Le projecteur est braqué sur les chauffeurs de taxi avec le projet controversé d’Uber. Une occasion pour découvrir ou redécouvrir ce métier qui a connu une transformation importante. La majorité d’entre eux travaillent le jour pour le public et le soir pour les grosses compagnies. Aujourd’hui, deux clients sur trois sont issus des entreprises.
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La clientèle a évolué et les chauffeurs de taxi ont dû revoir leur mode d’opération. C’est ce qu’indique le président de la Taxi Proprietors Union (TPU), Raffick Bahadoor. « Aujourd’hui deux clients sur trois proviennent des entreprises avec lesquelles les chauffeurs de taxi travaillent », déclare d’emblée notre interlocuteur. Celui-ci ajoute que ces entreprises recherchent des moyens faciles, rapides et efficaces dans le cadre de leur activité mais essentiellement pour le transport de leurs employés « car pour ces entreprises, le temps est précieux », sougligne-t-il.
Il existe deux types de demandes pour les entreprises. Le premier, explique Kamil Duman, chauffeur de taxi de Vallée-des-Prêtres depuis plus de 15 ans, provient des entreprises qui ont besoin d’un service de transport pour leurs employés au quotidien. C’est le cas notamment pour les centres d’appel, surtout ceux qui ont des clients basés en Europe ou en Amérique du nord et qui travaillent donc sur des horaires spécifiques. « Si seulement deux ou trois employés habitent une certaine région, la société va privilégier un taxi au lieu d’un van pour les déposer. Il y a aussi les sociétés avec de gros capital telles que les banques, par exemple, qui ont le moyen de retenir nos services en faveur de leurs employés, surtout ceux qui se trouvent en haut de la hiérarchie », souligne-t-il.
Alors que pour d’autres sociétés, ils font appel aux chauffeurs de taxi sur une base occasionnelle « Par exemple si un employé fait des heures supplémentaires, nous seront appelés pour le déposer chez lui lorsqu’il a terminé », explique Kamil Duman. C’est le cas aussi, souligne Raffick Bahadoor pour les entreprises qui tournent 24 heures sur 24. « Par exemple lorsqu’un employé ne se sent pas bien et doit être transporté à l’hôpital ou être déposé chez lui durant la nuit. Idem pour les gérants de restaurants dont les clients demandent parfois qu’on leur appel un taxi pour diverses raisons. Les restaurateurs ont ainsi une liste de chauffeurs de taxi à leur disposition », ajoute-t-il.
Si dans certains cas les chauffeurs de taxis négocient eux-mêmes auprès de ces entreprises, dans d’autres cas, ils travaillent pour le compte d’une compagnie de transport. « Il s’agit d’un contracteur qui va négocier auprès de ces entreprises en leur proposant un service de transport pour leur employés. Il fait ensuite appel à des chauffeurs de taxi. Li pou dir nou al pran tel dimoun, tel plas a tel er. Nous sommes rémunérés à la fin du mois », indique Kamil Duman qui opère à Vallée-des-Prêtres.
Travailler pour les entreprises et les sociétés confèrent de nombreux avantages pour les chauffeurs de taxi, à en croire Kamil Duman. « Nous connaissons le client, ce qui constitue un avantage pour notre sécurité. C’est moins stressant que d’attendre sur une base d’opération à longueur de journée sans savoir si nous allons avoir un client, ou pas. C’est aussi moins stressant de rouler le soir car la circulation est plus fluide. Et enfin, cela nous garantie aussi un revenu fixe à la fin du mois », souligne-t-il.
Les facilités accordées
Le recours aux taxis pour véhiculer les employés serait aussi dû à un nivèlement vers le haut en matière de confort qu’offrent les chauffeurs de taxi, de par les voitures qu’ils utilisent. C’est ce qu’indique le président de la Taxi Proprietors Union. « Les touristes se plaignaient, il y a une trentaine d’années, que la portière de certains taxis s’ouvraient en négociant un rond point. C’est vrai. Certains utilisaient des tournes vis en guise de manettes pour monter ou baisser les vitres. Ou alors, on rafistolait les essuie-glaces à l'aide de tissu et d’élastique. Mais tout cela a changé », dit-il.
En effet, Raffick Bahadoor indique qu’au fil des années, les gouvernements successifs ont accordé des facilités aux propriétaires de taxi. Il cite notamment l’exemption de la taxe (excise duty) à 100% sur l’acquisition d’une voiture chaque 5 ans, le paiement de seulement 25% du tarif de la Motor Vehicle Licence (ndlR. déclarations) et une somme uniforme pour l’enregistrement des voitures, soit Rs 35 000 pour les voitures de plus de 1251 cc. « Ce qui nous permet d’une part acquérir des voitures beaucoup plus confortable que ce qu’on utilisait dans le passé. Et d’autre part, cela nous permet d’attirer cette clientèle de bureau qui préfère voyager dans de telle voiture », affirme-t-il.
Autre facteur : les chauffeurs de taxi ont amélioré leur comportement vis-à-vis des clients. « À travers des séminaires et des ateliers de travail, les chauffeurs de taxi ont été formés pour améliorer leur relation avec les clients, à mieux leur parler, les mettre à l’aise et à soigner leur apparence, entre autres. Ena client quand rent dan certain loto pas envi sorti », affirme Raffick Bahadoor.
Baisse de la clientèle « traditionnelle »
Ce passage à une clientèle de bureau serait dû à une baisse de la clientèle dite « traditionnelle ». À ce propos, les chauffeurs de taxi en sont unanimes. « Travay la finn tombe kompare a lontan », déclare Premanand Beerrun, chauffeur de taxi à Beau-Bassin qui travaille à son propre compte. Celui-ci appréhende d’ailleurs la mise en opération prochaine du Metro Express sur le trajet Port-Louis – Rose-Hill. Idem pour Azzedine Kinoo qui compte une dizaine d’années d’expérience comme chauffeur de taxi dans la capitale. « À mes débuts, le travail était beaucoup plus facile. J’étais régulièrement sollicité pour effectuer des « courses ». Mais tel n’est malheureusement plus le cas. Avec l’arrivée du Metro Express, il est probable que nous allons devoir faire une croix sur certains trajets tels que Coromandel, Beau-Bassin et Rose-Hill », dit-il.
Et lorsque les clients affluent, ce serait souvent pour des petits trajets. C’est du moins ce qu’indique Christian Tanou, qui opère à Pointe-aux-Sables. Celui-ci dit être plus sollicité pour des distances relativement courtes. « Il s’agit essentiellement des courses au marché central ou de grande surfaces. En de rares occasions, j’obtiens des courses de mariage ou ceux devant se rendre à l’hôpital », souligne-t-il. Christian Tanou soutient que certains de ses confrères n’opèrent pas dans les bases allouées et optent plutôt de travailler pour diverses compagnies les après-midis, transportant des employés.
Le principal facteur ayant contribué à cette baisse de clientèle des chauffeurs de taxis serait le nombre grandissant de voitures sur nos routes. C’est ce qu’indique Kamil Duman. En fait, si on se fie aux chiffres de la National Transport Authority (NTA), de 2007 à 2017, quelque 119 000 voitures sont venues grossir le parc automobile du pays, incluant aussi bien les voitures neuves que les voitures reconditionnées. À août de cette année, le nombre de voitures enregistrées auprès de la NTA s’élevait à 229 647. « Forcément, cela a un impact sur notre clientèle et subséquemment sur notre chiffre d’affaires car les gens ont plus de facilités pour acquérir une nouvelle voiture. C’est la même chose pour les motocyclettes », fait-il ressortir.
Les bases d’opération délaissées
Au cours de cette enquête, il a été constaté que sur plusieurs bases d’opération, seuls quelques taxis sont présents alors que plusieurs aires de stationnement sont vides. Kamil Duman dit en être conscient et confirme que les chauffeurs de taxi se rendent de moins en moins sur leur base d’opération. « Des fois on peut poireauter durant des heures sur notre base d’opération, mais en vain. Cela devient alors stressant pour nous les chauffeurs », affirme-t-il. Un avis que ne partage pas forcément Raffick Bahadoor. Pour le président de la Taxi Proprietors Union, c’est faux de dire que les chauffeurs de taxi ont abandonné les bases d’opération. « La réalité, c’est qu’ils font une utilisation accrue de la technologie dans leur travail, notamment les téléphones portables. Aujourd’hui, tout le monde possède un téléphone portable. Ce qui permet à un client d’appeler le chauffeur de chez lui, sans qu’il n’ait à se déplacer pour trouver un taxi. Les chauffeurs de taxi s’y sont adaptés », indique-t-il.
Faveur, sous-louer, side business… ?
Il y aurait environ 7 000 détenteurs de permis de taxi à Maurice. Environ 5 500 opèrent sur quelque 500 bases situées dans les villes et villages. Quant aux 1 500 restants, elles constituent des taxis d’hôtel repartis dans 115 hôtels à travers le pays. Or, lors de notre enquête, nous avons constaté que très peu de taxis sont présents dans leurs bases d’opération. Il nous revient que certains détenteurs de permis ne travaillent pas dans leurs voitures , d’autres sous-louent leur voiture pendant qu’autres encore opèrent un ‘sidebusiness’.
Une situation que le président de la Taxi Proprietors Union, Raffick Bahadoor dit être au courant. Celui-ci considère que ceux qui n’opèrent pas, malgré qu’ils soient détenteurs d’une patente de taxi, ne sont pas des vrais chauffeurs de taxi. « Ena ki bizin nouri so fami li na pas pou permet li met so loto dormi mem enn heure tan divan so laport », martèle-t-il. Il ajoute avoir attiré l’attention sur la sous location des voitures de taxi. « Le propriétaire, qui n’a aucun intérêt à travailler comme chauffeur, loue sa voiture à Rs 500 la journée ou Rs 15 000 le mois. Dans 4-5 ans, li fini tire so cass li finn depenser pou aste loto. Ena proprietaire pas dan maurice, loto pe roule ici », avance notre interlocuteur.
La faute, selon lui, revient au « system ». « Ena Koler l’affiche fine gagne patente. Kisanla pou refuse gagne 100% duty lor enn loto ? », se demande-t-il. Et de préciser que c’est au ministre du Transport, Nando Bodha, d’y mettre de l’ordre dans cette affaire. Néanmoins, Raffick Bahadoor se permet de faire des suggestions pour mettre un frein aux abus. Il faudrait, selon lui, que dans un premier temps, les autorités cessent de délivrer des permis de Taxi Driver’s Licence « à tout bout de champ ». « Actuellement, pratiquement n’import qui peut obtenir une licence de chauffeur de taxi. Il suffit de faire une demande auprès des casernes centrales, s’acquitter d’une somme dérisoire, répondre correctement à une dizaine de questions et le tour est joué. Or, il faudrait rendre obligatoire la formation des aspirants chauffeurs de taxi. Ce n’est qu’en réussissant à des examens à l’issue de cette formation de même que le test aux casernes que l’aspirant chauffeur de taxi pourra prétendre à une patente auprès de la NTA », suggère-t-il. Ensuite, il faudrait que la NTA se montre plus rigide dans ses contrôles. « Mais avec ses quelques dizaine d’inspecteurs qui travaillent ‘during working hours’, c’est assez compliqué », concède-t-il.
Utilisation du gaz comme carburant
Lors de notre enquête, nous avons constaté une pratique qui consiste à utiliser le gaz comme carburant pour les taxis. Beaucoup moins cher que l’essence au kilomètre, le gaz permettrait aux chauffeurs de taxi de réduire leur coût d’opération par 50% au minimum. Une « nécessité » pour plusieurs chauffeurs de taxi dans la conjoncture actuelle. « Il suffit d’installer une bouteille de gaz dans le coffre et avoir le kit nécessaire pour substituer l’essence par le gaz », indique un chauffeur de taxi. Cela n’empêche pas les chauffeurs de taxi qui ont opté pour le gaz de pratiquer le tarif normal, confie-t-on, car il faut prendre en considération le « wear & tear » du véhicule qui se dégraderait plus vite avec ce système.
Les dépenses – Entre Rs 35 000 à Rs 40 000 nécessaires par mois
Un chauffeur de taxi doit faire un chiffre d’affaire entre Rs 35 000 à Rs 40 000 par mois pour pouvoir « mener une vie décente ». C’est ce qu’avancent des chauffeurs de taxi. De ce chiffre, environ la moitié va aux frais liés à la voiture, notamment le carburant, la maintenance, les roues, etc. Nous avons dressé une liste des dépenses d'un chauffeur de taxi qui a contracté un emprunt pour l’achat d’une voiture estimé à Rs 500 000, après un dépôt de Rs 100 000.
Maintenance : Rs 10 000 – 12 000 / an
Roues : Rs 6 000 - 10 000 / an
Réparations : Rs 8 000 - 10 000 / an
Essence : Rs 80 000 - 100 000 / an
Assurance : Rs 15 000 / an
Déclaration : Rs 1 000 – 2 000 / an
Fitness : Rs 400 / an
Permis : Rs 500 / an
Leasing : Rs 9000 - 10 000 / mois
Silence de la National Transport Authority
Appels, courriel, messages, Whatsapp… Nous avons cherché, par les moyens possibles, d’obtenir des informations auprès du directeur de la National Transport Authority, le Dr Kaushik Reesaul, depuis ce lundi 15 octobre. Nous voulions d’une part obtenir des statistiques sur le nombre de permis délivrés et révoqués, le nombre de bases d’opération à travers le pays et le nombre d’aires de stationnement disponibles sur chacune de ces bases. D’autre part, nous recherchions aussi les commentaires du Dr Kaushik Reesaul sur les constats faits au cours de notre enquête : un nombre important de taxis qui ne se rendent pas sur leur base d’opération, certains n’y vont jamais alors que d’autres opèrent des ‘side business’. Les moyens de contrôle mis en place par la NTA intéresse aussi le Défi Plus. À jeudi, n’ayant pas revenu vers la rédaction, nous avons envoyé un texto au directeur de la NTA. « About what issue ? » se contentera-t-il de demander avant de sombrer à nouveau dans le silence.
Roshan Seetohul de l’OTAM : « Les taxis privilégiés pour les petits trajets »
Des centres d’appels auraient recours à des taxis pour transporter leurs employés principalement sur des petits trajets où lorsqu’il y a une poignée d’employés seulement à déposer dans une région. C’est ce qu’indique Roshan Seetohul, secrétaire de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM) et directeur de la société Euro CRM. Toutefois, celui-ci indique que la grande majorité des employés voyagent abord des vans de 14 places. « Pour ce qui est du reste, ce sont des cadres qui utilisent leur propre voiture », précise-t-il.
Ajay Rameshar de la GTOU : « Baisse de 90% des recettes »
Les recettes des chauffeurs de taxi d’hôtel ont baissé de 90% au cours des huit dernières années. Propos d’Ajay Rameshar, président de la General Taxi Owners Union (GTOU). « Dans le passé, nous pouvions avoir entre 2 à 3 voyages par jour. Juste pour vous donner une idée, aujourd’hui, alors que j’étais le premier sur la liste à obtenir un ‘local’ et avec un taux d’occupation de 75% de l’hôtel, je n’ai pas obtenu le moindre client durant toute la journée », affirme notre interlocuteur qui est basée à l’hôtel Constance Belle Mare Plage.
La faute, selon le président de la GTOU, reviendrait principalement à des Tour opérateurs qui proposeraient des voitures de location avec chauffeurs aux clients ou des sorties en minibus. « Ou encore, les concierges de certains hôtels privilégieraient des ‘taxi village’ pour véhiculer les touristes. Zot gagn enn komision lor la », souligne Ajay Rameshar. Tout cela serait contraire au Tourisme Act, à en croire notre interlocuteur. Contrairement aux « taxi laville », Ajay Ramashar soutient que ceux de l’hôtel n’ont pas de clients de bureau. « Les centres d’affaires se situent surtout dans les villes ou dans la capitale. En ce qui nous concerne, dans les villages, ce n’est pas possible et nous devons nous fier uniquement aux clients d’hôtels », souligne-t-il.
Les tarifs : marge de profit entre 40% et 60%
Dans le cadre de notre enquête, nous avons voulu savoir comment se fait le calcul des tarifs. Il nous revient, à travers les chauffeurs interrogés, que la marge de profit se situerait entre 40% et 60% du montant réclamé au client. Le reste compte pour le carburant et les frais liés à l’opération de la voiture. Des tarifs parfois jugés « exorbitants » par des membres du public. Un avis que ne partage cependant pas le président de la TPU. « C’est ce que veulent faire croire certains. Nous réclamons Rs 100 pour un ‘local’. Or l’essence est à Rs 50 le litre. Si nous déduisons ce chiffre de même que les frais de la voiture et notre marge à nous, qu’est-ce qui reste aux chauffeurs de taxi ? » se demande-t-il. Selon lui, le fait d’avoir libéraliser les tarifs donnent le choix au client de négocier le prix et de faire son choix.
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