enquête.

AC : Est-ce la première fois que cela est évoqué et c’est Gilbert Noël qui le fait ?

  • AGF : Oui. Pour moi, ce qui importait, c’était de laver mon honneur et toute plateforme où je pouvais le faire était la bienvenue.

AC : Quelle a été votre réaction à ce propos de Gilbert Noël ?

  • AGF : J’ai simplement écouté. Le 11 mars, je demande à Torriden Chellapermal de drafter le communiqué, mais il était en vacances. Je demande donc à un ami ghanéen expert en communication, de m’aider pour rédiger ce qui sera émis le 14 mars, sur les dépenses de ma carte de crédit. À la  Garden party à la State House, le même jour, aucun membre du gouvernement et du Parlement n’était présent. Les ponts avec le gouvernement étaient totalement coupés.

AC : Votre dernière réunion avec le Premier ministre date du 9 mars ?

  • AGF : Oui, mais le dernier rendez-vous officiel entre nous avait eu lieu le 1er mars. Toujours le 14 mars, j’apprends que Me Yousuf Mohamed est prêt à m’assister.

AC : Vous l’apprenez comment ?

  • AGF : Par la presse. Je le contacte par personne interposée. Vers 18 heures, il vient me voir à la State House pour sympathiser et me dit que ce serait bien que je jure un affidavit. Je lui demande ce qu’il pense d’une commission d’enquête. Il me répond qu’il y réfléchira.

AC : Rien de plus ?

  • AGF : Non. Le 15, le Premier ministre boude une nouvelle fois notre rencontre hebdomadaire sans m’informer et je lis dans la presse qu’un tribunal sera mis en place pour me révoquer. Vers 17 heures, j’appelle le commissaire électorale, Irfan Abdool Rahman, pour un conseil. J’étais complètement perdue. Il est venu vers 18 heures et me dit qu’il serait mieux que je démissionne. Me Dick Ng Sui Wah est aussi demandé à la State House et donne le même conseil. J’appelle Gilbert Noël et lui demande de venir pour rédiger les possibles Terms of Reference de la commission d’enquête. Je lui dis que je ne veux pas démissionner avant d’avoir lavé mon honneur. Me Yousuf Mohamed me conseille d’engager les services de Me Yanilla Moonshiram et de Me Hervé Duval Jr au cas où le gouvernement mette sur pied un tribunal spécial pour me destituer. Le 16 mars, Gilbert Noël est venu à la State House et m’informe qu’il aura besoin de l’assistance de Me Mohamed pour rédiger les attributions de la commission d’enquête, mais ce dernier me dit, quand je lui téléphone, qu’il est pris et qu’il enverra Me Nadeem Hyderkhan, qui arrive à 9 h 15. Gilbert Noël mentionne le nom de sir Hamid Moollan pour présider la commission. Gilbert Noël l’appelle et me le passe pour lui parler. En même temps, j’appelle Hervé Duval Jr et il accepte de faire partie d’un panel d’avocats pour me défendre devant un tribunal. Je lui demande d’aider à drafter les Terms of Reference pour une commission d’enquête et je lui passe Gilbert Noël. Je n’ai pas eu de feedback de la suite de la conversation.

AC : Est-ce que sir Hamid était d’accord ?

  • AGF : Il l’était. Pour ce qui est de Me Hervé Duval Jr, il me conseille de ne pas jurer d’affidavit à cause de l’immunité présidentielle. Quand je lui parle de Terms of Reference, il me demande « quels Terms of Reference », et je lui passe Gilbert Noël.

AC : Vous ne connaissiez pas la fin de la conversation ?

  • AGF : Non. Gilbert Noël et Nadeem Hyderkhan quittent le Réduit vers midi et me laissent avec les Terms of Reference rédigés. Je reparle à Me Yousuf Mohamed au téléphone qui me demande d’attendre qu’il parle à sir Hamid avant de rendre public la mise sur pied d’une commission d’enquête. C’est ce que je fais.

AC : Vous saviez comment procéder pour mettre sur pied une commission d’enquête ?

  • AGF : Non. Je n’ai pas eu de conseils à ce niveau. À 15  h 30, je rappelle Me Yousuf Mohamed qui me dit que je peux aller de l’avant. Je le cite : « No, you can’t do it, but tactically you can. Go ahead ». Le vendredi 16, le Premier ministre m’envoie une lettre disant que j’ai enfreint l’Article 64 de la Constitution et que cette commission d’enquête n’était pas légale. Le soir, vers 20 heures, je reçois un SMS de Hervé Duval Jr qui me dit qu’il regrette que je n’aie pas écouté son avis de ne pas aller de l’avant avec une commission d’enquête. Il fait référence à un mail qu’il a envoyé à Gilbert Noël. J’ignorais totalement qu’il avait donné cette opinion. C’est le 10 avril, bien après ma démission, que j’ai eu une copie de ce mail.

AC : Me Noël ne vous en avait pas parlé ?

  • AGF : Non.

AC : Auriez-vous pris une autre décision si vous aviez été mise au courant de cette opinion ?

  • AGF : Oui. Je croyais être guidée par de bons conseils légaux. Si j’avais eu vent de ce conseil de Hervé Duval Jr, j’aurais agit autrement. J’étais dévastée quand je reçois la lettre du PM. Quand j’ai accédé à la présidence en 2015, je n’avais pas eu de coaching sur ce que peut et ne peut pas faire un Président de la République. Je suis une scientifique et je n’ai pas de connaissance légale. Le 17, Yousuf Mohamed demande à me voir en urgence. Tout ça, c’était trop pour moi. Il est venu en compagnie de  Mes Hyderkhan et Noël et m’annonce qu’il vaut mieux que je démissionne car il avait des informations sérieuses. Je n’ai pas demandé de quoi il s’agissait. J’ai parlé à  Me Gavin Glover au téléphone. Il me donne le même conseil. Ce jour-la, avec l’aide de Yousuf Mohamed, je rédige ma lettre de démission et annonce que je pars le 23 mars.

Pravind Jugnauth sur Ameenah Gurib-Fakim : « Less li dir… »

Ameenah Gurib-Fakim avait démissionné le 23 mars.
Ameenah Gurib-Fakim avait démissionné le 23 mars.

Brève déclaration du Premier ministre sur celle faite ce mardi 21 août par l’ex-présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, lors de sa déposition devant la Commission d’enquête présidée par le juge Asraf Caunhye.

 « Less li dir », a lancé Pravind Jugnauth aux journalistes, à l’issue de l’inauguration d’un « by pass » à St-Julien d’Hotman.

Lors de son audition devant la commission Caunhye, l’ex-présidente de la République a révélé qu’elle n’avait jamais promis au Premier ministre, Pravind Jugnauth, qu’elle comptait démissionner de son poste.

 

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