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Clensy Appavoo : «Ce Budget s’apparente à une rupture avec les pratiques précédentes»

À l’aube d’un nouveau cycle budgétaire, le gouvernement mauricien affirme sa volonté de changement avec une architecture économique centrée sur la réforme structurelle, la responsabilité fiscale et un nouveau pacte social. Dans cet entretien, Clensy Appavoo, CEO & Senior Partner de HLB Mauritius, livre son analyse du Budget 2025-26, tout en questionnant la capacité de l’exécutif à transformer ses intentions en résultats concrets. Entre défis budgétaires, ambitions industrielles et attentes sociales, il dresse un bilan nuancé des six premiers mois de gouvernance et met en lumière les chantiers encore en suspens.

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Le Budget 2025-26 marque-t-il l’intention signifiée par le gouvernement de rompre avec le passé ?
Oui, on peut estimer qu’il s’agit d’un tournant par rapport aux approches antérieures. L’ancien titulaire du ministère des Finances avait tendance à appliquer une logique de distribution ponctuelle et dispersée, souvent perçue comme déconnectée d’une vision d’ensemble. Les mesures étaient isolées, sans véritable cohérence stratégique. Le Budget 2025-26, lui, semble reposer sur une structuration en trois axes principaux : le renouvellement économique, une révision de l’ordre social et un effort pour remettre les finances publiques sur un chemin plus équilibré. Cette structuration laisse penser que le gouvernement cherche à passer d’un système fragmenté à une politique publique plus organisée. Cela peut, en effet, être interprété comme une rupture avec les pratiques précédentes.

Il y a beaucoup de déclarations d’intention. Qu’est-ce qui a été fait durant les six derniers mois ?
Durant cette période, l’effort principal s’est concentré sur la politique monétaire, un domaine piloté plus activement par la Banque centrale. Le travail de la Banque de Maurice a contribué à maintenir l’inflation dans des proportions jugées acceptables. On a aussi noté une appréciation de la roupie face au dollar, même si elle a perdu de la valeur par rapport à l’euro. Cela étant dit, le poids de la dette publique reste préoccupant, se situant autour de 90 % du PIB. Cette situation peut être qualifiée de critique et appelle à des mesures correctives si l’on veut éviter une dégradation du profil de crédit du pays. Le gouvernement a également formulé de nombreuses promesses pendant la campagne électorale. Il faut lui laisser un certain délai pour restructurer les fondations économiques. Des signes, comme l’attention qui sera portée au rapport de l’Audit à l’Assemblée nationale, montrent une volonté de changement. Reste à voir si cette volonté se traduira en actes concrets.

Il est juste de prendre un peu aux plus riches pour aider ceux au bas de l’échelle»

Le gouvernement affiche une volonté de responsabilité fiscale alors que la dette publique frôle les 90 % du PIB. Quelles sont, selon vous, les mesures budgétaires les plus concrètes pour amorcer une trajectoire de réduction de cette dette sans pour autant compromettre les services publics essentiels ?
La diminution du niveau de la dette nécessitera une combinaison d’initiatives centrées sur la hausse de la productivité et une meilleure maîtrise des dépenses. Générer davantage de revenus à travers des secteurs dynamiques est indispensable. Dans ce Budget, certains axes comme le développement de l’économie bleue illustrent cette orientation. Ce secteur a été longtemps évoqué sans concrétisation ; il pourrait, s’il est bien structuré et en partenariat avec le secteur privé, devenir une composante centrale de notre économie. D’autre part, si le projet de loi sur la responsabilité fiscale est adopté rapidement, cela contribuera à renforcer la transparence des dépenses publiques. Le gouvernement s’est fixé un objectif de réduction de la dette à 75 % du PIB sur trois ans. Ce cap peut être atteint avec de la rigueur et des efforts soutenus.

Avec un déficit budgétaire qui s’élève à 9,8 % du PIB, quelles marges de manœuvre le gouvernement dispose-t-il réellement ? Faut-il s’attendre à des coupes dans certains postes de dépenses ou à une hausse discrète de la pression fiscale malgré la fragilité des ménages et des entreprises ?
Un déficit de cette ampleur impose des arbitrages. Il ne sera pas possible de répondre à toutes les attentes simultanément. Cela signifie que certains postes budgétaires pourraient être revus, bien que cela ne soit pas clairement indiqué. Toutefois, l’orientation actuelle semble indiquer que le gouvernement espère que la nouvelle structure économique génèrera assez de croissance pour absorber progressivement ce déficit. Il n’a pas été annoncé de relèvement général des impôts, mais certains mécanismes ciblés laissent penser qu’une redistribution partielle est en place. Ces efforts devront s’inscrire dans une logique d’équilibre entre impératif budgétaire et soutien social.

Le déficit commercial atteignant près de 30 % du PIB est préoccupant. Quelles sont, selon vous, les conditions nécessaires pour que les mesures prévues en faveur des exportations — notamment dans les secteurs à haute valeur ajoutée — puissent avoir un effet structurant et durable ?
L’économie bleue représente une opportunité notable, mais sa réussite dépendra de la rapidité et de la cohérence de sa mise en œuvre. Maurice a à sa disposition des ressources marines qui sont encore peu exploitées. En s’appuyant sur des partenariats internationaux, on pourrait mieux cartographier notre zone économique exclusive et en tirer un potentiel réel. Par ailleurs, les énergies renouvelables et l’économie verte devront aussi faire l’objet d’un renforcement. Un développement structuré de ces filières pourra contribuer à réduire le déficit commercial à moyen terme.

Des signes, comme l’attention qui sera portée au rapport de l’Audit à l’Assemblée nationale, montrent une volonté de changement»

Certaines promesses phares de l’Alliance du Changement, comme la baisse du prix de l’essence, ne se retrouvent pas dans le Budget. Est-ce un réajustement pragmatique face à la réalité des finances publiques ou un revirement de priorité une fois au pouvoir ?
Il semble que le gouvernement ait décidé de prioriser les réformes de fond au détriment des mesures immédiatement populaires. Le Premier ministre a exprimé que les moyens budgétaires sont limités. Dans cette optique, la baisse du prix de l’essence n’a pas été intégrée au Budget, ce qui reflète probablement une volonté d’ajuster les ambitions aux capacités réelles. Le mandat gouvernemental étant de cinq ans, les responsables peuvent prendre un certain temps pour restructurer l’économie avant de revenir sur certaines promesses électorales.

Le Budget parle de l’élaboration des Blueprints, des commissions qui seront mises sur pied pour étudier diverses questions. Est-ce que vous dénoncez l’absence de mesures concrètes en ce sens ?
Les plans stratégiques, ou Blueprints, sont utiles s’ils sont suivis d’exécution. Malheureusement, dans le passé, de nombreux plans sont restés lettre morte, enfermés dans des dossiers. Si le gouvernement veut que cette fois soit différente, il faudra associer chaque plan à un calendrier précis et une équipe de mise en œuvre. La contribution du secteur privé et des acteurs de la société civile sera également indispensable. Sans cette participation, même les plans les plus ambitieux risquent de ne pas produire de résultats visibles.

Le GM a décidé de prioriser les réformes de fond au détriment des mesures immédiatement populaires»

La CSG Allowance sera progressivement supprimée d’ici 2027, alors même que le pouvoir d’achat est mis à mal. Comment justifier une telle décision dans un contexte d’inflation persistante ? Est-ce que cela ne risque pas d’éroder davantage le revenu réel des ménages ?
Le soutien aux plus vulnérables est maintenu à travers d’autres dispositifs, comme le revenu minimum garanti. Quant à la CSG, les résultats observés ont montré que ce mécanisme n’a pas répondu aux attentes et a parfois été utilisé à des fins autres que celles annoncées. Les fonds issus de la contribution n’ont pas toujours été dirigés vers la retraite, ce qui a créé de la confusion. Il faut noter que les fonds du National Pension Fund (NPF), qui existent toujours, pourraient être mobilisés de façon plus efficace. Si la croissance économique reprend, le gouvernement disposera de davantage de ressources pour renforcer les aides sociales.

Le gouvernement dit faire preuve d’empathie et de compassion. Comment alors expliquer que l’âge d’éligibilité à la BRP soit repoussé à 65 ans, alors que de nombreux travailleurs, notamment dans les secteurs manuels, sont physiquement usés avant cet âge ?
Cette décision, bien qu’elle puisse sembler difficile, s’inscrit dans une évolution démographique. Ce changement sera graduel, ce qui permettra à la population de s’y adapter. L’espérance de vie augmente et de nombreuses personnes sont capables de rester actives jusqu’à un âge plus avancé. Avec un renouveau du système de santé, les gens vivent mieux maintenant, ce qui explique la population vieillissante du pays. Pour citer un exemple, l’âge de la retraite en Italie est de 67 ans. Cette mesure est un choix de long terme pour assurer la viabilité du système de pension.

Le modèle CSG a été contesté en raison de sa structure hybride mêlant aides sociales et financement des retraites. Une dissociation claire des deux volets pourrait renforcer la transparence.»

Le retour d’un National Pension Fund (NPF) quelques années après l’introduction de la CSG peut donner une impression d’improvisation. Cette instabilité du cadre de retraite ne risque-t-elle pas de miner la confiance des employés et contribuables à long terme ?
Le problème du National Pension Fund (NPF) a été sa soutenabilité dans le temps. Maurice dispose d’une population vieillissante avec plus de 300 000 personnes touchant la pension de vieillesse. Le retour du NPF pourrait répondre à un besoin de clarification. Le modèle CSG a été contesté en raison de sa structure hybride mêlant aides sociales et financement des retraites. Une dissociation claire des deux volets pourrait renforcer la transparence. Le Premier ministre a précisé que rien ne changerait brutalement, et une commission sera chargée de proposer une réforme viable à long terme.

La contribution accrue demandée aux hauts revenus et aux entreprises traduit une volonté de redistribution. Mais cette pression fiscale cumulée ne risque-t-elle pas de nuire à l’attractivité et à la compétitivité du pays, surtout dans un contexte mondial concurrentiel ?
Les taux d’imposition de base restent stables. Ce sont surtout les entreprises qui réalisent des bénéfices supérieurs à Rs 24 millions qui devront contribuer davantage par le biais d’une mesure temporaire appelée « fair share contribution ». Cette approche vise à éviter une hausse générale de la TVA. Elle représente un effort ciblé de redistribution, avec une intention de limiter son impact sur l’économie générale. C’est un peu normal. Ceux qui ont beaucoup d’argent vont contribuer un peu plus. Ce n’est pas une mesure punitive. C’est tout à fait juste de prendre un peu aux plus riches pour aider ceux au bas de l’échelle.

On parle d’une révision de la Bank of Mauritius Act et de la Banking Act, mais rien sur la MIC, qui sera ainsi toujours gérée par la Banque centrale. Est-ce un manquement dans ce Budget ?
La situation de la MIC (Mauritius Investment Corporation) est complexe. La Banque de Maurice semble être en réflexion sur son avenir. La séparation de la MIC de la Banque centrale prendra du temps, mais il est probable que cela figure dans les projets futurs. Pour l’instant, la priorité semble être donnée à la stabilité monétaire. Une fois cette étape consolidée, des ajustements structurels concernant la MIC pourraient être envisagés.

 

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