
Qu’ils soient en couple, retraités ou célibataires, trois familles mauriciennes affrontent toutes la même réalité : un quotidien miné par la cherté de la vie et des dettes pesantes. À quelques jours de la présentation du Budget, elles s’attendent à des mesures qui apporteront un réel soulagement face à la vie chère, aux prêts lourds et à l’érosion du pouvoir d’achat.
Quand trois revenus ne suffisent plus : le quotidien de la famille Shipkolye

À Gokoola, un petit village dans le nord-est de Maurice, la maison de la famille Shipkolye se distingue à peine des autres constructions modestes. Au rez-de-chaussée, les parents de Jibran vivent leur retraite en toute discrétion. À l’étage, Jibran et son épouse Devianee essaient tant bien que mal de construire un quotidien serein, entre obligations professionnelles, dettes à rembourser, et une volonté de s’en sortir malgré la cherté de la vie.
Employé comme ICT Support Officer dans une école de la région, Jibran, âgé de 49 ans, a vu son pouvoir d’achat s’éroder au fil de ces dernières années. « Même si ma femme travaille aussi, on a beaucoup de mal à joindre les deux bouts », confie-t-il. Devianee est valet dans un hôtel de la côte, le Westin Turtle Bay. Leur fille unique est mariée depuis trois ans et ne vit plus avec eux. Désormais, c’est à deux qu’ils affrontent les fins de mois difficiles.
Toutefois, Jibran n’est pas homme à rester les bras croisés. Depuis plusieurs années déjà, il cultive un lopin de terre non loin de sa maison. Une activité secondaire qui demeure pour lui, une nécessité. « Je pense qu’avoir un seul boulot ne suffit pas aujourd’hui. C’est pourquoi, en parallèle de mon travail à l’école, je fais de la plantation », dit-il.
Sur son terrain, il fait pousser gingembre, safran, « arouilles », papayes, et des limons. Le choix des cultures n’est pas anodin. « En ce moment, je suis pris par un cours en ligne très exigeant que je dois suivre chaque jour. Je n’ai pas assez de temps pour m’occuper d’une plantation qui demande beaucoup d’entretien », explique-t-il. Résilient, il opte donc pour des cultures qui exigent moins d’attention.
Un projet qu’il tient à cœur est la confection d’achards limon. « Je vends déjà une cinquantaine de pots par mois. Ce n’est pas énorme, mais c’est un début. Je veux développer ce créneau », dit-il avec une lueur d’espoir. Son ambition est de créer un petit revenu complémentaire qui permettrait au couple de respirer un peu. « Aujourd’hui, on ne peut plus compter sur une seule source de revenus. Il faut multiplier les activités si on veut survivre », confie-t-il.
Gestion du budget
Cependant, même avec trois sources de revenus, son emploi principal, l’aide de Devianee, et la plantation, le couple peine à garder la tête hors de l’eau. Le poids des dettes devient chaque mois un peu plus lourd. « J’ai pris plusieurs prêts pour construire l’étage de la maison. Et avec ma femme, on a aussi contracté un emprunt pour acheter une voiture », dit-il.
Selon lui, la hausse constante des taux d’intérêt n’a fait qu’aggraver la situation. « Avec les augmentations successives, on voit nos mensualités grimper. On paie de plus en plus sans que nos salaires augmentent », se désole-t-il.
Devianee, elle, doit également rembourser des achats effectués à crédit, notamment chez CIM. « Quand on additionne tous les remboursements, les courses, les factures… il ne reste rien. On n’est pas capables de faire des économies », déplore Jibran. Cependant, le couple garde la tête froide. Selon eux, la gestion du budget familial est une affaire d’équilibre. « Heureusement, on arrive à s’organiser. Moi, je rembourse les prêts et je paie les factures et elle s’occupe des dépenses ménagères », dit Jibran.
Mais à l’approche du Budget 2025, l’inquiétude est palpable. Le couple espère des mesures fortes pour soulager les familles comme la leur. « Il faut baisser les prix. Ce n’est pas normal que les poissons soient devenus un produit de luxe. C’est à peine si on en achète une fois par mois », indique notre interlocuteur.
Sur les taux d’intérêt, Jibran et Devianee attendent un geste concret du gouvernement. « Il faut plus de flexibilité. On se sent asphyxiés par les remboursements. Ce serait bien que le gouvernement trouve un terrain d’entente avec les banques pour alléger le fardeau des emprunteurs », conclut-il.
Pour eux, comme pour tant d’autres, le Budget n’est pas une abstraction économique : c’est un espoir. Celui, peut-être, de vivre un peu mieux.
Le couple Narainsamy à la retraite, mais loin d’un repos financier

À 60 ans, Benjamine Narainsamy pourrait enfin souffler après plus de trois décennies de service dans le secteur de l’éducation. Depuis janvier, elle est officiellement à la retraite. Pourtant, malgré ce nouveau chapitre de vie, la réalité financière du quotidien ne lui laisse que peu de répit. Comme elle le dit elle-même « la retraite, ce n’est pas synonyme de repos financier ».
Durant 34 ans, Benjamine a été une figure familière dans les salles de classe, dévouée à l’apprentissage et à l’épanouissement des jeunes générations. Son mari, également à la retraite, a quant à lui fait carrière dans le secteur de l’assurance. Ensemble, ils ont élevé trois enfants, dont deux sont aujourd’hui mariés. La famille s’est élargie avec l’arrivée de trois petits-enfants, dont le dernier, un bébé de quatre mois, vit sous le même toit que ses grands-parents, avec ses parents.
« Notre fils cadet, sa femme et leur bébé habitent avec nous. C’est un bonheur, mais aussi un avantage, car cela permet de partager les charges du quotidien », confie Benjamine. Dans une époque où le coût de la vie ne cesse d’augmenter, cette cohabitation intergénérationnelle est devenue, selon elle, un véritable atout. Elle ajoute : « Nous partageons les fardeaux. Ainsi, on sent moins de pression sur le budget ménager ».
Entre l’électricité, l’internet, les frais de santé et les besoins d’un nourrisson, les dépenses ne manquent pas. « Ce n’est pas seulement les prix des produits alimentaires qui augmentent, mais aussi d’autres services essentiels », déplore-t-elle. Même les courses de base deviennent un exercice de calcul millimétré. « Il faut choisir, comparer, prioriser. Chaque dépense doit être pensée », dit-elle.
Un prêt à rembourser
Malgré la fin de sa carrière professionnelle, Benjamine n’est pas libérée de ses engagements financiers. Un prêt bancaire continue de peser sur son budget mensuel. « Avec un ‘repo rate’ aussi élevé, je me retrouve à rembourser un montant plus important que prévu », explique-t-elle. Cette situation l’amène à s’interroger sur l’avenir des jeunes : « Comment peuvent-ils espérer construire une maison ou lancer un projet avec des taux d’intérêt aussi élevés ? ».
Heureusement, les pensions de retraite du couple permettent, pour l’instant, de garder la tête hors de l’eau. « On arrive à gérer, mais cela passe par une bonne planification. Il faut faire des dépenses judicieuses, sinon nous nous retrouverons en difficulté », fait-elle ressortir.
À l’approche de la présentation du prochain Budget national, Benjamine garde les pieds sur terre. « Je n’ai pas de grandes attentes, mais j’aimerais vraiment voir une baisse dans les prix des produits alimentaires, surtout les légumes et les fruits. Il faut que la population puisse se nourrir convenablement. C’est tout ce qu’on demande », dit-elle.
Mais au-delà de l’alimentation, c’est une autre dépense qui l’inquiète de plus en plus : les médicaments. « Avec deux personnes âgées à la maison, nous devons prévoir un budget important pour l’achat des médicaments et les soins médicaux. Les prix sont exagérément élevés », se désole-t-elle.
Notre interlocutrice rappelle d’ailleurs que la baisse du coût des médicaments faisait partie des promesses électorales. « J’espère que le gouvernement tiendra parole et prendra des mesures concrètes », dit-elle.
Swapna Gaoneadry : Célibataire, mais avec les charges d’un foyer au complet

Enseignante dans une école primaire depuis 15 ans, Swapna Gaoneadry, 34 ans, vit seule dans sa maison à Souillac depuis maintenant huit ans. Une indépendance qu’elle chérit, mais qui vient avec son lot de contraintes financières. Car même seule, les dépenses s’accumulent…
« Les gens pensent qu’habiter seul coûte moins cher, mais en réalité, les factures ne se divisent pas par deux. L’eau, l’électricité, l’internet… rien ne change, même si je suis seule. Juste pour ces factures, je dois prévoir au moins Rs 2 000 chaque mois », indique-t-elle. Et ce n’est là qu’une partie de l’équation.
Il y a quelques années, Swapna a décidé de franchir une étape importante dans sa vie : devenir propriétaire. Pour cela, elle a contracté un prêt bancaire d’un million de roupies. « Mon papa m’a aussi aidée, et j’ai utilisé toutes mes économies. C’était un rêve, celui d’avoir un toit à moi », raconte-t-elle. Mais ce rêve se traduit aujourd’hui par une mensualité fixe de Rs 7 000 à rembourser. « Ce n’est pas évident, surtout avec tout ce qui augmente autour », confie notre interlocutrice.
Le coût de la vie est l’un de ses combats quotidiens. Elle affirme qu’une simple visite au supermarché peut rapidement lui coûter entre Rs 1 500 et Rs 2 000 pour quelques articles de base. « En fin de mois, je dépense environ Rs 10 000 uniquement pour les courses alimentaires et les produits de la maison. Cela ne laisse pas beaucoup de marge », déplore-t-elle.
Des projets en attente
Comme beaucoup de Mauriciens, Swapna a des projets plein la tête. Elle rêve de rénover sa cuisine, qu’elle décrit comme toujours incomplète, faute de moyens. « Ce sont des choses que je veux faire depuis longtemps, mais je dois toujours remettre à plus tard », se désole-t-elle. Elle rêve aussi d’acheter une voiture. « Pour le moment, je n’ai pas la capacité financière, mais j’espère qu’en 2026, je pourrai enfin réaliser ce projet », avance Swapna.
Après 15 ans de service dans la fonction publique, elle se sent aussi lésée par l’évolution des salaires. « Avec la révision du salaire minimum, un nouvel enseignant gagne presque autant que moi. Il aurait dû y avoir une formule plus équitable, qui reconnaît les années de service et l’expérience. Cela décourage », déplore-t-elle. Pour elle, la reconnaissance du travail passe aussi par une rémunération juste.
À l’approche du Budget, la trentenaire garde l’espoir que certaines mesures viendront soulager son quotidien. Ses attentes sont simples, mais essentielles : une baisse des prix des denrées alimentaires, une réduction des taux d’intérêt pour les prêts bancaires, et surtout, une baisse du coût des médicaments. « Ce n’est pas tout le temps que les médicaments sont disponibles dans les hôpitaux publics. Il faut souvent les acheter, et cela pèse lourd dans le budget mensuel », avance-t-elle.
Les propositions des associations des consommateurs dans le Budget 2025/2026
Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environment (APEC)
- Exonérer les pensions de toute imposition afin de protéger le revenu des retraités, notamment des fonctionnaires.
- Diversifier les marchés d’importation en mobilisant les missions diplomatiques pour ouvrir de nouveaux débouchés (Europe de l’Est, pays arabes, Afrique).
- Favoriser un marché libre et compétitif pour limiter la formation de cartels et protéger le pouvoir d’achat des consommateurs.
- Réformer la législation sur les coopératives pour revitaliser ce secteur en crise et encourager de nouvelles formes de partenariats.
- Faciliter l’accès aux devises étrangères pour la State Trading Corporation via la Banque de Maurice afin d’assurer le respect de ses contrats d’achat.
Association des Consommateurs de l’Ile Maurice (ACIM)
- Révision de la TVA et des taxes sur les produits alimentaires, avec possibilité d’exemption partielle.
- Réévaluation de la taxation sur les produits en conserve pour mieux ajuster les prix.
- Encouragement à exploiter le potentiel de l’économie bleue afin de réguler la production locale, notamment des produits de la pêche.
- Intervention du ministère du Commerce pour limiter les marges bénéficiaires excessives sur certains produits essentiels.
- Volonté de collaboration entre l’ACIM et les autorités pour mettre en place des mesures ciblées visant à alléger le coût de la vie des consommateurs.
Consumers Eye Association
- La mise en place d’un médiateur (ombudsman) réservé aux consommateurs uniquement.
- L’installation de caméras aux feux de circulation.
- Une taxe spéciale sur les produits de luxe (par exemple, quelqu’un qui peut s’acheter une voiture de luxe haut de gamme peut se permettre de payer plus d’impôts).
- La mise à disposition de radios locales (radio de quartier) pour une transmission d’information plus efficace et rapide.
- Une taxe unique sur la richesse.

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