vie est un éternel combat et la rue est devenue leur refuge. Vous avez sûrement déjà croisé leur regard même si vous faites souvent preuve d’indifférence à leur égard. Qui sont ces gens qui se couchent n’importe où et qui mangent à la fortune du pot ? Nous sommes allés à leur rencontre le lundi 28 mai, en ce début d’hiver.
À la nuit tombée, Port-Louis ne se vide pas complètement. Ils sont nombreux les sans domicile fixe (SDF) à fouiller les poubelles à la recherche de restes de nourriture. Puis ils cherchent refuge dans les rues, dans les abris d’autobus, devant la devanture d’une compagnie d’assurance, dans les kiosques du jardin de Plaine-Verte ou dans les sombres couloirs des guichets automatiques.
Ils arrivent cependant à roupiller en attendant un autre jour comme les autres, sans avenir. Conscients du danger qu’ils courent dans les recoins où ils élisent domicile et les nombreuses agressions auxquelles ils sont exposés la nuit, les SDF arrivent quand même à dormir à la belle étoile. Ils se protègent des intempéries et du froid avec des couvertures de fortune constituées de ce qui reste de boîtes de carton ou de couvertures ramassées au hasard des rues ou dans des poubelles. Si certains sombrent dans un profond sommeil, d’autres, à l’instar de Schuaib, se réveille en sursaut en entendant nos pas. Rencontre…
Il est 23 h 45. Il se tient dans son coin, bravant le froid glacial de la capitale avec une fine couverture. Il grelotte et laisse échapper un bâillement. Il se met debout pour sortir de son lit fabriqué maladroitement avec des morceaux de carton soigneusement recouverts d’un drap fleuri. Il enfile ses savates et nous accueille dans sa modeste demeure : la devanture d’un magasin situé dans une ruelle de Port-Louis.
Avant de mourir, je voudrais simplement le serrer dans mes bras et qu’il m’appelle grand-père.»
Il s’appelle Schuaib. Il a 58 ans. Cela fait cinq mois qu’il habite ce coin de rue. « Mo pli trankil la », dit-il en tentant de cacher ses émotions. Cet homme qui a étudié jusqu’à la Form IV s’est séparé de sa femme de nationalité indienne avec laquelle il a eu trois fils. Il n’a pas eu de chance dans son mariage, confie-t-il. « Li ti ena so bon e so move kote. Mwa osi parey. Nou finn deside pou separe. »
Nous comprenons rapidement qu’il y a eu des conflits familiaux. Mais il n’en pipe pas mot. Il affirme que tant que Dieu sera avec lui, il n’a pas peur d’affronter la vie. « J’ai confiance en lui et je sais qu’il me protège », soutient le SDF, même s’il est conscient que le danger rôde toujours, surtout le soir dans ce faubourg lugubre de Port-Louis.
Son plus grand souhait, dit-il, est de serrer dans ses bras son petit-fils, soit l’enfant de son deuxième fils qu’il a vu un matin lorsque sa belle-fille s’est rendue à la clinique située à proximité de sa demeure en carton. Il est resté ébloui, dit-il, avec le cœur gros et les larmes aux yeux, à contempler le bout de chou. « Avant de mourir, je voudrais simplement le serrer dans mes bras et qu’il m’appelle grand-père. »
Chaque jour, Schuaib se réveille à 5 heures à l’appel de l’azaan. Il va ensuite prendre sa douche chez sa sœur et enfiler des vêtements propres pour aller travailler vers 8 heures. Il prête main forte au gérant de l’hôtel de thé Pakistan à Plaine -Verte. Avec enthousiasme, il nous raconte que c’est lui qui range les étagères. « Al gete. Mo instal enn par enn kare kare. Personn pa kapav aranz sa osi bien ki mwa », lance-t-il fièrement.
De petits services utiles permettant à Schuaib d’avoir quelques roupies tous les jours pour vivre. Mais le SDF affirme qu’il est très reconnaissant envers le gérant des lieux pour sa bonté, car il lui donne à manger.
Schuaib adore lire les journaux pour suivre l’actualité mais il est aussi mélomane. Toutefois, il lui manque une radio. Dans un éclat de rires il avoue qu’il est un grand fan de Mike Brant. Malgré sa situation précaire, le sans-abri ne se plaint pas de son triste avenir. Il vit au jour le jour en attendant sereinement la mort
Jenna Ramoo/Kenny Rajagopal
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